Classicisme contre baroque : un combat d’excès

Dans son exposition au Musée d’art contemporain de Montréal, présentée du 8 février au 20 avril 2008, l’artiste Yannick Pouliot réinterprète des éléments d’arts décoratifs des XVIIIe et XIXe siècles. Voulant inviter le spectateur à porter un regard sur la décadence de la société actuelle, l’artiste utilise les formes d’un passé où classicisme et baroque se sont côtoyés et répondus pendant plus de 400 ans. Afin de comprendre l’articulation de cette opposition classique/baroque ainsi que les excès engendrés par une telle dichotomie, nous examinerons certains mouvements artistiques de l’histoire de l’art européen.

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p. macg, Wall*paper, 2005
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Quelques définitions

Durant plusieurs années, le terme baroque a un sens péjoratif. En 1740, le dictionnaire de l’Académie française en donne cette définition: «baroque se dit aussi pour irrégulier, bizarre, inégal». Pour Quatremère de Quincy, théoricien du néoclassicisme, le mot est synonyme d’un abus de raffinement, d’un excès de ridicule. En 1860, l’historien allemand J. Burckhardt tente une réhabilitation du terme, mais conserve un préjugé classique, puisqu’il écrit: «L’architecture baroque parle le même langage que la Renaissance, mais c’est un langage dégénéré1

C’est finalement en 1888, dans un traité intitulé Renaissance und Barock, que l’esthéticien suisse Heinrich Wölfflin propose une première analyse du baroque où n’entre pas la notion de décadence. Selon Wölfflin, l’histoire de l’art du XVe au XVIIIe siècle peut se diviser en deux courants dominants : d’un côté, le style classique où la linéarité, la stabilité, l’équilibre et l’ordonnance symétrique dominent et, de l’autre, le système baroque où règnent la couleur, le dynamisme, l’instabilité, la profondeur et une unité indivisible.

La notion d’excès dans l’histoire de l’art du XVIe au XIXe siècle s’est donc souvent établie à partir de cette opposition fondamentale. Ainsi, pour un adepte du classicisme, l’artiste baroque est toujours coupable d’émotivité excessive et, pour ce dernier, les œuvres d’un représentant du classicisme sont le résultat d’un trop grand rigorisme.

Aux sources de l’opposition classique/baroque

Leon Battista Alberti a été le premier théoricien à définir les caractéristiques de l’art classique. C’est en Italie, en 1435, qu’il publie son traité De pictura (De la peinture) où il établit les règles d’un art équilibré et celles de la perspective classique. Au XVIe siècle, les artistes Michel-Ange et Raphaël réalisent, dans la ville de Rome, des œuvres qui seront considérées par la postérité comme de parfaits chef-d’œuvres classiques, puisqu’ils appliquent les préceptes de l’imitation de la nature et de la statuaire antique.

À la suite de la Réforme protestante, le concile de Trente (1545-1563) tente de donner un nouvel élan au catholicisme avec la Contre-Réforme. Par les consignes du concile visant la peinture, les peintres se voient obligés de respecter les Écritures à la lettre dans leurs représentations. L’art officiel devient une déformation de la grande manière de Michel-Ange et de Raphaël et s’adresse avant tout au goût aristocratique de la cour pontificale et de l’élite. Ce style, que l’on nommera Maniérisme, est tout d’abord esthétique et se caractérise par des lignes serpentines, un éclairage artificiel et un raffinement qui, finalement, l’oppose complètement à la peinture classique de Raphaël ou de Michel-Ange.

Cependant, la Contre-Réforme réalise qu’un tel art n’a pas beaucoup de chance d’être compris par le peuple et recommande aux artistes de produire un art qui s’adresse à tous. C’est de cette consigne que naît l’art baroque, qui utilise l’émotion et le sentiment afin de communiquer sa signification. Cependant, les différentes applications qu’en fait l’Église sont plutôt ambiguës. En peinture et en sculpture, l’expression de l’extase ou du martyre est privilégiée alors que, dans les créations architecturales, l’effort de clarté est souvent abandonné au profit d’un style grandiloquent exprimant la grandeur et le triomphe de l’Église. On peut alors parler de «délires baroques»2.

