Depuis cinq ans, la France repense perpétuellement ses législations en matière d’immigration, suscitant à chaque fois des effets d’annonce et des contestations dans l’opinion publique. Aujourd’hui, afin de légiférer sur les regroupements familiaux, Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement(1) a proposé l’adoption d’une loi visant à obliger chaque demandeur d’un regroupement familial à se soumettre à un test ADN (amendement Mariani(2)). Quelle lecture pouvons-nous dégager d’une telle proposition de loi pour comprendre la politique d’immigration française?
L’Angleterre et bien d’autres pays pratiquent déjà, avec parcimonie, les tests ADN afin de se prémunir de toutes demandes frauduleuses et de lever ainsi toute suspicion sur les liens de sang entre le parent demandeur et l’enfant concerné par le dossier. La question ne devrait donc pas, a priori, choquer l’entendement. Le problème demeure dans la législation française, résolument opposée à la marchandisation et à la pratique de tests ADN pour les particuliers qui souhaitent s’assurer de leur filiation. L’article 16 de la Loi sur la Bioéthique du 6 août 2004(3) autorise, en effet, les tests génétiques aux seules fins thérapeutiques et judiciaires. Faut-il donc voir dans cette dérogation à une règle de droit, une forme de discrimination à l’encontre des immigrés? C’est l’avis des opposants à cette loi. La pratique des tests ADN serait pourtant proposée afin de réduire, pour certains cas, les délais d’attente et les éventuelles contradictions entre les décisions des Préfectures françaises et celles des Consulats du pays du demandeur qui ne s’accordent pas toujours sur la suite à donner à un même dossier. Elle aurait donc un effet positif pour les personnes qui voudraient se prêter au concours de la science pour démontrer leur bonne foi. La pratique des tests ADN dans de telles situations serait «volontaire» comme l’a rappelé le président de la République française. Si la question prend toute son actualité, car elle offre une nouvelle manière – pragmatique – de traiter les demandes, ne faut-il pas davantage pressentir cette nouvelle législation comme l’indice d’une mise en œuvre progressive du plan pour l’immigration de Nicolas Sarkozy?
Avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République française, la possibilité d’un tel plan est désormais posée. Durant sa campagne, son annonce sur la création d’un ministère de l’immigration et de l’Identité nationale avait fait débat et le lit de ses détracteurs identifiés. Que signifie «l’identité nationale»? Sur quoi se fonde-t-elle? Quelle peut être la pertinence d’un tel Ministère? Les questions ont été posées et ne semblent toujours pas avoir trouvé de réponses. Elles ont fait perdre des points au candidat Nicolas Sarkozy et bien de ses soutiens. L’idée d’une telle charge rappelait, en effet, les pages noires de l’histoire française, quand durant la Seconde Guerre mondiale, le Gouvernement de Vichy dénombrait les juifs. Simone Veil, ancienne ministre d’État qui a connu la déportation et soutenait la campagne de Nicolas Sarkozy, s’en était alors désolidarisée. Sarkozy a pourtant tenu à son projet et l’a mené à terme en nommant, dés son élection, Brice Hortefeux à la tête de ce nouveau Ministère. L’idée d’un ministère qui prend en charge ces questions est désormais partie intégrante de la réalité sociale et politique française et Brice Hortefeux, son représentant, est un membre actif du gouvernement de François Fillon.
