Persée et la littérature

Le monde débarrassé de ses créatures fantastiques, il ne restait plus que la mélancolie dans les yeux de Persée. Plus de hauts faits d’armes, plus de légendes à tisser. Bien entendu, ce qui devait arriver arriva : Persée, trop triste pour être heureux, se retrouva seul, sans Andromède, sans autre féminité ensuite. Même Méduse lui manquait, imaginez.

Il entreprit donc un pèlerinage, là où il avait sauvé Andromède, afin de retrouver ce sentiment qui l’habitait alors. Il retrouva sans peine le rocher d’où il l’avait délivré, puisque, rouillées, y pendaient toujours les chaines de celle qui avait été sa bien-aimée. Persée s’y assit, face à la mer, et soupira. Peut-être Cétus viendrait-elle encore? Bien que pourfendue peut-être avait-elle engendré des baleineaux avant de succomber à son glaive? Il le souhaitait, parce qu’il devait revivre, ressentir de nouveau l’amour et la griserie qu’apportent l’action, la bataille, le glaive et le sang versé.

Point de cétacés. Dépité par cette triste absence de défi, le voilà qu’il s’emplit la bouche de cailloux, sort son bouquin de sa besace et déclame à la mer.

Le bouquin, c’est l’amour dure trois ans, de Beigbeder. C’est un anachronisme, mais c’est bon pour l’âme, presque autant qu’un bouillon de poulet.

Il se lance d’abord dans de grandes tirades qui ne sont en fait que des aphorismes charmants collés les uns aux autres, les commentant ensuite.

« Un jour, le malheur est entré dans ma vie et moi, comme un con, je n’ai plus jamais réussi à l’en déloger »

Le malheur est cruel au cœur de l’indien, ou du grec, c’est selon, pense-t-il.

« Tout le problème de l’amour, me semble-t-il, est là : pour être heureux on a besoin de sécurité alors que pour être amoureux on a besoin d’insécurité. Le bonheur repose sur la confiance alors que l’amour exige du doute et de l’inquiétude »

Voilà la source de mes tourments, lâche-t-il en criant aux flots qui lui font face, lorsque j’étais dans un monde incertain, j’étais amoureux, j’aimais, mais du jour où l’insécurité s’est fait la paire, jusqu’à aujourd’hui, je n’ai été qu’heureux, c’est abominable! Ce qui est incroyable, c’est qu’il est vrai qu’il m’a été possible d’aimer mes maitresses, mais si peu cette femme avec qui je regardais les saisons passer… alors que je l’ai tant aimée lorsqu’elle était, ironie du sort, ma maitresse.

« Le meilleur moyen de ne pas regretter une chose est de l’oublier »

Il a essayé, de maintes fois, avec tous les alcools possibles. Ça atténue, voilà tout.

Il a essayé aussi d’être un simple homme, simple, que simplicité, mais…

« L’erreur est de vouloir une vie immobile. On veut que le temps s’arrête, que l’amour soit éternel, que rien ne meure jamais, pour se prélasser dans une perpétuelle enfance dorlotée. On bâtit des murs pour se protéger et ce sont ces murs qui un jour deviennent une prison. »

Et finalement, Persée, dans un long sanglot, lance aux flots (avant d’y balancer son livre, écœuré par tant de vérités) :

« Ceci est le livre d’un enfant gâté, dédié à tous les étourdis trop purs pour vivre heureux. Le livre de ceux qui ont le mauvais rôle et que personne ne plaint. Le livre de ceux qui ne devraient pas souffrir d’une séparation qu’ils ont eux-mêmes provoquée et qui souffrent tout de même, d’une douleur d’autant plus irréparable qu’ils s’en savent les uniques responsables. Car l’amour ce n’est pas seulement : souffrir ou faire souffrir. Cela peut aussi être les deux. »

Dieu que Persée se sent seul sur ce rocher.

Allez, il se paye une cuite.

L’amour dure trois ans, Frédéric Beigbeder, Folio #3518

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *