À partir de son expérience de médecin, l’auteur resitue les enjeux sur l’euthanasie et en appelle à un débat public au sein de la société québécoise.
Steve Rhodes, « If it is true that death permeates a life,
then life permeates all death. », 2008
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Comment faire pour bien faire ?
L’euthanasie constitue aujourd’hui un des grands débats de société. Le sujet passionne et divise les opinions. Dans un contexte pluraliste, où les gens n’adhèrent plus aux mêmes valeurs ni aux mêmes croyances, les positions face à l’euthanasie sont fortement contrastées. En tant que soignant, je reconnais que la demande d’euthanasie est marginale dans l’activité de soins de fin de vie, et pourtant, quand elle survient, elle déstabilise parfois et interroge toujours. Elle constitue un véritable dilemme pour la médicalisation de fin de vie. Comment gérer, dans ce contexte, la demande d’euthanasie quand elle surgit dans les milieux des soins et dans les familles ? Existe-t-il une solution opérationnelle et pragmatique qui puisse aider les soignants, les familles et le législateur à répondre à la demande d’euthanasie exprimée par certains malades incurables en phase terminale ? Cette question, éminemment éthique et axiologique, devient pour les soignants et pour les familles: « Comment faire pour bien faire ? » quand advient la demande d’euthanasie dans le contexte canadien où cette pratique est interdite par la loi. Pour rappel, les dispositions de la loi canadienne sont les suivantes : l’euthanasie et le suicide assisté sont considérés comme des actes criminels assimilables à un meurtre, et la loi tient compte de l’intention de tuer et non du motif qui inspire cette intention. Enfin, le législateur canadien ne reconnaît pas le bien-fondé de la notion de « meurtre par compassion »(1). Malgré l’existence de ces dispositions législatives, les demandes d’euthanasie dans les milieux des soins et dans les familles existent bel et bien. Le recours aux soins palliatifs ne supprime pas certaines demandes d’euthanasie, comme en témoignent les médecins qui œuvrent dans ces milieux. Comment faire alors pour répondre d’une façon appropriée à ces demandes ?
« Les convictions religieuses imposent à certains de respecter que la mort survienne à une date qui ne leur appartient pas. D’autres, au contraire, pensent que choisir l’heure de sa mort est le dernier acte d’homme libre. Pourquoi ne pas respecter ces différences et laisser chacun décider s’il préfère s’en remettre au destin, à Dieu ou aux médecins »(2).
Ces propos de Kouchner, médecin français alors ministre de la santé, témoignent de la diversité des opinions et de l’engagement qu’il y a à respecter les valeurs de chaque personne en fin de vie. Les positions face à l’euthanasie sont variées, non seulement dans un même pays, mais également entre les pays. Le principe fondamental, reconnu par tous, veut que l’encadrement juridique dans une société de droit veille au bien commun et protège les individus, en l’occurrence les soignants et les soignés. Des pays comme la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suisse ou encore l’État d’Oregon aux Etats-Unis, ont franchi le cap de la légalisation de l’euthanasie ou l’aide médicale au suicide(3). D’autres encore ont assoupli les dispositions légales en matière de condamnation de l’euthanasie passive ou de l’aide médicale au suicide. Certains, enfin, maintiennent la stricte interdiction, avec tous les malaises que cela crée dans l’exercice de la médecine de fin de vie, où subsistent des pratiques aux contours éthiques non légalement définis.
Tenir compte du pour et du contre
Parmi les militants en faveur de l’euthanasie, les uns évoquent l’autonomie et le droit de disposer de soi-même. Dans cette perspective, bien mourir équivaut selon eux à mourir dans la dignité. Il faut respecter l’autonomie et la volonté du malade qui choisit l’euthanasie comme mode de fin de vie. Dans cet argument qui légitime l’euthanasie, la dignité est liée à la qualité de la vie, à la valorisation de l’image de soi, des choix du patient et de ses valeurs. Mourir dans la dignité signifierait mettre un terme à une vie qui ne vaudrait plus la peine d`être vécue, c’est-à-dire à une vie dont les conditions physiques, psychologiques et sociales ne seraient plus réunies. D’autres encore pensent à la compassion et au soulagement de la souffrance, notamment le Pasteur de l’Église reformée, philosophe et théologien Alain Houziaux, qui déclare que: « Ce qui peut, éventuellement, justifier l’euthanasie, ce n’est pas la dignité, c’est la souffrance, et elle seule »(4). L’euthanasie est donc, selon ses défenseurs, un devoir humanitaire du médecin envers ceux qui souffrent et qui en font la demande. Un acte de compassion et de solidarité envers ceux dont la qualité de la vie a disparu et qui ne peuvent plus s’exprimer.
