Le 7 février 2007, Dumas donnait un spectacle à Montréal au National.En écoutant les mélodies de cet artiste québécois, c’est tout un univers musical que nous découvrons. Dumas manie savamment les mélodies et arrive, chaque fois, à nous faire ressentir des émotions intenses. À la fois plus rock et un tantinet plus nostalgique que son précédent, l’album Fixer le temps, paru le 28 novembre dernier, est une prise de conscience du passage du temps… Une façon de mettre le doigt sur un problème de société sans le décrier, en l’abordant simplement.
Thématique temporelle
À 27 ans, l’artiste québécois (Victoriaville) a créé, sans même le vouloir, un album sur le temps qui s’écoule et dont nous ne prenons pas véritablement conscience, trop occupés que nous sommes à survivre à notre vie effrénée où la performance est la garantie du succès. Au départ, Dumas désirait seulement écrire des chansons traitant des lieux de transit: stations, aéroports, taxis. Ce n’est qu’ensuite qu’il s’est rendu compte du fil conducteur qui reliait tout l’album. Le premier extrait radio, Au gré des saisons, est un bon exemple de ce thème récurrent:
Comme les saisons changent
Comment l’hiver une fleur
Comme ma vie dérange
Comme à cent à l’heure
Au gré des saisons tu verras
Tôt ou tard
La vie me prend
La vie me jette
Tôt ou tard
Dumas- Au gré des saisons
Que ce soit pour illustrer la fin d’une relation amoureuse comme dans la chanson Sur tes lèvres ou encore aborder le thème de l’attente et des ravages du temps sur notre avenir à tous dans À la dérive, l’album complet est parsemé de clin d’œil aux souvenirs, à l’avenir, aux départs et aux retours.
Et sur tes lèvres
Un simple baiser
Même si le temps
Viendra nous briser
Et sous les draps
Peut-être rêver
Et si le temps
S’était arrêté
Dumas- Sur tes lèvres
Des enfants jouent à l’avenir
Rêvant, insouciants des lendemains
Même si nous sommes des milliards à attendre
Même si cette course folle ne durera qu’un temps
Dumas– À la dérive
Hommage au ralentissement
Il va sans dire que l’album de Dumas aborde un thème des plus actuels. Il est difficile de répertorier toutes les publications qui traitent du temps, de sa rapidité, de celui qui nous manque surtout et de celui que nous ne pouvons retenir et qui se trouve déjà derrière nous. L’essai Éloge de la lenteur (éditions Marabout) est du nombre. Il s’agit d’une enquête menée dans plusieurs pays pour démontrer la prédominance du mouvement «Slow», la soudaine importance que le temps prend dans la vie des gens qui n’en ont plus. Le but de ce mouvement, qui a débuté en Italie, n’est pas de ralentir à tout prix, mais bien d’atteindre l’équilibre entre rapidité et lenteur: «Quelquefois vite, quelquefois plus lentement, quelquefois un peu des deux. L’attitude « lente » consiste à ne jamais se hâter, à ne jamais chercher à gagner du temps par principe(1)».
Carl Honoré, l’auteur del’Éloge de la lenteur soutient à cet effet que «Nous ne parvenons plus à nous réjouir de ce que nous vivons au présent car nous sommes sans cesse en train d’anticiper ce qui va venir(2).» En ce sens, Dumas rejoint cette optique dans la chanson Alors, alors où il y va d’une question directement liée à l’importance du moment présent: «Alors, alors, tu fais quoi, pour l’instant, ici et maintenant?» Comme quoi rien n’a plus d’importance que ce que nous vivons au moment présent de notre existence.
Dans le même ordre d’idées, une horloge unique existe dans l’imaginaire de l’ingénieur informatique américain Danny Gillis. Cette horloge donnerait l’heure pendant 10 000 ans à raison d’un tic par année; «L’objectif: changer la perspective que nous avons du temps, à une époque où tout le monde […] pense à court terme(3).» La fondation The Long Now à l’origine de cette initiative s’est même portée acquéreur d’un terrain au sommet d’une montagne du Nevada et a présenté un prototype de la curieuse horloge le 31 décembre 1999.
Fixation Dumas
L’album Fixer le temps, malgré sa nostalgie, laisse un étrange sentiment de bien-être s’emparer de ceux qui l’écoutent. L’avenir dira s’il s’inscrira autant dans l’histoire de la musique québécoise que son prédécesseur. Une chose est sûre, Dumas est plus à l’aise que jamais dans sa musique planante. Le son définitivement plus festif du spectacle Fixer le temps efface quelque peu l’aspect réconfortant, englobant, qu’avait Le cours des jours, mais il permet à l’artiste d’évoluer sur le plan musical.
L’énergie était palpable dans la salle en ce mercredi 7 février 2007, malgré le fait que Le National de Montréal ne soit pas véritablement une scène adaptée à la présentation d’un spectacle aussi mouvementé. Cette salle ayant d’abord été conçue pour des prestations théâtrales, très différentes d’un spectacle rock, il va sans dire que la qualité du son lors du spectacle laissait parfois à désirer.
Dumas continue toutefois à s’amuser sur scène, endroit où il semble de plus en plus spontané. Évoluant au rythme de ses mélodies aériennes, l’auteur-compositeur-interprète arrive à nous faire voyager et à nous amener à une observation du temps qui passe. Or, à l’écoute de son album, le temps semble s’arrêter puis un sourire se fixer sur nos lèvres.
Notes
(1) HONORÉ, Carl. Éloge de la lenteur, Paris, Éditions Marabout, 2005, p. 259.
(2) Ibid. p. 258.
(3) GUÉRARD, François. «L’Horloge de 10 000 ans», L’actualité, Édition spéciale 30e anniversaire, janvier 2007, p. 33.