C’est le 28 juillet dernier que le nouveau Président péruvien entrait officiellement en fonction. Alan García. Ce même Alan García, qui âgé de 36 ans lors des présidentielles de juillet 1985, devenait le plus jeune président de l’histoire du Pérou. Ce même García qui affichait une popularité record au cours des deux premières années de son mandat (avec un appui de près de 80% de la population) et que l’on qualifiait de « pire gouvernement jamais connu » quelque cinq ans plus tard. Coup d’œil rapide sur le personnage et sur les leçons à tirer de cette élection dans le contexte sud-américain actuel.
Alan Gabriel Ludwig García Pérez, dit Alan García, voit le jour le 23 mai 1949 dans la ville de Lima. Issu d’une famille de classe moyenne étroitement liée au Parti APRA (Alliance Populaire Révolutionnaire Américaine), García suit la trace de ses parents, rejoignant les rangs de la « Federación Aprista Juvenil » (Division juvénile de l’APRA) à l’âge de 17 ans. Il obtient sa licence en Droit en 1971, puis part pour l’Europe afin de compléter des études doctorales en sciences politiques à Madrid. Désireux de parfaire sa formation, il s’inscrit à l’Université de Paris où il obtient une licence en sociologie.
Il demeurera quelques années en France, jusqu’à ce que Victor Raùl Haya de la Torre, celui-là même qui fondait l’APRA 50 ans plus tôt, lui propose de poursuivre sa carrière politique au Pérou. Candidat aux présidentielles de 1985, Alan García remporte aisément les élections, devenant ainsi le plus jeune président de l’histoire du pays.
Captivant les foules avec son charisme, son habilité à synthétiser les contenus populistes et le radicalisme de ses propos, García arrive à la tête d’un pays où le modèle libéral n’a pas tenu ses promesses d’efficacité. Il tiendra tête aux organisations financières internationales, allant jusqu’à menacer d’exclure son pays du Fond Monétaire International si celui-ci ne révise pas ses positions quant à l’endettement des pays sous-développés. S’ensuivent des nationalisations et des mesures sévères contre l’évasion fiscale. Bref, García applique des mesures historiquement défendues par son Parti. Il semble pourtant que la conjoncture ne s’y prête pas. Et si d’un côté García et son Parti bénéficient d’un solide appui populaire, la hargne des organisations financières face à ce pays que l’on qualifie désormais d’ « enfant terrible » porte son lot de conséquences : le FMI, la Banque Mondiale et la Banque Interaméricaine de Développement décident en bloc de couper les crédits au pays. La détérioration de l’économie du pays est inévitable. À titre indicatif, l’inflation passe de 120% en 1987 à 1722% en 1988 ; puis de 2776% en 1989 à 7649% en 1990. Parallèlement, le mouvement terroriste « Sentier Lumineux » multiplie ses attaques, ce qui n’aide certainement pas García à redorer son blason, lui qui avait fait de la lutte antiterroriste son cheval de bataille lors de la campagne électorale de 1985. Et comme si ce n’était pas assez, García doit maintenant faire face à des accusations de corruption. Nombreux sont ceux qui qualifient alors l’administration de « pire gouvernement que le pays ait connu ». En 1990, García passe le flambeau à Alberto Fujimori, promettant de ne plus jamais se représenter à la présidence du pays.
Pourtant, il réapparaît sur la scène politique aux élections générales de 2001 mais ne parvient pas à devancer Alejandro Toledo qui réanime habilement le sentiment d’appartenance chez les indigénistes. Il faudra attendre les élections de 2006 pour le véritable retour de celui que l’on a surnommé le « caballo loco » (le cheval fou). Dans les faits, la nomination de García face à Ollanta Humala de l’Union pour le Pérou illustre avec force le phénomène de l’élection pour le moindre mal. Au premier tour, Ollanta Humala obtient 30,62% des voix alors que García tire de l’arrière avec 24,33% des voix. Toutefois, il semble qu’une bonne partie de la population craigne l’arrivée au pouvoir du « chaviste » Humala, et le deuxième tour projette García à la présidence avec un peu plus de 52% des voix.
Comment interpréter cette élection dans le contexte sud-américain actuel ? Tout d’abord, les affirmations ponctuelles d’Hugo Chavez suscitent quelques interrogations. C’est qu’un étrange phénomène est en train de se produire en Amérique du Sud, et qui échappe à plusieurs optimistes qui pourraient croire en une union politique plus ou moins solide entre les gauches sud-américaines. C’est plutôt d’une rivalité des gauches qu’il est approprié de parler : une gauche qualifiée de « bolivarienne », d’un côté, avec Chavez à sa tête talonné par Evo Morales en Bolivie et appuyé par Fidel Castro ; puis une gauche plus modérée s’appuyant sur l’État pour redistribuer les richesses avec les Lula da Silva (Brésil), Nestor Kirchner (Argentine), Tabaré Vazquez (Uruguay) et autres. Le jeune García aux idées révolutionnaires des années 1980 viendrait-il aujourd’hui faire pencher la balance en faveur de Chavez ? Pas exactement, car le radicalisme de l’APRA a perdu de sa vivacité avec les années et Chavez n’a pas manqué d’affirmer sa préférence pour le candidat de l’Union pour le Pérou, qualifiant même García de « voleur du dimanche » (ladrón de cuatro esquinas). García lui donnait la réplique, taxant le président vénézuélien de « sans vergogne ». Et Chavez poussait l’effronterie jusqu’à affirmer : « Je demande à Dieu que ne soit pas président du Pérou l’irresponsable, le démagogue, le menteur et le voleur qu’est Alan García ». À la suite de sa victoire, García n’hésitait pas à affirmer que « l’unique vaincu » de cette élection « n’a pas de passeport péruvien », faisant clairement référence à Chavez. Il semble donc que le Venezuela ait perdu un autre pion dans la région. Reste à voir de quel côté basculeront le Brésil (1er octobre 2006) et l’Équateur (15 octobre 2006). À moins que la « bête noire » de Washington ne soit elle-même éclipsée lors des prochaines élections du Venezuela le 3 décembre prochain…