Vues sénégalaises sur le développement écologique de l’Afrique

Le Programme des Nations Unies pour l’environnement a publié récemment le deuxième Rapport sur l’avenir de l’environnement en Afrique. À la lecture du document, nous nous sommes questionnée sur la faisabilité du plan de développement durable et écologique proposé pour le continent. Nous avons voulu connaître, à ce propos, le point de vue de Sénégalais impliqués dans leur communauté. En survolant les idées avancées par le discours officiel et les propos recueillis auprès de cinq Sénégalais, nous souhaitons réfléchir au potentiel de développement vert de l’Afrique.

 Charriot
Carlos Reis, Charriot, 2006
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Les conclusions du second Rapport sur l’avenir de l’environnement en Afrique(1) rejoignent les mesures proposées en 2003 par le plan d’action élaboré dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique(2). En résumé, il est proposé à l’Afrique d’emprunter des mesures visant à assurer la croissance économique du continent et l’entrée des pays africains dans l’économie et la politique mondiale tout en préservant les ressources naturelles pour les générations futures. Accusant le plus grand retard en matière de développement, l’Afrique peut-elle progresser en évitant les catastrophes écologiques que l’industrialisation, historiquement, a toujours entraînées?

Écologistes, les Sénégalais?

Dans le cadre d’un stage de coopération internationale réalisé au Sénégal, nous avons rencontré cinq citoyens préoccupés par la question environnementale(3): Mbaye Dionne, horticulteur de formation, Dr Aboubaky Dia, fondateur du Parti africain écologique sénégalais, Prospère Faye, citoyen fortement impliqué dans son village, Assan Gueye, technicien supérieur en communication et en animation au développement chez Agrécol Afrique et Amadou Pen, chargé de la logistique chez Agrécol Afrique (voir l’encadré portant sur cette ONG).

Lorsque nous avons demandé à chacun quelle était l’importance de l’environnement dans leur vie, ils ont unanimement répondu que l’environnement est la vie. En effet, culturellement, et pour des contraintes financières et technologiques, les populations africaines vivent près de leur environnement. Comme le soutient le second Rapport sur l’avenir de l’environnement en Afrique, le développement du continent passe notamment par la qualité environnementale.
Pour Mbaye Dionne, cette idée est claire: «Chaque préoccupation environnementale est intimement liée à une problématique de développement.» Cependant, comme l’avance Dr Aboubaky Dia, cette conscience écologique est encore chancelante dans la communauté sénégalaise: «Les Sénégalais sont des écologistes pratiques et non politiques.» En effet, lutter pour survivre demeure la préoccupation première de la population.

Le rôle des Sénégalais face aux problèmes environnementaux

Le Rapport sur l’avenir de l’environnement en Afrique souligne que les changements climatiques font partie des problèmes environnementaux les plus criants de l’Afrique avec la dégradation du sol et l’utilisation excessive d’eau en agriculture. Étant un faible émetteur de gaz à effet de serre, «elle supporte une part disproportionnée des coûts associés aux changements climatiques(4)». Malgré cette injustice, Mbaye Dionne, Dr Dia, et Prospère Faye croient que l’Afrique doit participer à la résolution du problème même si certaines contraintes législatives, que n’ont pas connues les pays industrialisés, viennent freiner son développement industriel. Par ailleurs, la première phase du Protocole de Kyoto vise essentiellement les pays industrialisés, et les pays d’Afrique pourraient bénéficier de mécanismes efficaces de développement propre.

Mbaye Dionne et Prospère Faye ajoutent que la volonté de s’impliquer dans la problématique des changements climatiques sans en constituer l’une des sources principales est motivée par la crainte des conséquences que pourraient entraîner les changements climatiques sur la production alimentaire. Quant à la dégradation des sols et à la mauvaise utilisation de l’eau – encore plus problématique dans les pays du Sahel et au sud du désert – les paysans sont déjà conscientisés. Dans l’ensemble, les cinq citoyens constatent un engouement pour une agriculture plus écologique.

Simplicité volontaire

Si les Sénégalais se sentent concernés par la résolution des problèmes environnementaux, qu’en est-il vis-à-vis du développement durable? En 2001, 189 nations ont signé un schéma directeur visant huit objectifs pour l’avènement d’un monde meilleur. Assurer un environnement durable figure parmi ces «Objectifs du millénaire». Selon les Nations Unies, cet objectif ne peut être atteint avec les schémas actuels de consommation et d’exploitation. À ce sujet, Mbaye Dionne et Prospère Faye sont d’avis que si les Sénégalais en avaient les moyens, ils auraient envie de consommer autant – sinon plus – que leurs voisins du nord. Monsieur Dionne explique que l’envie de consommer des biens de luxe est justifiable, mais qu’il envisage mal que les Sénégalais en arrivent à la surconsommation étant donné que le partage et la solidarité sont des valeurs intrinsèques à l’Afrique: à son sens, il est socialement établi que les paysans les plus riches partagent avec les moins nantis. Il avance que, d’ici à ce que l’Afrique puisse consommer comme les sociétés occidentales, «les technologies seront plus avancées et [que] les pressions de cette consommation sur l’environnement seront moindres». Il exprime aussi le point de vue selon lequel l’Afrique, si elle en avait les moyens, se dirigerait naturellement vers un développement durable. Assan Gueye, d’Agrécol Afrique, précise que le continent n’a pas le choix de suivre la voie empruntée précédemment par l’Occident: «On ne peut se développer sur un autre modèle.» Il explique qu’une fois que l’Afrique aura atteint un certain degré de développement, elle pourra alors se préoccuper de durabilité.

Croissance économique: leader du développement écologique?

