Le Panoptique est mort, vive Le Panoptique! Alors voilà, notre revue bien aimée aura vécu cinq ans bien sonnés. L’équipe de rédaction a décidé de mettre un terme aux activités de publication, le rythme de celles-ci ayant grandement diminué au cours de la dernière année. Cinq ans d’activité, pour une revue d’idées comme Le Panoptique, c’est déjà énorme, même si la perspective de tout arrêter laisse un petit goût amer en bouche. Post mortem d’un projet intellectuel.
Chronologie
Mis sur pied en août 2006, Le Panoptique est d’abord l’œuvre de son premier directeur général, Frédéric Clermont, qui a porté sur ses épaules le projet pendant ses trois premières années d’existence. Il a su réunir un important bassin de gens de qualité autour du projet d’une revue d’actualité internationale proposant des ponts entre la culture et la production universitaires et le grand public. Soulignons à cet égard le travail des collaborateurs de la première heure, dont Jonathan Martineau qui a pondu bon nombre d’éditoriaux très justes, Simon Chavarie, Eveline Bousquet et bien d’autres encore qui ont contribué au projet.
La revue est, dès ses début, structurée autour de six grands axes qui fondent autant de sections de rédaction, soit la politique et l’économie, la société, l’histoire, les sciences, l’environnement et les arts et la littérature. Fortement ancrée dans les départements universitaires, la revue y recrute la grande majorité de ses collaborateurs. Ainsi, la mixité francophone-anglophone du milieu universitaire montréalais gagne bientôt Le Panoptique qui, en 2007, met sur pied une version anglophone de la revue, tentant ainsi d’instaurer un dialogue entre ces mondes trop souvent ignorants l’un de l’autre.
C’est à cette époque que la revue connaît sa production la plus intense, alors qu’elle publie plus d’une vingtaine d’articles de fond par mois et regroupe pas moins de 80 collaborateurs. Le projet s’essouffle cependant au printemps 2009, alors que l’équipe de direction fait défection, laissant seulement un petit noyau de collaborateurs reprendre les rennes du projet.
La dizaine de collaborateurs restants décide alors de donner un second souffle au projet, et aussi d’en changer les cadres de fonctionnement. Nous avons ainsi aboli les différentes sections qui, à notre sens, reproduisaient le cloisonnement du savoir universitaire duquel nous cherchions à nous distancier, invitant du même souffle artistes, professionnels et intervenants sociaux à investir les pages de la revue. Nous avons alors également décidé de faire du Panoptique une revue authentiquement (du moins à notre sens) bilingue, c’est-à-dire publiant sans distinction (ni traduction) des articles en français et en anglais, un peu à la façon dont notre petite équipe travaillait alors. Finalement, nous avons voulu mettre de l’avant une approche participative, tant pour le fonctionnement de l’équipe que pour celui du site Web, en instaurant des postes rotatifs et en permettant la rétroaction avec les lecteurs.
Nous avions de grands projets pour ce Panoptique seconde mouture, et quiconque a suivi, même de loin, nos pérégrinations des deux dernières années sait bien que les résultats furent mitigés. Nous aurons tout de même réussi à mettre sur pied un nouveau site plus fonctionnel pour la revue et à publier des brochures thématiques qui sont en dépôt à la Bibliothèque nationale du Québec. Notre postérité est donc assurée…
Plus que tout, ou du moins de l’intérieur, ce sursaut de deux ans de la revue aura été l’occasion de rencontres et de discussions fécondes entre gens de qualité. Je remercierai particulièrement Baptiste Godrie pour son implication et sa rigueur aussi sérieuses qu’indéfectibles, de même que, entre autres membres de la garde rapprochée, Hugo Lafrance et Inbal Itzak, ainsi que tous les autres Panopticiens qui ont contribué, à un moment ou à un autre, au projet dans sa seconde vie.
U.S Fish and Wildlife Service Northeast Region,
Sea turtle crawl loop, 2008
Certains droits réservés.
Les enjeux d’une revue d’idées
On nous a souvent posé la question du pourquoi du nom « Panoptique », dont la référence première est la prison de Bentham, ce qui a de quoi laisser songeur pour une revue d’actualité internationale se positionnant clairement à gauche… N’ayant pas fait partie de l’équipe fondatrice, je ne peux me prononcer avec certitude sur l’interprétation première du nom de la revue, d’autant que la réflexion détaillée qui se trouvait sur l’ancien site Web est maintenant, après un transfert de plate-forme et un autre de serveur, complètement perdue. À titre de webmestre, je m’en excuse et j’en prends la responsabilité, et tiens à souligner que cet oubli fut complètement accidentel…
Ce que je peux dire en tant que directeur général du Panoptique nouvelle mouture, c’est que nous avons puisé dans la racine étymologique grecque, soit « pan » et « optique », la perspective que nous avons voulu donner au projet, soit celle d’un regard embrassant la multiplicité des points de vuei. Ce regard est pour nous une posture intellectuelle refusant les étiquettes et les cadres explicatifs figés et contraignants; il appelle à une liberté d’interprétation et d’esprit qui ne se bâdre pas de catégories académiques ou idéologiques. Nous en avons d’ailleurs tiré le nom et l’adjectif « panopticien », qui définit toute personne adhérant à l’idée d’appréhender le monde avec un esprit critique mais néanmoins ouvert à la multiplicité des interprétations et du sens qu’on peut donner à un phénomène et au réel dans sa globalité.
Pour enthousiasmant que le projet du Panoptique ait pu être, ou du moins que nous l’ayons imaginé tel, la réalité des trajectoires personnelles et des nécessités de la vie bassement matérielle nous aura finalement, malgré tout et malgré nous, rattrapés. Je prendrai donc quelques lignes pour décrier, une fois encore, le triste sort fait aux revues, culturelles en général et plus particulièrement d’idées, au Québec. Il est dérisoire de constater qu’on doive compter sur la seule bonne volonté et le dévouement bénévole et désintéressé pour mettre sur pied un projet intellectuel qui n’entre pas dans les cadres admis par le gouvernement et ses valets fonctionnaires.
Il y a lieu de s’inquiéter de la place faite aux idées et à la liberté de penser en cette ère conservatrice majoritaire, qui donne malgré tout aux plus fous des utopistes la perspective d’un changement social et politique d’autant plus radical que s’épuise devant nos yeux le modèle que certains ont érigé en idole de la fin de l’Histoire. Seule la pensée gestionnaire connaît la finitude des redditions de comptes, alors que la pensée vive et critique est, par nature, désenclavée, ouverte et inépuisable. C’est de celle-là dont les Panopticiens de tout acabits s’abreuvent et, si notre revue a permis même à quelques-uns seulement de prendre et d’exiger du monde cette posture, nous aurons, au total et malgré tout, gagné notre pari intellectuel.
Marc Ouimet
Notes
1. Je vous invite à cet égard à consulter la superbe réflexion de Danijel Matijevic (la mission longue anglaise), qui constitue la version longue et élaborée de notre mission, rédigée et reproduite en anglais.