Longtemps, les jeux vidéo eurent mauvaise presse auprès du monde médical et du grand public. En réponse à ce dénigrement, l’image des scientifiques n’était pas toujours épargnée par les concepteurs de jeux. Ils ont grassement été dépeints comme des personnages ridicules et pas toujours sains d’esprit. Depuis, le rapport entre ces deux mondes a beaucoup évolué et, à l’âge de maturité de ce loisir numérique, le temps de la réconciliation est venu. Aujourd’hui, des chercheurs utilisent même ce média comme laboratoire d’étude.
Des scientifiques accouchent du premier jeu vidéo
Pourtant ce sont bel et bien eux, ces scientifiques loin des modes et des tendances, qui ont mis au monde les jeux vidéo. OXO fut le premier. Un jeu de morpions sur ordinateur EDSAC (Electronic Delay Storage Automatic Computer), apparu en 1952. Il a été créé par Alexander S. Douglas à l’Université de Cambridge afin d’illustrer sa thèse sur l’interaction homme-ordinateur. Il s’agit du premier jeu électronique et graphique répertorié. Vint ensuite le plus célèbre Tennis For Two, développé en 1958 par le physicien Willy Higinbotham pour distraire les visiteurs du laboratoire national de Brookhaven à New York. En reliant un oscilloscope à un ordinateur, Higinbotham propose une sorte de tennis simplifié où deux adversaires doivent renvoyer une balle au-dessus d’un filet à l’aide de deux contrôleurs.
À partir des années 60, les initiatives se multiplient. Dans les années 80, les jeux vidéo se démocratisent et, très vite, les premiers détracteurs se font entendre. La pratique de ces jeux induirait des dépendances, couperaient les jeunes de toute vie sociale 1 et les rendraient myopes. Aux États-Unis, les scientifiques les montrent du doigt, les soupçonnant d’être responsables des troubles articulaires du pouce! Ces idées demeureront tenaces: récemment encore ce loisir fut accusé d’être responsable de la chute du taux d’alphabétisation des jeunes Anglais 2. Le rapport reste complexe: d’un côté, la science a permis le développement de ce média, de l’autre, elle le dénigre avec virulence.
L’image du scientifique dans le monde videoludique 3
Comment ces scientifiques, pas toujours très tendres envers les jeux vidéo, sont-ils perçus dans ce monde virtuel? En réponse à la mauvaise presse relayée par la communauté scientifique, les créateurs de jeux vidéo n’ont pas ménagé leur image. Il semblerait que les jeux vidéo n’aient pas terminé leur crise d’adolescence ni coupé les liens avec leur concepteurs. Quoiqu’il en soit, un constat s’impose: les scientifiques y sont omniprésents.
Depuis longtemps dans l’histoire des jeux vidéo, le personnage du scientifique véhicule deux images de manière récurrente, aucune d’entre elles n’est très favorable. En résumé, le scientifique est représenté comme «méchant» ou en tant que «gentil geek 4». Ces deux nominations sont très proches dans leurs représentations, c’est-à-dire sous la forme de la caricature. Les personnages accumulent ainsi tous les clichés: le port des lunettes, de la blouse blanche, utilisant un langage très, voire trop technique et ayant toujours une feuille remplie de graphiques ou d’équations à portée de main.
Les scientifiques définis comme «méchants» sont souvent diaboliques, mettant à profit leurs découvertes à des fins personnelles, le plus souvent dénuées de morale, par exemple dans un désir de contrôle sur tout être vivant. Parmi les plus célèbres représentant, nous pouvons citer le Dr Robotnik dans la série des Sonic, le fameux hérisson bleu de Sega ou encore le Dr Cortex un des personnages principaux des jeux Crash bandicoot (Naughty Dog). Ces scientifiques sont souvent fous, mégalomanes et peu compétents. Certains, tel le Dr. Wily dans Megaman (Capcom), iront même jusqu’à voler les inventions de leurs confrères plus talentueux.
Les «gentils» scientifiques sont quant à eux présentés comme timides, craintifs et réservés. Ils se posent souvent comme un frein à l’aventure. Associables, ils sont généralement les personnages les moins appréciés du jeu, aussi bien par les autres personnages que par le joueur lui-même. Chaque épisode de la série culte des Zelda de Nintendo met d’ailleurs en scène au moins un scientifique en forçant un anachronisme. Ou encore, comment oublier ces chercheurs en blouse, courant dans tous les sens, affolés par les fusillades entre James Bond et les soldats russes dans GoldenEye 007?
Metal Gear Solid est un jeu où l’on se glisse dans la peau d’un soldat d’élite sur la console Playstation de Sony. Dans son scénario intervient un scientifique sur lequel il est intéressant de se pencher. Au cours des quatre épisodes de la série, mis en vente de 1998 à 2008, Otacon, un ingénieur en robotechnologie et docteur en philosophie, a vu son importance évoluer. Il intervient d’abord comme un cerveau certes, mais crédule et manipulé par les ennemis du héro pour créer une arme nucléaire surpuissante. Il finira, dans le dernier opus, allié de Solid Snake, le héro incarné par le joueur. Sans blouse ni lunettes, le personnage revient avec plus de charisme et avec un courage renouvelé. En quelques épisodes, le savant désuet, exclu et passif, devient un homme actif, impliqué dans la quête du jeu. La métamorphose s’est opérée.