Le soir de sa victoire, le nouveau président de la République s’est réclamé de la volonté d’en finir avec «la repentance» et avec l’affirmation de la force de l’identité nationale de la France. Nicolas Sarkozy prônait, durant sa campagne, «la rupture tranquille». Le dernier quinquennat de Jacques Chirac a, en effet, été marqué par de nombreux débats. Celui tout d’abord de la laïcité à l’école, qui s’est soldé par l’adoption d’une loi, en mars 2004, proscrivant le port des signes religieux ostensibles dans l’enceinte des établissements scolaires. Vient ensuite celui de la question de la mise en place d’une discrimination positive sur des critères ethniques ou religieux apparue dans le débat par les propos de Nicolas Sarkozy, lui-même, lorsqu’à son entrée au ministère de l’Intérieur, il a réclamé «la nomination d’un Préfet musulman»(4). Cette notion s’est renforcée et cristallisée ensuite dans les discours des «minorités visibles» après les émeutes qui ont fait rage dans les banlieues françaises en 2005. Enfin, celui de la régularisation des sans-papiers. Sur ce dernier point, durant sa charge en tant que ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy avait lancé, en août 2006, une étude massive de dossiers de régularisation pour les familles ayant un enfant scolarisé dans les établissements publics. En France, toute personne en situation irrégulière qui a un enfant scolarisé ne peut être expulsé au nom du droit à l’éducation. Le Réseau d’éducation sans frontière(5) avait pourtant jugé que la conformité de la loi n’était pas pleinement respectée et avait dénoncé l’arrestation d’écoliers, dont les parents étaient sans papier, dans leur propre cour d’école ainsi que la traque faite aux familles. En septembre 2007, la question n’est, semble-t-il, toujours pas résolue puisque deux enfants viennent de se voir refuser l’accès à la cantine scolaire au seul motif que leur mère n’est pas en situation régulière.
Le candidat Nicolas Sarkozy avait bien présenté la mise en place de «l’immigration choisie» comme l’une des lignes directrices de son projet de campagne et l’a réaffirmé devant les Français le 21 septembre dernier: «Je le dis de façon très claire, je souhaite que nous arrivions à établir chaque année, après un débat au Parlement, un quota avec un chiffre plafond d’étrangers que nous accueillerons sur notre territoire(6)». Nicolas Sarkozy gère à sa façon la politique européenne sur l’immigration et il fixe l’objectif qu’en France, 50% des immigrés reçus le soient pour des raisons uniquement professionnelles. Mais nous pouvons lui objecter, comme le fait un journaliste du Monde, que «les étrangers qui frappent aux portes de l’Union européenne n’ont pas toujours le profil correspondant aux choix économiques que celle-ci veut promouvoir. Ce n’est pas une raison pour leur refuser l’entrée. L’hospitalité n’est pas une affaire de troc, mais de solidarité.(7)»?
Ce projet de sélection des candidats à l’immigration vers la France, selon l’évaluation de leurs compétences et en fonction des besoins économiques du pays, suscite de vives réactions dans l’opposition et dans l’opinion publique. Les pays africains concernés au premier chef s’étaient manifestés dès l’annonce du projet. Un tel programme ne risque-t-il pas, en effet, de déposséder les pays en voie de développement de leurs élites? La France a-t-elle, pour pallier à cette éventualité, décidé de conclure des accords bilatéraux afin d’assurer le retour des immigrants dans leurs pays d’origine? La France va-t-elle adopter des lois sur l’immigration telles que celles en vigueur en Amérique du Nord où elle est soumise à des règles strictes de revenus, de diplômes et de compétences professionnelles des candidats? La conséquence ne serait-elle pas de favoriser certains candidats (des pays riches et développés) au détriment d’autres (des pays pauvres et en voie de développement) et d’opérer ainsi une sélection qui ne serait plus relative au besoin d’un individu d’émigrer, mais au mérite qu’on lui suppose de pouvoir s’intégrer dans sa nouvelle société d’accueil?
Aujourd’hui, si toutes ces questions morales, juridiques, pratiques qui découlent du concept d’ «immigration choisie» ne sont toujours pas résolues, force est de constater que le projet passe «de la puissance à l’acte», car un pas est déjà franchi. La France vient, en effet, de voter les premiers volets de la loi sur le regroupement familial qui imposent à tous les candidats de se soumettre à une évaluation, dans leur pays d’origine, de leurs compétences langagières en français ainsi que de leurs connaissances des valeurs de la République. De plus, et contre toute attente – puisqu’à chaque fois que cette proposition a été faite par le passé, le Sénat s’y était opposé – il faut désormais répondre à un plancher minimal de ressources pour espérer immigrer sur le sol français. Le Parlement français a amendé, par un vote, le volet de la proposition de loi sur la pratique des tests ADN que le Sénat a ensuite refusé.
