Réforme du FMI et pays en développement: attendez votre majorité pour obtenir le droit de voter

La nécessité d’intégrer davantage les pays en développement au processus décisionnel du Fonds monétaire international (FMI) figure au cœur de la réforme de cette institution. E n septembre 2006, les membres du Fonds monétaire international ont approuvé l’augmentation du nombre de votes accordés à la Chine, à la Corée du Sud, à la Turquie et au Mexique au Conseil d’administration du FMI. Mais malgré cette réforme, la sous-représentation des pays en développement dans le processus décisionnel et la définition des critères d’attribution des droits de vote au sein de cette institution demeurent problématiques. Regard sur les origines et les motivations de la réforme qui devrait suggérer aux pays en développement une voie à suivre pour obtenir… plus de voix.

Lumière du ciel (Skylight)
Angelo Juan, Lumière du ciel
(Skylight)
, 2007
Certains droits réservés.

Un vieux problème

La sous-représentativité des pays en développement au FMI est un phénomène bien réel puisque le mode de prise de décision au sein de cette institution obéit au principe «1 dollar, 1 voix». Autrement dit, la répartition des droits de vote au Conseil d’administration dépend du montant de la cotisation des États membres. Chaque pays membre reçoit un minimum de droits de vote (voix de base), majorés d’une voix pour chaque fraction de la quote-part équivalent à 100.000 DTS(2). Or, entre 1944 et 1995, la part des «voix de base» dans le total des voix est passée de 11,3% à 2%. Cette situation résulte des augmentations successives imposées aux quotes-parts qui ont accru de façon proportionnelle le nombre de voix allouées aux États membres selon leur cotisation. De facto, le poids des pays en développement s’en est trouvé réduit.

La revendication des pays en développement pour une représentativité plus démocratique au sein du FMI n’est pas un problème récent. D’une part, elle s’inscrit dans le sillage du mouvement des «non-alignés» qui date des années 1970. D’autre part, elle gagne en importance à la suite de la crise de la dette des années 1980 alors que de nombreux pays en développement deviennent de gros clients de l’institution. Ceux-ci doivent en effet se soumettre aux conditions du FMI qui réclame, en contrepartie de ses investissements, la mise en place de réformes et de politiques économiques basées uniquement sur la «philosophie» de ses membres influents. L’obtention de plus de pouvoir décisionnel au sein de l’institution permettrait donc aux pays en développement de se prononcer sur les décisions qui les concernent au premier chef.

Cependant, le groupe des pays en développement est très hétéroclite. On y trouve autant des pays très pauvres, mineurs par leur niveau de développement et leur importance économique, que des pays émergents dont l’apport dans la production et le commerce mondial est comparable à celle de certains pays développés, mais qui sont encore en passe d’atteindre la majorité économique. Malgré leur importance relative, la représentation des pays émergents – environ 20% des quotes-parts – n’est pas plus fidèle à la réalité de l’économie mondiale.

La quote-part dans les déséquilibres financiers internationaux comme déterminant des droits de vote

La crise asiatique de 1998, ainsi que les crises qui ont frappé d’autres pays émergents tels que l’Argentine, le Brésil ou la Turquie, ont ouvert le débat sur une nouvelle architecture du système monétaire international. Sans en être l’objectif premier, la revendication d’un nouveau mécanisme d’attribution des droits de votes s’y est greffée. Trois faits importants justifient cette remise en question du système. Tout d’abord, l’ampleur des pertes financières subies par ces pays et leurs partenaires, ainsi que l’ampleur des sommes mobilisées par le FMI pour effectuer leur sauvetage. Ensuite, les ratés des interventions du FMI et le manque de coordination des acteurs financiers (investisseurs, États, etc.) Enfin, la prise de conscience que les interdépendances entre les places financières internationales peuvent avoir des conséquences majeures sur l’économie réelle en cas de crise, à cause du phénomène de contagion(3).

