La diffusion des TIC dans les écoles des villages en Roumanie

L’un des projets de l’État roumain en matière d’éducation est de diffuser les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les écoles des villages. Ce projet renvoie à l’objectif d’améliorer l’offre éducationnelle dans le milieu rural, mais aussi à la volonté politique de faire accéder la Roumanie à la «société de la connaissance». Les villages roumains, encore souvent présentés dans les discours médiatiques occidentaux (et parfois même roumains) comme vivant «en dehors de l’histoire», sont cependant déjà conquis par ces technologies. En conséquence, il serait certainement plus utile aujourd’hui de s’intéresser aux usages effectifs des TIC plutôt qu’à la pertinence ou non de leur diffusion dans les écoles du milieu rural.

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tim t., tie78reu , 2007
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Le cinquième chapitre du programme de gouvernance fixé par le gouvernement de la Roumanie pour la période 2005-2008 concerne la politique dans le domaine de l’éducation1. Au début de ce chapitre, les principaux objectifs sont présentés et on retrouve parmi ceux-ci: «Reconstruire l’enseignement dans le milieu rural». Cet objectif est détaillé par la suite et deux propositions attirent alors l’attention: «Doter les écoles de matériels didactiques et équipements informatiques destinés au processus didactique (ordinateurs, logiciels éducationnels, équipements multimédia)» et «Organiser mieux le fonctionnement de l’enseignement à distance en sorte qu’il soit profitable à un plus grand nombre de gens du milieu rural (formation continue, reconversion professionnelle)». On voit ici que la diffusion des technologies de l’information et de la communication (TIC), dans les écoles du milieu rural, constitue un aspect important de la politique actuelle dans le domaine de l’éducation en Roumanie. Or cela n’est pas foncièrement nouveau puisqu’un programme d’implantation des TIC dans ces écoles avait été lancé en 2001, avec le soutien de la Banque Mondiale. En fait, il s’agit plutôt de la continuité d’une préoccupation de l’État roumain quant à la diffusion des TIC dans les écoles des villages, préoccupation qui s’articule à une volonté politique, à la fois nationale et supra-nationale (Banque Mondiale, Union européenne), d’améliorer l’offre éducationnelle à destination des élèves et des familles du milieu rural roumain et de remédier de la sorte aux inégalités d’accès à l’éducation et à la formation par rapport au milieu urbain.

Inégalités d’accès à l’éducation et à la formation dans le milieu rural roumain et TIC

En matière d’accès à l’éducation et à la formation, le milieu rural roumain cumule en effet deux principaux facteurs d’inégalités2. Le facteur résidentiel, d’une part, car l’offre éducationnelle y est limitée tandis que les enseignants y sont souvent moins qualifiés qu’en ville. Le facteur social (facteur dont les travaux en sociologie de l’éducation de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron ont depuis longtemps déjà démontré l’importance pour la réussite scolaire des élèves), d’autre part, puisqu’en Roumanie3, la population vivant en milieu rural est globalement plus pauvre et moins instruite, ce qui induit un déficit de capital économique et de capital culturel. Un rééquilibrage de l’accès à l’éducation et à la formation est donc nécessaire et, pour ainsi dire, crucial dans la perspective du développement économique et social du milieu rural roumain. C’est pour atteindre cet objectif que l’actuel gouvernement de la Roumanie projette de diffuser les TIC dans les écoles du milieu rural. Mais cela renvoie aussi à sa volonté affichée que le pays accède à terme à la «société de la connaissance», d’où l’importance, également symbolique, que revêt cette diffusion des TIC dans les écoles du milieu rural.

Des TIC déjà présentes dans les villages roumains

Qui connaît un peu la Roumanie et les réalités sociales, économiques et culturelles de son milieu rural, peut être quelque peu incrédule à l’égard d’un tel projet. Que la diffusion des TIC dans les écoles du milieu rural participe au rééquilibrage de l’offre éducationnelle publique certes, mais que cela permette l’accès des élèves à la «société de la connaissance», voilà qui peut en effet paraître exagéré. Il ne faut cependant pas préjuger des retombées de ce projet, d’autant plus que cette réaction de doute sur ses finalités se fonde généralement sur une connaissance superficielle du milieu rural roumain et donc sur un ensemble de représentations véhiculées par des discours médiatiques principalement occidentaux, mais qui ont quelquefois cours également en Roumanie, où il apparaît comme «archaïque» ou même «coupé de l’histoire»4. Il est nécessaire ici de signaler que des TIC, plus ou moins nouvelles, sont présentes depuis un certain temps dans les villages, malgré l’état qui perdure de sous-équipement d’une agriculture dominée numériquement par de petits producteurs: ainsi, bien que l’on puisse constater qu’il n’y a toujours pas beaucoup de tracteurs et que la charrette reste le véhicule agricole le plus communément employé, on peut néanmoins observer qu’aujourd’hui, presque toutes les familles possèdent une télévision, que beaucoup parmi celles-ci ont même un abonnement au câble et accèdent à son offre de programmes, et que la téléphonie mobile s’est rapidement diffusée, surtout dans les villages où les habitants ne disposent pas encore de la téléphonie fixe faute d’infrastructures disponibles. Les ruraux, surtout les plus jeunes, ont donc déjà recours aux TIC, tandis qu’ils continuent à manier la binette, la faux et la fourche dans leurs activités domestiques quotidiennes5. Cette situation peut paraître paradoxale, mais c’est ce que l’on peut voir actuellement dans les villages de Roumanie, lesquels n’ont du reste jamais été complètement tenus à l’écart des évolutions techniques et économiques qui se manifestent ailleurs en Europe6. En outre, les migrations pendulaires des parents et/ou d’autres membres de la famille partis travailler à l’étranger créent chez les jeunes ruraux une curiosité vis-à-vis de ce qui se passe ailleurs, dans cette Europe dont on leur répète sans cesse qu’ils en sont à présent des citoyens à part entière, une curiosité à laquelle peut répondre la diffusion des TIC au sein des écoles. On voit par conséquent que les TIC ne constituent pas quelque chose de marginal par rapport à ce que vivent les habitants des villages en Roumanie: elles font désormais partie de leurs usages quotidiens et correspondent – ou peuvent correspondre – à la reconfiguration d’une partie de leurs besoins. La diffusion des TIC dans les écoles du milieu rural roumain revêt dès lors une importance cruciale, tant en matière d’accès à l’éducation et à la formation qu’en ce qui concerne le développement économique et social des villages.