A l’opposé, des voix s’élèvent pour freiner les avancées législatives en faveur de l’euthanasie. La plupart de ces arguments sont d’origine religieuse et évoquent le respect de la vie et son caractère sacré. La majorité des religions considèrent que la vie est un don divin et non une propriété de l’homme.
« Dieu seul est maître de la vie, diront les croyants. L’inviolabilité de la vie, souligneront d’autres, est un principe immédiat, évident, fondamental : pas besoin d’être croyant pour y adhérer. Toute dérogation à ce principe entrainerait sur une pente dangereuse, comme l’expérience nazie l’a prouvé »
souligne Guy Durand(5), professeur à l’Université de Montréal. C’est dans cette ligne de pensée que se situent les deux textes majeurs de l’Église catholique, à savoir l’Encyclique Evangelium Vitae (L’Évangile de la vie) du pape Jean Paul II parue en 1995 et la « Déclaration sur l’euthanasie » de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi publiée en 1980. Parmi les arguments contre l’euthanasie, on trouve également ceux qui affirment le bien-fondé des soins palliatifs comme alternative valable à l’euthanasie, ceux qui dénoncent le danger de l’eugénisme, c’est-à-dire l’abandon de la solidarité envers les plus vulnérables, ceux qui condamnent l’euthanasie menée pour des raisons de réduction des coûts des soins de santé et ceux, enfin, qui soulignent que l’euthanasie est contraire à la vocation de la médecine dont la déontologie, depuis Hippocrate, stipule que la médecine a comme objectifs la guérison et le soulagement mais non la mort, même assistée.
Vers l’ouverture du débat
Autant d’arguments qui s’affrontent et dont il faut tenir compte pour gérer la demande d’euthanasie quand elle surgit dans les milieux des soins ou dans les familles. On ne peut se contenter en tant que soignant de se dire pour ou contre l’euthanasie. Le premier devoir du soignant, comme de toute personne proche du malade en fin de vie qui fait la demande d’euthanasie, est de ne pas l’abandonner à sa détresse. Il importe d’encourager les décisions collectives quand advient une demande d’euthanasie, et surtout, de mieux discerner ce que comporte chaque demande dans leur singularité, comme le préconise le Docteur Yves Bolduc, actuel ministre de la santé au Québec :
« Chaque situation est unique et chaque personne vit sa situation de fin de vie différemment. De ce point de vue, la prise de décision en pratique médicale devra tenir compte de la singularité de cette situation où il est difficile de prévoir la réaction d’une personne même en considérant ses attitudes et ses comportements antérieurs. […] Cela permet de savoir où chacun se situe et d’apporter des clarifications […] Il faut savoir gérer les demandes irréalistes et déraisonnables, mais sans porter de jugement trop hâtif et réprobateur sur la personne »(6).
Lorsqu’il n’y a pas d’autres possibilités de soulager la souffrance et que la demande d’euthanasie se justifie, il existe des recours légaux tels que la sédation complète du malade. L’enjeu est celui de l’accompagnement et du respect de la dignité du malade, même si le médecin ou les intervenants en cause ne sont pas prêts à apporter une aide concrète dans la mise en œuvre de l’euthanasie. Dans tous les cas, les requêtes d’un patient pour accélérer la mort requièrent préalablement un échange soutenu, une discussion continue et des efforts concrets pour pallier la détresse physique et psychologique. Ce dernier point fait surgir des réserves, voire un certain malaise, parmi les professionnels en soins palliatifs, que relève Hubert Doucet, professeur à l’Université de Montréal:
« Le succès des soins palliatifs est en train de faire naître de nouvelles questions que nous croyions que ces soins allaient régler. La question de l’euthanasie se pose encore même avec les soins palliatifs. En effet, quand les douleurs sont contrôlées, surgit la véritable question, celle du sens de la vie et de la mort : pourquoi vivre si la vie n’est qu’attente de la mort ? »(7).
