Cette année, le Forum social mondial a été remplacé par une journée d’action visant à dénoncer le néolibéralisme. Plusieurs observateurs ont profité de l’occasion pour faire le point sur les succès et les échecs des altermondialistes. Dans le cadre d’une série de deux articles abordant cette problématique, nous expliquons d’abord pourquoi il est aujourd’hui nécessaire pour la mouvance altermondialiste de remettre en question sa modalité d’action. Le second article de la série soulignera pour sa part la récente contribution de l’altermarxisme à cette remise en question.
«La neige brûle… partout au Québec!»
En remplacement du Forum social mondial (FSM), la mouvance altermondialiste a décidé cette année de lancer un appel à une journée d’action planétaire visant à dénoncer le néolibéralisme. Près d’un millier d’activités ont ainsi été inscrites à l’horaire de la journée sur le site Internet du FSM. Au Québec, c’est avec originalité que l’événement a pris le nom de «La neige brûle… partout au Québec!».
Tout comme l’organisation du Forum social québécois en août dernier, l’organisation de la journée d’action du 26 janvier s’est avérée un franc succès. Ce fut l’occasion pour les citoyens québécois de réaffirmer leur allégeance à la défense des droits collectifs, de la paix et de l’environnement, et ce aussi loin qu’en Abitibi-Témiscamingue où une centaine de personnes se sont réunies dans la ville d’Amos pour exprimer leur solidarité.
La région montréalaise fut pour sa part le théâtre d’une manifestation altermondialiste qui s’est poursuivie dans la nuit grâce à une fête organisée dans les locaux de la Société des arts technologiques. Les syndicats furent présents lors de cette journée, en particulier la Confédération des syndicats nationaux (CSN) qui profita de l’occasion pour réaffirmer le droit de grève au Québec, de plus en plus restreint dans le secteur public. Il est étonnant à cet égard de constater que la capitale nationale, pourtant particulièrement touchée par les mesures antisyndicales du gouvernement libéral de Jean Charest, ait été l’une des seules grandes villes du Québec à ne pas avoir tenu d’activités!
Une remise en question nécessaire
Si les points positifs à retenir des actions du 26 janvier sont nombreux, ils ne doivent toutefois pas éloigner la mouvance altermondialiste de sa nécessaire remise en question. Soulignons notamment que seules 300 personnes ont participé à la manifestation montréalaise, bien peu pour une mouvance qui prétend contribuer à la réalisation d’um outro mundo.
Au-delà de cette faible participation, c’est la modalité d’action de la mouvance altermondialiste qui doit être repensée. Voilà plus de sept ans que la contestation altermondialiste s’est institutionnalisée sous la forme des forums sociaux, ces espaces de discussion qui ont pour mission de diffuser des savoirs et des valeurs différents de ceux qui dominent actuellement nos sociétés. Les résultats de ces réunions annuelles sont en effet bien maigres.
Plutôt que d’être un moteur de changement social, de plus en plus de participants réalisent maintenant que l’organisation de ces forums est un véritable vacuum où, année après année, s’engouffrent vainement les énergies et les ressources de milliers d’activistes. L’événement se pose effectivement comme une fin en soi, les changements sociaux ne devant découler que comme des conséquences secondaires du réseautage qui s’y fait.
La formule des forums centraux polycentriques, essayée en 2006, est un signe que les organisateurs ont bel et bien pris acte de la nécessité d’une nouvelle formule. Bien qu’elle ait permis de rejoindre de nouvelles populations, la formule n’a pas été répétée en 2007 alors que le FSM s’est tenu à Nairobi. Elle n’a pas non plus été répétée cette année, où l’absence du FSM ne manque pas de souligner l’impasse temporaire dans laquelle la mouvance altermondialiste se retrouve aujourd’hui.
Sortir des nuages
La mouvance altermondialiste, souligne l’ancien militant guévariste Miguel Benasayag dans un article du Magazine Littéraire, est née «directement avec une sorte d’incorporation du deuil de la fonction du pouvoir comme lieu de changement de la société. Quelque chose est entériné par ces gens et relève désormais presque du sens commun1».
Jusqu’à présent, le projet altermondialiste a en effet consisté à délaisser la scène politique au profit de l’organisation réticulaire d’actions individuelles. Impressionnés par la rapidité avec laquelle des activistes ont pu, grâce à Internet, alerter l’opinion publique et ainsi faire échouer l’Accord multilatéral sur l’investissement en 1998 (AMI), les altermondialistes se sont accrochés à l’idée qu’il est possible de faire découler d’un intense réseautage transnational un changement social qui dépasserait la simple somme des actions individuelles. Le titre de l’ouvrage de John Holloway, Change the World Without Taking Power: The Meaning of Revolution Today, rend bien compte de cet état d’esprit qui refuse toute action ciblant directement le pouvoir.
Depuis l’avènement du premier FSM en 2001, la mouvance altermondialiste a toutefois peu pesé sur les décisions prises par les dirigeants politiques. Si, comme le rappelle le slogan de la journée d’action du 26 janvier dernier, «la défense des droits collectifs, de la paix et de l’environnement» figure à l’avant-plan des revendications de la mouvance altermondialiste, nous sommes aujourd’hui bien obligés de prendre acte de son échec.
Dans presque tous les gouvernements du monde occidental, la droite a progressé. Près des Québécois et des Québécoises, rappelons d’abord la première élection de Jean Charest à la tête de la province en 2003, puis sa réélection en 2007. L’année 2004 fut marquée par la réélection de George W. Bush à la présidence américaine, et l’année 2005 par l’élection de la conservatrice Angela Merkel à la chancellerie allemande, considérée depuis comme la femme la plus puissante du monde par le magazine américain Forbes. Le tout aussi conservateur Stephen Harper remportait les élections fédérales canadiennes en 2006 et, l’an dernier, en 2007, Nicolas Sarkozy briguait avec succès la présidence française.
Alors que ces dirigeants politiques ont grandement fait reculer les droits collectifs en Europe et en Amérique, les manifestations citoyennes dénonçant les guerres d’Afghanistan et d’Irak n’ont pas été suffisantes pour contrer le projet impérialiste américain, malgré leur nombre et leur ampleur. L’opposition à ce projet et la lutte au néolibéralisme constituent pourtant les deux principales orientations axiologiques de la mouvance altermondialiste.
On aurait à tout le moins pu s’attendre à ce que l’action de la mouvance altermondialiste en matière d’environnement ait donné des résultats plus réjouissants, mais même la mise en oeuvre du déficient Protocole de Kyoto tarde encore à se concrétiser. Il y a pourtant plus de dix ans que 180 pays à travers le monde l’ont signé…
Il devient manifestement nécessaire de réfléchir sur ce qui fait défaut à la modalité d’action de la mouvance altermondialiste. C’est par le fait même sa compréhension de la réalité sociale qu’il faut repenser. À ce titre, «l’altermarxisme», objet du second article de la série, constitue l’une des contributions les plus notables de la dernière année.
Notes
1. Miguel Benasayag, « Agir local, penser local », Le Magazine Littéraire, no436, novembre 2004, p. 60