Un très bel exemple de sculpture baroque qui pourrait être caractérisée d’excessive est L’extase de Sainte-Thérèse du Bernin créée entre 1645 et 1652 pour l’église Santa Maria della Vittoria à Rome. Dans cette œuvre, l’artiste a accentué l’effet dramatique en faisant se torde et tourbillonner les plis du vêtement plutôt qu’en les disposant majestueusement à la manière classique. De plus, le visage de la sainte, très expressif, peut donner l’impression de succomber à un tout autre plaisir qu’à celui de l’extase religieuse…

La Querelle du coloris

La division continue entre les artistes baroques et classiques s’illustre très bien par l’exemple de la querelle qui opposa, à Paris, les poussinistes, défenseurs du dessin, et les rubénistes, partisans de la couleur3. Si ce sont les peintres Pierre-Paul Rubens et Nicolas Poussin qui furent pris comme modèles et arguments dans cette querelle, c’est bien à leur insu, car tous les deux sont déjà décédés lorsque la dispute culmine entre 1671 et 1678. Souvent proposée par les historiens d’art pour illustrer la confrontation des courants classique et baroque en France, ladite «Querelle du coloris» tire ses racines du débat «disegno e colore» (dessin et couleur) qui eut cours en Italie au XVIe siècle4. La Querelle du coloris diffère pourtant du débat italien par le durcissement que prennent plus tard les différentes positions défendues.

Pierre-Paul Rubens est un Flamand qui s’établit en France entre 1622 et 1630 afin de concevoir 24 tableaux commandés par la reine Marie de Médicis. Les créations du peintre sont en tous points baroques puisque celui-ci utilise des couleurs chatoyantes et un style triomphal, lyrique et chaleureux. De son côté, le peintre français Nicolas Poussin vit la majorité de sa carrière à Rome. Il est nommé premier peintre du roi par Louis XIII et Richelieu. Le choix de sujets intellectuels pour ses œuvres et sa volonté de reproduire le beau idéal font de lui le principal représentant du classicisme français. Sous le règne de Louis XIV, il est considéré comme le plus grand peintre vivant et il incarne la raison, la mesure et la rigueur face au «mauvais goût» du baroque personnifié par Rubens. Son principal admirateur est le peintre Charles Le Brun qui lui succède en tant que premier peintre du roi.

C’est le même Le Brun, responsable de la décoration du palais de Versailles, ainsi que d’autres peintres attachés à la Cour qui suggérèrent à Louis XIV de fonder l’Académie royale de peinture et de sculpture, qui voit le jour en 1648. Centralisant la production artistique, l’Académie se doit de glorifier les actes héroïques du souverain. Afin de répondre à cet idéal, la peinture d’Histoire est placée au sommet de la hiérarchie des genres et, de ce fait, le dessin et ses lois sont adoptés comme méthode d’enseignement et de pratique picturale officielle. Critiquer cette doctrine revient donc à un crime de lèse-majesté, puisque s’opposer au dessin, c’était s’opposer au roi5.

C’est à la suite d’une longue absence de Charles Le Brun, alors directeur de l’Académie, que prend place la «cabale» des coloristes en 1671. Roger de Piles, ardent défenseur de la suprématie des œuvres de Rubens sur celles de Poussin, prend la parole dans les conférences publiques de l’Académie royale. L’année suivante, il publie «Dialogue sur le coloris» où il démontre par une rhétorique audacieuse la supériorité de la couleur sur le dessin. Malgré les résistances de l’Académie (un pamphlétaire est embastillé en 1678 pour avoir porté atteinte à la «déesse peinture»), le marché de l’art et les évènements politiques donnent raison à de Piles, qui triomphe en 1699 avec la parution de son traité du Peintre parfait et sa nomination au poste de Conseiller honoraire de l’Académie royale de peinture et sculpture.

Héritage et postérité

Cette victoire ultime des rubénistes sur les poussinistes eut des répercussions sur l’ensemble des arts français jusqu’au milieu du XIXe siècle. Succédant au classicisme, le style baroque français se transforma, sous les gouvernements du Régent puis de Louis XV, en style Rococo. Cet art léger, gai et mondain, présent dans l’architecture, les arts décoratifs et la peinture, avait pour but de satisfaire les désirs des sens. Contrairement à l’aspect monumental du baroque, le rococo est un style intimiste qui n’a pas la prétention de mettre sa grandeur au service de Dieu ou du roi. Le rococo, synonyme de grâce, est un art fantaisiste qui transforme les éléments de la nature en lignes sinueuses et serpentines6. Son principal représentant dans la peinture française est Jean Honoré Fragonard. Les tableaux de Fragonard mettent souvent en scène son thème de prédilection : la conquête amoureuse.