Ces propos rendent compte du fait que les soins palliatifs, même menés dans les meilleures conditions qui soient, n’évacuent pas la question de l’euthanasie. En tant que soignant, quand surgit la demande d’euthanasie, l’écoute sans préjugés est indispensable. La demande d’euthanasie constitue un véritable dilemme éthique et un cas de conscience pour les soignants au Canada, où cette pratique demeure interdite par la loi. Les soignants sont pris au piège, d’un côté par le respect de la dignité et de l’autonomie du malade, et de l’autre, par la loi qui interdit l’euthanasie. Le soignant craint d’être condamné par les tribunaux et donc refuse l’euthanasie au patient qui n’a plus aucun choix, sinon celui de continuer à vivre ou de subir le prolongement de son agonie. Où est la dignité du patient ? Dans pareille situation, celle-ci est impensable sans le respect de l’autonomie et du choix du malade.
Le contexte du débat sur l’euthanasie est marqué, d’une part, par le développement remarquable des technologies et connaissances biomédicales et, d’autre part, par la valorisation substantielle de la liberté individuelle, de l’autonomie comme fondement de la dignité de la personne humaine. Il m’apparaît aujourd’hui pertinent et crucial de mener une réflexion collective à propos de la question de l’euthanasie réclamée par les uns et contestée par les autres, en lien avec la pratique médicale concrète, ceci également afin d’éviter des actes en soins de fin de vie que certains qualifient d’hypocrites en ce qu’ils sont des pratiques voilées d’euthanasie et que d’autres justifient comme des actes de bon sens. Quand surgit une demande d’euthanasie, un processus décisionnel collectif dans le respect de l’autonomie et de la dignité du patient est préférable à une décision isolée. Avant sa nomination comme ministre de la santé au Québec, Yves Bolduc déclarait que : «il faudrait laisser la porte entrouverte pour certains cas particuliers qui peuvent justifier de répondre positivement à cette demande de mort dans la dignité »(8). Fera-t-il en sorte que le débat sur l’euthanasie dans la société québécoise connaisse une évolution et d’autres ouvertures ? Espérons-le.
Notes
(1) Collège des médecins du Québec (2006). ALDO- Québec. Aspects légaux, déontologiques et organisationnels de la pratique médicale au Québec. Montréal : Editions du Collège des médecins du Québec, p.136.
(2) Cité par Montero, E. & ArsS, B. (2005). Euthanasie. Les enjeux du débat. Paris : Editions Presses de la Renaissance, p.248.
(3) L’aide médicale au suicide, ou le suicide médicalement assisté, signifie que le malade demande expressément à mourir et obtient qu’on l’y aide en lui fournissant des informations et/ou des moyens médicaux pour qu’il pose lui-même l’acte de sa mise à mort. Elle se distingue de l’euthanasie, qui est un acte volontaire et délibéré provoquant la mort dans un contexte de soulagement d’une personne atteinte d’une maladie incurable terminale. Pour ce faire, on procède généralement à l’administration d’une dose mortelle de médicament.
(4) HOUZIAUX, A., Comte-Sponville, de Hennzel, M., Kahn, A. Doit-on légaliser l’euthanasie ? Paris, Édition de l’atelier, 2004, p. 17.
(5) DURAND, G. Introduction générale à la bioéthique: histoire, concepts et références, Montréal, Fides, 2005, p. 199.
(6) BOLDUC, Y. « Mourir dans la dignité ? Un dilemme insoluble ». BELAND, J.-P. Mourir dans la dignité? Soins palliatifs ou suicide assiste, un choix de société, Québec, Presses Universitaires de Laval, 2008, p. 129.
(7) DOUCET, H. “La contribution de la théologie au débat sur l’euthanasie”. BANDOLFI, A., Haldemann, F., Maillard, N. (éds). La mort assistée. Arguments, collection Controverses éthiques, Chêne-Bourg, Éditions Médecine & Hygiène, Georg, 2007, p. 207.