Les ténors de l’Union pour un Mouvement Populaire, parti politique auquel appartient l’actuel président français, sont en accord avec l’amendement Mariani. Une illustration de leur point de vue se situe dans les propos de Jean-François Coppé, ancien ministre du gouvernement de Villepin, qui juge que la proposition de loi sur les tests ADN est un «texte équilibré» qui doit «faciliter les procédures pour ceux qui sont candidats au regroupement familial et qui souhaitent plus facilement prouver leur filiation(8)». Le gouvernement semble bien insisté afin que ce projet soit adopté. Une commission paritaire réunissant les représentants de deux pouvoirs législatifs français (Parlement et Sénat) vient d’avoir lieu, confirmant la proposition de loi sur les tests ADN. Elle sera suivie, d’un nouvel examen du Sénat dont le vote pourra entériner sa décision. Le Conseil consultatif national d’éthique vient toutefois de faire savoir que la pratique des tests ADN pour l’immigration contrevenait aux valeurs de la République française.
Si un tel projet est adopté, la France serait alors le premier pays d’Europe où le recours à des tests ADN pour juger de la recevabilité et de la véracité des dossiers de regroupement familial serait légitimé par une telle loi. La nation française irait ainsi bien plus loin que les autres pays européens où le recours à la génétique est déjà utilisé aux fins du contrôle de l’immigration. L’utilisation de ces tests y demeure, toutefois, parcimonieuse et n’intervient qu’en dernier recours, lorsque aucun autre moyen de preuve de la filiation ne peut être établi. Le vote de cette loi peut-il être symptomatique d’une volonté de «séparer le bon grain de l’ivraie»? Le futur Président en campagne affirmait déjà, en mars dernier, l’existence d’un «gène de la délinquance» et, lors de sa visite au Sénégal en juillet dernier, il n’a pas hésité à affirmer devant une centaine d’étudiants que la tragédie économique de l’Afrique se fondait avant tout sur les caractéristiques ethnoculturelles de «l’homme africain». «Qu’est que l’Afrique? L’enfance. Le besoin de croire plutôt que de comprendre, de ressentir plutôt que de raisonner» a, en effet, affirmé Nicolas Sarkozy(9). Ces affirmations ne livrent-elles pas, au grand jour, la pensée de l’existence d’un déterminisme génétique? La question méritait d’être posée. Et nous devons rester vigilants quant à l’utilisation qui pourrait être faite ensuite sur les échantillons des tests pratiqués(10).
Il est donc légitime de s’inquiéter des conséquences que pourrait avoir l’application de tests ADN en matière d’immigration. Il est, ici, logique de s’interroger sur la stratégie mise en place par le gouvernement français pour lutter contre l’immigration, mais aussi sur les limites d’une telle manœuvre. En renforçant les lois, le risque est de creuser le lit de l’immigration irrégulière qui cause de nombreux dégâts. En effet, comme l’a affirmé la philosophe Catherine Wihtol de Wenden: «Quand on ferme trop, on provoque des détournements(11)». De plus, à entendre la récente déclaration du directeur du Haut Comité à l’Intégration, qui affirme: «il ne faudrait pas qu’une immigration mal agencée vienne remettre en cause le régime républicain. Il peut y avoir des ennemis de la République qui s’arrogent tous les moyens pour mettre les institutions en danger», nous pouvons nous demander quelle est l’image projetée par la France vers les pays dont une bonne part de leurs ressortissants constitue un vivier d’immigrés réguliers potentiels.