Néanmoins, un art exaltant le plaisir à ce point eut pour conséquence de susciter de vives réactions. Au milieu du XVIIIe siècle, suite à la redécouverte des villes d’Herculanum (1713) et de Pompéi (1748), un retournement de situation se produit dans l’ensemble de l’Europe où apparaît la mode antiquisante. De plus, l’Allemand Johann Joachim Winckelmann publie en 1755 son très fameux traité intitulé Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques dans la peinture et la sculpture. Dans ce texte, qui aura un retentissement international, Winckelmann définit les qualités de l’art grec dans la formule suivante : «noble simplicité et calme grandeur». En France, des académiciens comme Voltaire et Lafont de Saint-Yenne plaident également pour un retour aux formes et aux thèmes du passé7. Par ailleurs, en voulant rompre avec le passé monarchique, la Révolution française de 1789 encourage les artistes à exalter dans leurs œuvres des thèmes liés à la vertu, à la morale républicaine et à l’incorruptibilité. À partir de ce moment, c’est donc le mouvement néoclassique qui devient le nouveau style officiel de l’Académie. Cependant, la rigidité de la doctrine néoclassique, représentée dans la personne de l’omnipotent peintre Jacques Louis David, fut contestée au début du XIXe siècle par une nouvelle génération d’artistes : les romantiques.

Conclusion

C’est donc par une alternance entre les styles classique et baroque, ainsi que par leurs dérivés (le rococo, le néoclassicisme et le romantisme), qu’évoluera la peinture française, voyageant constamment d’un extrême à l’autre. Au milieu du XIXe siècle, les arts néoclassique et romantique seront détournés par l’Académie. Cela engendrera un style dont l’appellation péjorative dit bien le mépris que les artistes des Avant-gardes ressentent à son égard: le style Pompier. Dans la deuxième partie du XIXe siècle, à une époque où les révolutions sociales et technologiques prennent le devant de la scène, les artistes de mouvements originaux comme le réalisme, l’impressionnisme et le symbolisme éprouvent une indifférence hautaine envers la peinture réalisée par les peintres académistes.

Au XXe siècle, il est souvent suggéré que le débat entre les partisans de la ligne et ceux de la couleur se prolonge dans l’opposition entre les artistes en faveur d’un expressionnisme pictural et les artistes qui prêchent pour un art provenant avant tout de l’idée (art conceptuel). Évidemment, 100 ans de création au XXe siècle ne sauraient se résumer dans cette unique opposition, mais c’est avec plaisir que nous nous proposons de revenir sur le sujet par le biais d’un futur article portant sur cette question.

Notes (cliquez sur le numéro de la note pour revenir au texte)

1. Valentina Anker, «Baroque» in Connaissance de la peinture. Courants, genres et mouvements picturaux, In Extensio, Paris, Larousse, 2001, p. 49.
2. Élizabeth Lièvre-Crosson, Du baroque au romantisme, Toulouse, Essentiels Milan, 2003, p. 13.
3. Valentina Anker, «Baroque» in Connaissance de la peinture. Courants, genres et mouvements picturaux, In Extensio, Paris, Larousse, 2001, p. 54.
4. «Ce débat oppose les partisans « classiques » du designo (dessin) et les « baroquisants » qui affirment la supériorité du colore (couleur)». Pierre Francastel, «Classique et baroque» in L’art français III. Ancien Régime, 1620-1775, Flammarion, Paris, 1995, p. 80.
5. Martine Lacas, «Rubens et la Querelle du coloris», Connaissance des arts, no 615, avril 2004, p. 92.
6. Élizabeth Lièvre-Crosson, Du baroque au romantisme, Toulouse, Essentiels Milan, 2003, p. 27.
7. Dans Le siècle de Louis XIV (1752), Voltaire prie les artistes d’être «des peintres d’Histoire et non plus des auteurs de bambochades ou simplement de portrait, de natures mortes».

Une réponse sur “Classicisme contre baroque : un combat d’excès”

  1. Bonjour,
    Nous sommes de jeunes chercheurs intéressés par l’art et la sculpture baroque.
    Nous aimerions en savoir un peu plus sur ce sujet car nous préparons une thèse de fin d’année.
    Pourriez vous nous indiquer plusieurs lieux où nous pourrions nous informer sur ce sujet et d’autres informations relatives au baroque.
    Cordialement,Louli

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