(8) BOLDUC, Y. « Mourir dans la dignité ? Un dilemme insoluble ». BELAND, J.-P. Mourir dans la dignité? Soins palliatifs ou suicide assiste, un choix de société, Québec, Presses Universitaires de Laval, 2008, p. 125.
OUI à l’aide au suicide, mais NON à l’euthanasie !
Au sujet de la différence entre l’euthanasie et l’aide au suicide, il faut distinguer entre les arguments juridiques, éthiques et religieux. On ne peut pas simplement affirmer sans nuance qu’il n’existe pas de différence entre les deux : dans un cas c’est le patient lui-même qui s’enlève la vie (aide au suicide) alors que dans l’autre c’est le médecin qui la retire. Il faut d’abord préciser sur quel terrain (juridique, éthique ou religieux) on tire notre argumentation. Si l’on se situe sur le terrain de l’éthique, on peut raisonnablement soutenir qu’il n’existe pas de différence. Cependant, si l’on se situe sur le terrain juridique, il existe toute une différence entre l’euthanasie (qualifié de meurtre au premier degré dont la peine minimale est l’emprisonnement à perpétuité) et l’aide au suicide (qui ne constitue pas un meurtre, ni un homicide et dont la peine maximale est de 14 ans d’emprisonnement). Dans le cas de l’aide au suicide, la cause de la mort est le suicide du patient et l’aide au suicide constitue d’une certaine manière une forme de complicité. Mais comme la tentative de suicide a été décriminalisée au Canada en 1972 (et en 1810 en France), cette complicité ne fait aucun sens, car il ne peut exister qu’une complicité que s’il existe une infraction principale. Or le suicide (ou tentative de suicide) n’est plus une infraction depuis 1972. Donc il ne peut logiquement y avoir de complicité au suicide. Cette infraction de l’aide au suicide est donc un non-sens.
En revanche, l’euthanasie volontaire est présentement considérée comme un meurtre au premier degré. Le médecin tue son patient (à sa demande) par compassion afin de soulager ses douleurs et souffrances. Il y a ici une transgression à l’un des principes éthiques et juridiques des plus fondamentaux à savoir l’interdiction de tuer ou de porter atteinte à la vie d’autrui. Nos sociétés démocratiques reposent sur le principe que nul ne peut retirer la vie à autrui. Le contrat social « a pour fin la conservation des contractants » et la protection de la vie a toujours fondé le tissu social. On a d’ailleurs aboli la peine de mort en 1976 (et en 1981 en France) ! Si l’euthanasie volontaire (à la demande du patient souffrant) peut, dans certaines circonstances, se justifier éthiquement, on ne peut, par raccourcit de l’esprit, conclure que l’euthanasie doit être légalisée ou décriminalisée. La légalisation ou la décriminalisation d’un acte exige la prise en compte des conséquences sociales que cette légalisation ou cette décriminalisation peut engendrer. Les indéniables risques d’abus (surtout pour les personnes faibles et vulnérables qui ne sont pas en mesure d’exprimer leur volonté) et les risques d’érosion de l’ethos social par la reconnaissance de cette pratique sont des facteurs qui doivent être pris en compte. Les risques de pente glissante de l’euthanasie volontaire (à la demande du patient apte) à l’euthanasie non volontaire (sans le consentement du patient inapte) ou involontaire (sans égard ou à l’encontre du consentement du patient apte) sont bien réels comme le confirme la Commission de réforme du droit au Canada qui affirme :
« Il existe, tout d’abord, un danger réel que la procédure mise au point pour permettre de tuer ceux qui se sentent un fardeau pour eux-mêmes, ne soit détournée progressivement de son but premier,
et ne serve aussi éventuellement à éliminer ceux qui sont un fardeau pour les autres ou pour la société. C’est là l’argument dit du doigt dans l’engrenage qui, pour être connu, n’en est pas moins réel. Il existe aussi le danger que, dans bien des cas, le consentement à l’euthanasie ne soit pas vraiment un acte parfaitement libre et volontaire »
Eric Folot