Mais la réflexion ne doit pas se limiter à ces uniques examens. Elle dépasse le cadre même de la question de l’immigration et, pour cette raison, elle provoque un tel embarras. En rompant ainsi avec les prescriptions de la loi sur la Bioéthique, nous pouvons nous demander si la génétique ne sera pas désormais utilisée à d’autres fins que celles auxquelles elle est aujourd’hui autorisée et, si du même coup, elle ne deviendrait pas la caution scientifique qui servira à homologuer la thèse d’un déterminisme génétique. Si, comme l’affirment les associations qui font entendre leurs voix contre l’amendement Mariani, le recours au test ADN pour le regroupement familial constitue une forme de discrimination à l’encontre des étrangers souhaitant rejoindre le sol français, il n’est pas, en effet, absurde de craindre que d’autres projets, où la génétique serait associée, pourraient légitimer la discrimination envers d’autres catégories d’individus. Ne pouvons-nous pas pousser la réflexion, et à titre d’exemple, faire l’expérience de pensée suivante: qu’une loi autorise, demain, la pratique des tests ADN auprès des homosexuels parents et sur leurs enfants, et ce, dans le but de légitimer la thèse du «gène de l’homosexualité».
La France n’est plus au temps de Gobineau, ses lois ne sont pas non plus en faveur d’un eugénisme. Et puis, chacun le sait: la génétique est une affaire sérieuse et se doit d’être manipulée avec précaution. Gageons donc sur la raison de son peuple, sur la force de son Conseil Constitutionnel et sur la veille de la communauté internationale pour éviter toutes dérives qui pourraient résulter de l’adoption définitive d’un tel amendement.
Notes (cliquer sur le numéro de la référence pour revenir au texte)
(1) Ministère crée depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République. Voir le Portail du gouvernement, [en ligne], page consultée le 28 octobre 2007, <http://www.premierministre.gouv.fr/acteurs/gouvernement/ministere_immigration_integration_identite_m609/>
(2) La proposition de loi porte le nom de son rédacteur, le député du Vaucluse, Thierry Mariani.
(3) Dont le texte est disponible dans son intégralité sur le site Internet < http://www.legifrance.gouv.fr>. La loi sur la bioéthique a été votée pour «criminaliser le clonage reproductif» et contrôler les recherches relatives à la procréation médicalement assistée.
(4) Déclaration de Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur, lors d’une émission de télévision politique, «Cent minutes pour convaincre» sur France Télévision le 20 novembre 2OO3. Un préfet de confession musulmane, Aissa Dermouche, a bien été nommé pour la région du Jura malgré la désapprobation provoquée à la suite des propos de Nicolas Sarkozy.
(5) Le réseau Éducation sans frontières est un collectif d’enseignants, de parents, d’éducateurs, de syndicats et d’organisation luttant pour les Droits de l’Homme qui soutiennent les familles sans-papiers dont les enfants sont scolarisés afin d’éviter leur expulsion. Pour une exposition de leurs actions voir leur site Internet: <http://www.educationsansfrontieres.org/>
(6) Déclaration de Nicolas Sarkozy dans une interview retransmise en direct sur France Télévision.
(7) Thomas Ferenczi, Le Monde, 28 septembre 2007.
(8) Source émanant de l’Agence France Presse (AFP), 29 septembre 2007.
(9) Cette phrase est citée par l’hebdomadaire Marianne: Jean-François Khan, «Le pouvoir personnel, jusqu’où?», numéro 537 du 4 au 10 août 2007.
(10) En effet, et c’est là un point qui rend très délicat la mise en place des tests ADN en France, il sera possible de collecter et de conserver les échantillons prélevés. En effet, une banque de données ADN est en cours de constitution dans un but judiciaire.
(11) Entretien donné par Catherine Wihtol de Wenden à Laetitia Van Eeckhout, Le Monde, 19 septembre 2007.