La pertinence de l’étude des usages des TIC dans les écoles du milieu rural roumain

Ce qu’il est aujourd’hui important d’examiner n’est donc pas tant la pertinence en soi de la diffusion des TIC dans les écoles des villages en Roumanie, mais plutôt leurs usages effectifs, c’est-à-dire la manière dont elles sont employées par les enseignants et comment les élèves y ont accès et les utilisent7. C’est de cette manière que l’on pourra alors découvrir comment et en quoi les TIC améliorent l’accès à l’éducation et à la formation chez les jeunes ruraux et si elles leur permettent également de participer à la «société de la connaissance», objectif que les élites politiques de la Roumanie ont ciblé pour ce pays qui a intégré depuis peu l’Union européenne8. L’étude empirique des usages des TIC dans les écoles des villages en Roumanie constitue l’objet des recherches que met actuellement en place l’auteur de cet article.

Notes (cliquez sur le numéro de la note pour revenir au texte)

1. Ce chapitre est directement consultable en français sur le site Internet du gouvernement de la Roumanie: < http://www.guv.ro/franceza/obiective/afis-docdiverse-pg-fr.php?iddoc=10>.
2. Stoica, Laura, «Directii de actiune pentru cresterea accesului la educatie al copiilor provenind din medii defavorizate», Calitatea Vietii, anul 17, nr. 1-2, 2006, consulté sur Internet: <http://www.iccv.ro/romana/revista/rcalvit/pdf/cv2006.1-2.a06.pdf>.
3. Marginean, Ioan, «Conditiile de viata din mediul rural», Academica, nr. 43, octombrie 2005, pp. 21-26; Duma, Viorica, Moinar, Maria, Panduru, Filofteia, Verger, Daniel, «Roumanie: une agriculture de survie, après l’industrialisation forcée», Economie et statistique, n°383-384-385, 2005, pp. 193-217.
4. Pour notre part, nous considérons que ce prétendu «archaïsme» et cette supposée existence «en dehors de l’histoire» constituent une image déformée de la réalité actuelle des villages de Roumanie, laquelle alimente à son tour des représentations en partie fausses à propos de la population rurale.
5. Le sociologue roumain Ioan Marginean, citant une étude de l’Institut National de Statistique de Roumanie sur les conditions de vie de la population de Roumanie (Conditiile de viata ale populatiei din Romania, INS, 2005), explique qu’en 2004, 92% des ménages résidant en milieu rural avaient un téléviseur couleur ou noir et blanc, 16% disposaient d’un téléphone portable et 4% possédaient un ordinateur (Marginean, Ioan, Op. cit., p. 26). Lors des nombreux séjours que nous avons effectués en Roumanie entre 2001 et 2006, nous avons quant à nous pu remarquer la rapide pénétration de la téléphonie mobile et de l’informatique «grand public» (ordinateur PC connecté à Internet) dans la société roumaine, essentiellement d’abord dans le milieu urbain, auprès des jeunes et des étudiants, puis progressivement et à moindre mesure dans le milieu rural, là encore auprès des jeunes et aussi dans les familles dont un ou plusieurs membres sont partis travailler à l’étranger.
6. Bucur, Corneliu, «Le village roumain entre l’autarcie et l’économie de marché», communication au XII Economic History Congress, Buenos Aires, 22-26 july 2002, consulté sur Internet: <http://eh.net/XIIICongress/cd/papers/63Bucur278.pdf>.
7. La question de la formation des enseignants du milieu rural à l’emploi de ces technologies et de la manière dont ils les intègrent, ou non, dans leurs pratiques pédagogiques est ici fondamentale. Cette question a déjà été abordée en France et ailleurs en Europe, notamment dans des travaux à caractère ethnologique qui s’intéressaient aux attitudes des enseignants à l’égard d’Internet; on citera notamment: Pouts-Lajus Pierre, «Des enseignants face à Internet: résultats et perspectives d’une enquête de terrain», in Alava, Séraphin, Cyberespace et formations ouvertes. Vers une mutation des pratiques pédagogiques?, Bruxelles, De Boeck Université, 2000, pp. 165-178.
8. «Peste 17% din mediul rural si mic urban din Romania intra in economia globala», communiqué de presse du Ministère des Communications et de la Technologie de l’Information de la Roumanie, 16/01/2007, consulté sur Internet: <http://www.mcti.ro/index.php?id=28&lege=1221&L=2>.

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