Quand les sushis accélèrent les réchauffements climatiques…

Les hautes mers jouent un rôle capital dans la régulation de la planète grâce à leur incroyable biodiversité. Pourtant, notre capacité à exploiter ce milieu a de loin dépassé nos connaissances et notre compréhension limitées. Des signes évidents indiquent que les activités humaines, la pêche en premier lieu, épuisent les ressources.

 Never forget ( N’oubliez jamais)
Dan Feeney, Never forget ( N’oubliez jamais), 2006
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La possibilité d’établir un moratoire sur le chalutage en haute mer est actuellement débattue à la table de l’Assemblée générale des Nations unies. Cette pratique cause des dommages irréversibles aux écosystèmes marins profonds. Pour mieux en saisir les impacts, il est primordial d’approfondir notre compréhension des eaux internationales et des services qu’elles rendent à la planète grâce à leur imposante diversité.
Les hautes mers

Les eaux internationales désignent toutes les parties des océans qui commencent au-delà de la limite des 200 miles nautiques des Zones économiques exclusives des États côtiers. Ces zones sont l’héritage commun de l’espèce humaine dont le partage doit être équitable et l’utilisation, durable. Il n’y a pas de juridiction internationale dans ces eaux. Néanmoins, depuis les années 1950, les Organisations régionales de gestion des pêches ont pour mandat de réguler les pêches en haute mer. Elles ne couvrent cependant que le tiers des eaux internationales.

Réservoir de biodiversité

La protection des fonds marins profonds se révèle de plus en plus critique, car les scientifiques considèrent ces régions comme le plus grand réservoir de biodiversité de la planète et comme le berceau de la vie sur Terre. Plus de 90% de la biomasse vivante planétaire se trouve dans les océans(1). Les eaux internationales représentent 64% des océans et couvrent environ 50% de la surface de la Terre. La diversité des habitats benthiques (sources hydrothermales, suintements froids, monts sous-marins (ie. formations géologiques d’origine volcanique de plus de 1000 mètres, reconnues comme des sources de biodiversité élevée), plaines abyssales, volcans sous-marins, etc.) a entraîné de nombreuses adaptations chez les espèces qui y vivent. L’éventail inhabituellement large et dense de coraux, d’éponges, de poissons, de crustacés et d’autres espèces renferme une portion remarquable d’organismes endémiques encore inconnus. Des récifs coralliens datant de l’aube de la civilisation ont été découverts il y a seulement cinq ans dans ces eaux noires et glaciales. De plus, des coraux dorés fixés à des monts sous-marins seraient âgés de 1800 ans, ce qui en fait les animaux les plus vieux sur Terre(2).

Une croissance lente, une longue durée de vie (plus de 200 ans dans certains cas), un faible taux de reproduction et un fort niveau d’endémicité sont typiques aux organismes vivant en haute mer. Ces caractéristiques les rendent d’autant plus vulnérables aux activités humaines.

La variété et l’abondance de la vie marine sont essentielles à la vie et à la faculté de récupération des océans, car des systèmes équilibrés peuvent mieux répondre à des conditions changeantes(3). Dans un contexte de changements climatiques, il est essentiel de prendre en considération que les océans forment la structure de base de la vie en nous procurant de l’oxygène, en modulant la température et la chimie de la planète et en régulant le climat. Ils absorbent aussi des quantités non négligeables de CO2. Ils nous rendent donc des services indispensables. Si leur biodiversité décroît, leur capacité à remplir ces rôles diminue également.

La biodiversité des écosystèmes marins décline à un rythme inquiétant à cause des pratiques humaines, de la pêche en premier lieu. Depuis l’aire préindustrielle, une multitude d’espèces marines se sont éteintes et plusieurs stocks de poissons ont chuté à 10% ou moins de leur population originelle(4). La surpêche peut mener à l’écroulement d’un écosystème complet par un processus appelé «cascade trophique» (disparition d’une espèce entraînant celle d’autres organismes dans la chaîne alimentaire).

Publié en novembre dernier et fondé sur une analyse exhaustive de données historiques, d’observations et d’expérimentations, un article de la revue Science(5) signalait que, si les activités humaines continuent au rythme où elles vont actuellement, tous les stocks de poissons sauvages seraient épuisés en 2048. Cette tendance peut encore être renversée si on agit dès maintenant. Pour y parvenir, un premier geste serait de créer un moratoire sur le chalutage hauturier (voir article sur le moratoire sur le chalutage hauturier), puis de mettre sur pied un réseau d’aires marines protégées, étape déterminante pour régénérer les stocks de poissons.

Milieu majoritairement inexploré

Les connaissances relatives au milieu marin profond datent de moins de dix ans. On ne fait que commencer à comprendre la distribution, les «hot spots» (ou «points chauds», c’est-à-dire des régions dont la richesse en espèces endémiques est exceptionnelle mais fortement menacée) de biodiversité, les corridors migratoires et les fluctuations des populations marines. Lors de chaque sortie en haute mer, les scientifiques découvrent de nouvelles espèces et souvent, même, de nouveaux écosystèmes. Environ la moitié des animaux récoltés dans les aires plus profondes que 3000 mètres sont de nouvelles espèces.

Sur les 100 000 grands monts sous-marins de la planète, 54% se trouvent en eaux internationales. Or moins de 200 ont été étudiés jusqu’à présent.

Ce manque global de connaissances nous empêche notamment de prédire et de contrôler les impacts des activités humaines en haute mer.

Anéantir des espèces non découvertes?

En conclusion, le risque d’éteindre entièrement des espèces encore inconnues s’accroît fortement chaque fois qu’un chalutier racle le fond des océans. Il est donc crucial de protéger les eaux internationales. L’application du principe de précaution est essentielle à la prévention de dommages irrécupérables dans ces oasis de vie tant que la menace écologique et les incertitudes scientifiques demeureront importantes.

Notes

1. UNEP/UICN. (2006) «Ecosystems and Biodiversity in Deep Waters and High Seas». 60 pages. [En ligne]. <http://www.unep.org/pdf/EcosystemBiodiversity_DeepWaters_20060616.pdf>. Consulté le 24 novembre 2006.
2. Ibid.
3. Boris WORM et autres. «Impacts of Biodiversity Loss on Ocean Ecosystems Sevices». Dans Science, vol. 314, 3 novembre 2006, p. 787-790.
4. National Geographic News. «Big-fish stocks Fall 90 percent Since 1950, Study Says». [En ligne]. 2 pages. <http://news.nationalgeographic.com/news/2003/05/0515_030515_fishdecline.html>. Consulté le 24 novembre 2006.
5. Boris WORM et autres, op. cit.

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