Sarkozy : la paralysie derrière l’hyperactivité

Le philosophe français Alain Badiou décrit, dans un article récent, les facteurs constitutifs de la désorientation de la gauche française1. Depuis la victoire de Nicolas Sarkozy, aux présidentielles de mai 2007, la gauche, et non pas seulement le Parti socialiste, semble en crise d’identité. Bien que le militantisme français reste l’un des plus actifs au monde, le voile paralysant qui englobe l’appareil d’État français semble accentuer la césure entre les revendications sociales et la sphère politique. Sarkozy, comme le dit Badiou, assoit son pouvoir sur une scène politique française paralysée.

 azrainman
Rainmaker, azrainman, 2007
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Pour Badiou, le système politique français semble maintenant incapable de donner forme et espace aux projets politiques émancipatoires. L’ordre politique français, si bien délimité entre la «gauche» et la «droite» depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, semble maintenant perdre de son pouvoir symbolique. La gauche est en déroute et ne fait plus peur à personne. En effet, si Sarkozy se permet tout l’ostentatoire des vacances en yacht, des diners somptueux et du flirt glamour avec les caméras des paparazzis, c’en est bien là le signe. L’opposition socialiste est soit cooptée, en témoignent Kouchner et les autres, soit impuissante. Son leitmotiv politique est caché derrière celui la droite: alors que celle-ci surfe sur un mélange puant de peur de l’autre et de soumission au diktat de la finance internationale, la gauche ne réussit à se définir que par la peur de cette peur. Les projets politiques positifs sont relégués aux tiers partis dont le discours est étouffé par l’idéologie dominante et les monopoles privés des médias d’informations. Le résultat net: derrière le consensus qui accepte l’ordre social capitaliste, la division du système politique entre «droite» et «gauche» est devenue une fiction.

Derrière l’hyperactivité du Président se cache une profonde et duale paralysie. D’une part, cette paralysie du système politique de plus en plus homogénéisé. D’autre part, la paralysie que Badiou nomme «néo-pétainisme», c’est-à-dire cette complaisance résignée qui fait croire que si la France suit les règles du modèle mondial dicté par les États-Unis et le capitalisme global, elle sera protégée de la guerre et des effets désastreux des disparités entre l’Occident et le «Sud global». En gros, pour vaincre la peur des maux contemporains, les Français sont invités à participer au modèle qui les a pourtant causés. Si Badiou établit un parallèle entre une telle attitude et le pétainisme, il est aussi possible de voir l’autre facette de la médaille: derrière ce que Sarkozy voulait faire passer pour une rupture avec les discours soixante-huitards pointe maintenant vers une rupture avec la critique tout-court. Et cette rupture est active, totalisante. Sarkozy acceptera toutes les critiques sur son «style», mais le système et ses «nécessités» resteront à l’abri.

Si nous trouvons quelque vérité au diagnostic de Badiou, il faut rappeler que le militantisme français n’est pas mort, et au contraire bien vivant. Si la sphère politique est sclérosée comme il le sous-entend, cela ne doit pas être vu comme un obstacle imposé sur les mouvements sociaux, mais bien plutôt le signe évident qu’il leur faut continuer. En France comme ailleurs, le réel changement ne viendra que d’en bas.

Notes (cliquez sur le numéro de la note pour revenir au texte)

1. Voir Alain BADIOU, «De quoi Sarkozy est-il le nom ?», dans Circonstances, n.4, NEL, Paris. La version révisée à laquelle je réfère ici à été publiée en anglais: Alain BADIOU, «The Communist Hypothesis», dans New Left Review, 49, janvier-février 2008.

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