Ce cas illustre une évolution réelle de l’image du scientifique. En effet, de nos jours le cliché vieillot du savant fou et en marge de la société se modifie, et le monde des jeux vidéo est la vitrine de cette transformation, comme le montre son rôle dans les productions videoludiques récentes. Tout d’abord le personnage du scientifique est utilisé pour crédibiliser un scénario en apportant des explications logiques et concevables à des phénomènes pas toujours naturels. Il est également un des personnages clés dans la réussite du jeu. La meilleure illustration vient du Dr Gordon Freeman dans la série des Half-life, un scientifique intrépide et surarmé sauvant la terre de terribles aliens.
Pour les joueurs, le scientifique représente désormais la personne de confiance. Essentiel à tout scénario qui se respecte, il est un outil indispensable aux titres qui se veulent sérieux, plausibles et bien souvent plus immersifs. Les grands noms de l’industrie ne se sont pas trompés, car peu de titres aujourd’hui ne sortent sans qu’un Dr X n’intervienne dans leurs productions. Parmi les dernières superproductions on peut citer Assassin’s creed d’Ubisoft, Command and conquer generals d’Electronic Arts, Bioshock de 2K Games, Resident Evil 4 de Capcom, etc. La liste est longue. Dans ces jeux, le scientifique n’est pas toujours parmi les bons, mais son portrait est maintenant plus fidèle à la réalité. Dans Crysis d’Electronic Arts, élu jeu de l’année 2007 sur PC, le héro, encore un soldat d’élite, sauve une archéologue moulée dans un jean sexy. On est loin du vieux et moustachu Dr Wily présenté dans les années 80 sur la console de Nintendo.
Comment, à leur tour, les scientifiques profitent des jeux vidéo
L’image du scientifique est en pleine mutation. Les incompréhensions et les tensions entre l’industrie videoludique et les scientifiques se dissipent. Les jeux vidéo sont devenus des «outils intéressants» d’après l’épidémiologiste Nina Fefferman, PhD de l’Université de Princeton. Elle utilise même World of Warcraft, célèbre jeu de rôle massivement multi joueurs, comme outil de recherche 5. Ce type de jeu met en scène des dizaines de milliers de joueurs connectés en temps réel via Internet dans un monde virtuel et persistant. À travers ses études épidémiologiques, elle a réussi à mettre en évidence un nouveau comportement défini comme le «facteur stupidité», en s’intéressant à une maladie in game s’étant propagée de manière incontrôlable et inattendue à cause de certains joueurs curieux, mal informés et quelque peu stupides, dit-elle. Ce phénomène observé dans ce monde virtuel a permis d’affiner les modèles de propagation de virus bien réels.
Dans un autre registre sont apparus de multiples projets à but éducatif initiés par des scientifiques, appelés serious games. Telle la Federation of American Scientists qui offre Immune Attack, un jeu vidéo qui réduit le joueur à l’échelle cellulaire et l’oblige à une compréhension du système immunitaire. Ou encore le programme d’entraînement cérébral du Dr Kawashima, best seller développé par Nintendo qui, moyennent une utilisation quotidienne, améliorera vos capacités cérébrales comme votre mémoire 6. Le tout approuvé par la Tohoku University School Of Medecine, dont fait partie le fameux docteur.
Le monde académique commence par ailleurs à réaliser que le jeu vidéo «soulève beaucoup de problèmes scientifiques nouveaux et passionnants. C’est un terrain d’expérimentation très stimulant», comme l’estime le Dr Pascal Estraillier, professeur en sciences informatiques à l’Université de La Rochelle 7, sans compter que les technologies mises au point par l’industrie du jeu vidéo peuvent faciliter le travail des scientifiques dans de nombreux domaines. En atteste par exemple la mise en série par certaines équipes de recherche de consoles Playstation 3, avec leur puissant processeur Cell en guise de supercalculateur.
Vingt ans après l’essor des jeux vidéo, à la suite d’une période de doute et de méfiance, le monde vidéoludique a su apprivoiser le domaine scientifique. De beaux jours s’annoncent pour ces deux acolytes qui ne sont pas près de se séparer, bien au contraire…
Notes (cliquez sur le numéro de la note pour revenir au texte)
1. La politique incarnée du rap. Socio-anthropologie de la communication et de l’appropriation chansonnières, Thèse pour le doctorat de sociologie de EHESS ,soutenue à Paris le 12 décembre 2003. L’EHESS est l’École des Hautes Études en Sciences Sociales.
2. PECQUEUX, A. Voix du rap. Essai de sociologie de l’action musicale, «Anthropologie du monde occidental» SI REVUE, TITRE ENTRE GUILLEMETS ET NOM DE REVUE EN ITALIQUE, DONC L’INVERSE, Éditions de l’Harmattan, Paris, 2007.
3. Voir à ce sujet le passionnant tableau qu’en livre Jacques Cheyronnaud pour le XIXème siècle: CHEYRONNAUD, J. Des airs et des coupes : la Clé du Caveau. Introduction à une histoire de la chanson en France au XIXème siècle, Éditions René Viénet, Belaye, 2007.
4. Je me fonde pour cela sur le commentaire de Sandra Laugier sur la notion de «claim» chez Stanley Cavell: LAUGIER, S. «Voix reconnue, voix revendiquée. Cavell et la politique de la voix», Cahiers philosophiques, n° 109, pp. 9-28. manque l’année
C’est étonné de voir que les notes ne correspondent pas à l’article, mais enchanté par l’évolution de mon écriture depuis 2008 que je redécouvre ce texte. Merci à Antoine Roux et au « Panoptique » de m’avoir accordés leurs confiance.
Bonjour,
Désolé de voir que des notes ont effectivement été perdues lors du transfert de l’ancien vers le nouveau site Web… Si jamais vous voulez nous refaire parvenir ces notes advenant le cas où vous ayez encore en votre possession ce texte, écrivez à direction@lepanoptique.com
Cordialement,
Marc Ouimet
directeur général