Cependant, c’est vraisemblablement le spectre de la crise de 1929 qui a mené à poser des actes concrets. En effet, les soupçons de manipulation des taux de change pesant sur certains pays d’Asie, principalement la Chine(4), ne sont pas sans rappeler la compétition déloyale et les tentations protectionnistes observées durant la période de l’entre-deux-guerres. En intervenant sur le marché des changes, un pays peut faire en sorte que tous les produits qu’il exporte soient artificiellement moins chers que les produits de ses concurrents. Une telle stratégie permet à un pays d’inonder les marchés étrangers tout en protégeant son marché intérieur de la compétition des produits importés, devenus trop chers pour les populations locales. Poussée à l’extrême, une telle concurrence mène à une perte de marchés pour les concurrents, la fermeture d’entreprises dans les industries concernées, des pertes d’emploi, etc. En guise de réponse, les pays lésés peuvent opter pour une attitude protectionniste et choisir de fermer leurs frontières aux produits étrangers de manière à protéger leurs industries. Ce mécanisme, à l’œuvre à la fin des années 1920, a précipité la Crise économique dont les conséquences ne sont pas étrangères au déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale.

Actuellement, les signes apparents de la manipulation des taux de changes seraient le renforcement des déséquilibres financiers internationaux, par exemple le déficit abyssal de la balance courante des États-Unis ou les accumulations gargantuesques de réserves de changes par des pays d’Asie.

Avec le pouvoir viennent les responsabilités

Convaincre la Chine de respecter les règles du jeu de la libre concurrence nécessite une plus grande implication de ce pays dans le système monétaire international. Cette intégration implique une augmentation des droits de vote de la Chine au sein du FMI à hauteur de son «importance systémique». En septembre 2006, les 184 membres du Fonds monétaire international ont finalement approuvé l’augmentation des droits de votes de quatre pays: la Chine, la Corée du Sud, la Turquie et le Mexique. Mais comme le faisait remarquer Tiff Macklem, sous-gouverneur à la Banque du Canada, «l’importance de la voix accordée à un pays va de pair avec la responsabilité qui lui est dévolue(5)». Ainsi, adhérer aux règles du FMI veut aussi dire accepter d’être contrôlé et rappelé à l’ordre si nécessaire.

Même à mi-chemin, cette réforme, attribuant plus de votes à quelques pays, est loin de résoudre le problème fondamental puisque les critères d’attribution des droits de vote n’ont pas été modifiés. Au contraire, elle aggrave les disparités déjà existantes puisque la participation des 47 pays d’Afrique subsaharienne membres du FMI passe de 5% à 2,5%, alors que celle des principaux actionnaires reste inchangée (17% pour les États-Unis, 32% pour l’Union Européenne). Pour les pays qui aspirent à l’obtention de plus de votes, le message semble clair: continuez l’application des réformes prescrites, suivez l’exemple des pays émergents et espérez qu’un jour votre importance dans le système économique mondial sera ressentie.

Notes

(1) Et celle de la Banque Mondiale par un Américain.
(2) Le droit de tirage spécial (DTS) est un avoir de réserve international créé par le FMI. Les DTS sont alloués à chaque État membre en proportion de sa quote-part. Le DTS sert aussi d’unité de compte au FMI et à plusieurs autres organisations internationales. Sa valeur est déterminée en fonction d’un panier des principales monnaies internationales.
(3) Chute du niveau de vie, augmentation du taux de chômage, contraction de l’investissement, etc.
(4) A cause de la sous-évaluation artificielle du yuan.
(5) T. Macklem. Le renouvellement du FMI: enseignements tirés de la modernisation des banques centrales, allocution prononcée devant le Global Interdependence Center, à Philadelphie (Pennsylvanie), le 9 mars 2006.

Références

Banque mondiale, FMI et développement.
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/banque-mondiale-fmi/index.shtml. Consulté le 14 Mars 2006
D. Dodge. L’ordre monétaire international en mutation et la nécessaire évolution du FMI, discours prononcé la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs Princeton (New Jersey),le 30 mars 2006.
Vijay Kelkar et autres. «Reforming the Governance of the International Monetary Fund». Dans The World Economy, Vol. 27, Mai 2004, p. 727.
T. Macklem. Le renouvellement du FMI: enseignements tirés de la modernisation des banques centrales, allocution prononcée devant le Global Interdependence Center, à Philadelphie (Pennsylvanie), le 9 mars 2006.
R. de Rato. «Shared Responsibilities: Solving the Problem of Global Imbalances», à University of California at Berkeley (Berkeley), 3 Février 2006.
Statuts du Fonds monétaire international.
http://www.imf.org/external/pubs/ft/aa/fre/index.htm. Consulté le 14 Mars 2007
IMF Members’ Quotas and Voting Power, and IMF Board of Governors
http://www.imf.org/external/np/sec/memdir/members.htm. Consulté le 14 Mars 2007

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