Éditorial

Étant un maudit citoyen français, je pensais pouvoir facilement rebondir sur le résultat si attendu du second tour des élections présidentielles françaises, laisser mes émotions noircir allégrement l’écran de mon ordinateur, élaborer des théories fumeuses sur la sortie de l’ère chiraquienne et de ses conséquences judiciaires pour ce dernier. M. Sarkozy a remporté la présidence de l’État français. C’est officiel, les cinq prochaines années en France seront placées sous le signe du renouveau, de la rupture, du changement. Aux dires de M. le président de la République, la France va enfin pouvoir renaître de ses cendres, retrouver son dynamisme, sa créativité, sa grandeur… Mais alors, pourquoi cette «rupture» si attendue et plébiscitée par près de 19 millions d’électeurs fait-elle tant peur au reste de la population française?

 …Non,…
Môsieur J. alias Jérôme,
…Non,… , 2007
Certains droits réservés.

Je pense pouvoir répondre assez facilement à cela. M. Sarkozy fait peur. À vouloir trop courtiser les électeurs du Front National, il a multiplié les déclarations assassines à l’encontre des déjà trop stigmatisés banlieusards. La France vieillissant, les vieux réactionnaires, si facilement apeurés par le sacrosaint journal télévisé de 13h animé par M. Jean-Pierre Pernaud, se font légions. Le battage médiatique autour de l’insécurité grandissante dans nos campagnes a bien porté ses fruits. À l’instar des États-Unis d’Amérique, la France prolonge pour encore cinq années son contrat avec les libéro-conservateurs de l’UMP. Vous me direz certainement: Julien, c’est bien beau ce que tu nous dis, mais tu nous avais promis une réponse… Je sais, j’y viens justement.

Tout comme aux États-Unis, la volonté de sécuriser le pays prend le dessus sur les libertés individuelles et la répression semble redevenir la seule solution possible pour remettre les gens sur le droit chemin. Une grande différence entre la France et son homologue transatlantique est que «l’ennemi» est à l’intérieur de son territoire; il ne s’agit pas d’obscures groupuscules terroristes (montés de toute pièce pour excuser l’invasion d’un pays ultra-riche en pétrole???). Il s’agit de citoyens français, d’«assistés», de «racailles» pour reprendre les mots de certains. Le président de la République française, fraîchement élu, a promis à maintes reprises qu’il emploierait la force, le tout répressif, la tolérance zéro pour lutter contre ce fléau qui ronge notre chère société. Dépendant de quel côté de la barrière vous vous placez, cela vous fera peur ou vous rassurera. Et à ce jeu là, les vieux réacs ont été plus nombreux que les jeunes racailles ce désormais fameux dimanche 6 mai 2007. Le malheureux dans l’histoire est que l’on n’a pas besoin d’être délinquant multi-récidiviste pour subir les foudres d’un système judiciaire expéditif et cruel.

Regardons de plus près quelques exemples assez frappants, fruits de la politique du gouvernement sortant que M. Sarkozy a promis de poursuivre sur certains points. Le fichage génétique des agresseurs sexuels est quelque chose de, ma foi, assez satisfaisant. La peur du coté très «big brother» de cette mesure est contrebalancée par le fait que tout le monde soit d’accord pour dire que ces personnes doivent être fichées. Le hic avec cette mesure, c’est que cette banque de données a été étendue à des crimes, des délits qui n’ont pas de rapport. Ceci couplé à l’attitude tolérance zéro donne lieu à des exemples aussi cocasses que malheureux. Ainsi, ce fut tout d’abord avec plaisir que le père de deux garçons de 8 et 11 ans reçut la visite de la gendarmerie. Ses deux enfants avaient volé récemment des jouets dans un grand magasin. Il s’attendait à ce que le corps policier l’assiste dans son rôle d’éducateur en démontrant à ces jeunes délinquants que «voler c’est pas bien». Mais qu’elle ne fut pas la surprise de ce jeune père de réaliser que les représentants de l’ordre étaient venus à son domicile pour prélever un échantillon d’ADN de ses enfants, de manière à les ficher à vie pour avoir commis une erreur de jeunesse. Cela frise le ridicule…

Malheureusement, mon deuxième exemple fait bien plus peur. N’avez-vous jamais joué à citer délibérément les mots «Oussama», «bombe» et «attentat» dans le même courriel ou la même conversation téléphonique, juste pour que nos amis des services de renseignements américains aient un peu plus de travail? (En tout cas moi oui!) Le fameux Patriot Act, en permettant de surveiller toutes les conversations d’un individu soupçonné de terrorisme, s’est attiré les critiques de quasiment toutes les associations de défense des libertés individuelles du monde entier. Pensez-y bien, l’État américain s’était doté d’un moyen légal de pouvoir surveiller certains individus qu’il jugeait dangereux pour ses concitoyens, et peut-être surtout pour lui-même. L’État français, à tout le moins le gouvernement auquel participait Nicolas Sarkozy, est en voie de faire passer un texte de loi obligeant tous les fournisseurs d’accès Internet ainsi que tous les opérateurs téléphoniques à conserver pendant une année complète tout, tout, tout ce qui passe par leur réseau. En d’autres mots: un genre de Patriot Act pour lequel toute la population française est considérée comme potentiellement dangereuse. Ces données seront ensuite stockées de nombreuses années par les forces de polices. Imaginez-vous être inculpé de non-conformisme dans trois ans grâce à un message texte «antisarkoziste» envoyé à votre grand-mère au soir des résultats des élections…!! Une situation un peu cocasse diront certains!

Bref comme vous l’avez certainement compris à la lumière de ces deux exemples, une société à la 1984 se profile en France. La sécurité sera placée au premier plan des valeurs de la société française. Les honnêtes gens peuvent maintenant dormir sur leurs deux oreilles; l’État veuille sur eux… Mais comme à chaque fois qu’un État met la sécurité au centre de ses préoccupations, une question d’importance demeure: qui sera considéré comme honnête par le pouvoir étatique? Les vacances de Nicolas Sarkozy sur le yacht d’un riche homme d’affaires, ainsi que ses propos sur les «racailles» nous offrent un premier élément de réponse. Il vaudra mieux être riche et «caucasien» que pauvre et faire partie des «minorités visibles». Sur ce, chers compatriotes, je vous souhaite à tous un bon quinquennat. Moi, je pense que je vais définitivement rester ici, à Montréal.

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