Si l’on s’en tient au second Rapport sur l’avenir de l’environnement en Afrique et au plan d’action relatif au Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique, le développement respectueux des ressources naturelles est impératif. Soulevée à la fois dans le rapport et dans les entretiens réalisés auprès des Sénégalais interrogés, la corrélation entre la question du développement et celle de la protection de l’environnement explique en partie que ces problématiques soient toutes deux considérées dans la recherche de solutions. L’Afrique doit pouvoir bénéficier d’un développement économiquement prospère et d’une amélioration du niveau de vie tout en veillant à l’utilisation durable des ressources. Le rapport et le plan d’action misent sur la valorisation de la croissance économique et des investissements étrangers. Or la croissance économique enregistrée au cours des dernières années n’a pas substantiellement amélioré le bien-être des populations(5) et les programmes d’ajustement structurel n’ont pas favorisé ceux qui en avaient le plus besoin(6). Il y a donc lieu de se demander si le système de croissance économique actuel permettra le développement écologique souhaité.

Le Dr Dia affiche une position ferme à cet égard: «Le salut est dans l’écologie; le libéralisme n’est plus de saison, le socialisme non plus. L’avenir, c’est l’écologisme.» Assan Gueye se fait moins radical. Il note que plusieurs problèmes environnementaux découlent des cultures extensives et de l’industrialisation «imposées par les pays du nord» et que l’Organisation mondiale du commerce ne favorise pas l’Afrique de toute façon. Son collègue d’Agrécol Afrique, Amadou Pen, ajoute que l’investissement étranger sera principalement dirigé vers l’industrie chimique. Dans son second rapport, le Programme des Nations Unies pour l’environnement prévient d’ailleurs que, sans un cadre législatif solide, cette «industrialisation exogène» créera une pression environnementale énorme. Assan Gueye évoque le risque d’entendre un double discours de la part des politiciens, qui pourraient à la fois promouvoir l’environnement et la croissance économique. Il reconnaît toutefois le besoin de ces investissements étrangers pour le Sénégal.

L’« autre » développement

Le développement de technologies plus propres pourra faciliter un développement écologiquement durable en Afrique. Les coûts associés à ces technologies sont évidemment inabordables pour les pays africains, mais on peut espérer un transfert de ces technologies avec la signature des Objectifs du Millénaire pour le développement ou, encore, avec l’application du Protocole de Kyoto. Et cette solution, les Sénégalais interviewés y croient et l’espèrent!

Mbaye Dionne croit que le développement de l’Afrique se fera moins polluant que pour les pays du nord, puisque les moyens technologiques seront plus efficaces. Le second Rapport sur l’avenir de l’environnement en Afrique misent notamment sur le développement des ressources éoliennes et solaires de même que sur l’hydro-énergie: «un meilleur accès à l’énergie s’assortit de répercussions positives pour l’éducation parce que les petites filles passent moins de temps à collecter le bois et disposent de plus temps pour aller à l’école7.» Les Sénégalais interrogés s’accordent sur ce point. En effet, l’éducation et la sensibilisation sont d’une importance fondamentale pour le développement durable et écologique.

Agrécol Afrique, une solution sénégalaise
Agrécol Afrique est un excellent exemple de progression vers des solutions à l’échelle du pays. Cette ONG sénégalaise prône l’agriculture biologique et écologique. Devenue une ONG sénégalaise en 2002, Agrécol Afrique informe les citoyens sur l’agriculture biologique, forme les paysans qui souhaitent convertir leurs terres et facilite la commercialisation des produits issus de cette agriculture. L’ONG joint les Sénégalais par l’entremise d’une émission de radio hebdomadaire et du journal trimestriel Acacia. Les paysans intéressés à convertir leurs pratiques reçoivent gratuitement une formation sur l’agriculture biologique et bénéficient de l’appui d’Agrécol Afrique tout au long de leur démarche de transition. Comme il n’y a pas de certification biologique au Sénégal, Agrécol Afrique a érigé ses propres barèmes de sélection. L’ONG est stricte quant à la qualité des sols, qui doivent être convertis en sols praticables à l’agriculture biologique. Elle interdit également aux paysannes qui participent à leur projet de se blanchir la peau, pratique esthétique à la mode qui va à l’encontre du mode de vie dans lequel s’inscrit l’agriculture biologique, selon l’organisme. Agrécol Afrique facilite également le rapport entre les producteurs et les consommateurs: il n’y a plus de marchand dans la chaîne de commercialisation et un espace de marché hebdomadaire est mis à la disposition des producteurs.

(1) PNUE (2006). Rapport sur l’avenir de l’environnement en Afrique (AEO-2), notre environnement, notre richesse; Synthèse. [En ligne]. <http://www.unep.org/dewa/africa/docs/fr/aeo2/
chapters/ae02_Executive_Summary_FR.pdf
>. Consulté en septembre 2006.
(2) PNUE (2003). Plan d’action de l’initiative environnement du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). [En ligne]. <http://www.nepad.org/2005/fr/documents/67.pdf>. Consulté en septembre 2006.
(3) Les propos rapportés dans cet article proviennent d’entretiens réalisés par l’auteure auprès de cinq Sénégalais. Ces entretiens se sont déroulés dans le cadre d’un stage de coopération internationale d’une durée de deux mois et demi au Sénégal.
(4) PNUE (2006).
(5) id.
(6) Sarasin, Bruno (1997). «Les coûts sociaux de l’ajustement structurel en Afrique subsaharienne: Évolution des critiques et des réponses de la Banque Mondiale». Revue Canadienne des études Africaines, vol. 31, no 3, 1997, p. 517-553.
(7) PNUE (2006).

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