Du nucléaire en pile

Seize pays ont adhéré au Partenariat mondial pour l’énergie nucléaire, mais le plus grand producteur d’uranium au monde, le Canada, ne s’est pas encore joint à ce club. Proposé en janvier 2007 par le gouvernement Bush, ce partenariat vise à développer cette énergie dite propre et propose un cycle fermé pour éviter la prolifération d’armes: réacteurs sûrs et alimentés par une banque mondiale d’uranium seraient fournis aux pays en voie de développement. Quant à eux, les pays exportateurs de combustible s’engagent à assurer la gestion des déchets. Quand énergie nucléaire rime avec terrorisme, solution au réchauffement climatique, enjeux environnementaux et économiques…

Futur illuminé
Sookie alias 416style, Futur illuminé, 2006
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Les pales de l’hélicoptère fouettent l’air à toute vitesse tandis que des appareils de détection de gisements d’uranium pendent quelques mètres plus bas. La prospection faite de ces hélicoptères survolant en aller-retour une région près de Havre-Saint-Pierre, dans la province de Québec au Canada, a porté fruit cet été: fin septembre, les compagnies minières annonçaient des résultats encourageants(1). Le Canada se classe au premier rang des producteurs mondiaux d’uranium. En effet, près du tiersprovient de son sous-sol(2). Fier premier producteur, le Canada voit son voisin immédiat, les États-Unis, remporter la palme de l’utilisateur. Le pays compte le plus grand nombre de réacteurs au monde, soit près d’un sur quatre, et ceux-ci produisent aussi la plus grande quantité d’énergie électrique issue du nucléaire(3). L’une des idées du Partenariat mondial pour l’énergie nucléaire (PMEN) est de mettre cette technologie au service du développement.

«La responsabilité des pays riches est de vendre une pile à ceux qui en ont besoin et lorsqu’elle est vide, de la rapatrier et de la recycler», simplifie Guy Marleau, chercheur au Groupe d’analyse nucléaire de l’École polytechnique de Montréal. «Cela permet de contrôler la technologie tandis que les utilisateurs n’ont pas accès à la pile(4)», ajoute-il. Ce Partenariat vise à établir un consensus pour l’utilisation de cette énergie. Une énergie économique et sans émission de gaz à effet de serre qui pourra répondre à la demande croissante en électricité, peut-on lire dans la description du programme(5). Le PMEN vise aussi à accroître la coopération pour assurer l’expansion sécuritaire de l’emploi de l’uranium: banque de combustible mondiale et réacteurs fabriqués de manière à ce que leur usage ne puisse être détourné pour créer des armes atomiques. Rappelons que la vente de la technologie nucléaire canadienne, les réacteurs CANDU, a permis à certains pays d’utiliser l’un des sous-produits de la combustion pour fabriquer leur propre arsenal. L’Inde a d’ailleurs fait exploser sa première bombe atomique dans un désert, en 1974, grâce à un réacteur de recherche(6). L’un des buts du Partenariat consiste ainsi à dissuader les États d’enrichir l’uranium. Seize pays en sont déjà membres dont l’Australie, la Chine, la France, le Japon et la Russie. À l’origine de cette initiative se trouvent les crises provoquées par les ambitions nucléaires non cachées de la Corée du Nord et de l’Iran. Et pour remédier – ou pallier – aux problèmes liés au terrorisme et à la prolifération, les pays exportateurs offriraient, dans la mesure du possible, les services «après-vente» du nucléaire: rapatrier, recycler et stocker les déchets.

Déchets ou ressources

«Lorsqu’on parle de rapatrier l’uranium, ce n’est pas pour en faire des déchets ou le stocker indéfiniment, mais bien pour l’utiliser à nouveau», mentionne Pierre Guimond, directeur des affaires réglementaires à l’Association nucléaire canadienne qui promeut cette forme d’énergie. «C’est devenu une substance très précieuse qui a une valeur, ce ne sont pas des déchets.(7)» Or, comme Pierre Guimond le précise, le Canada n’est pas encore outillé pour recycler le combustible irradié. Les réacteurs utilisés en sol canadien sont de la technologie CANDU et s’alimentent d’uranium naturel(8). L’éventualité de rapatriement est donc repoussée puisqu’elle nécessite la construction de nouveaux réacteurs et des sites pour stocker le combustible à la fin de son cycle. «Si le Canada veut être un grand pays, il ne peut pas passer à côté du partenariat, estime Pierre Guimond. Il faut qu’il se réserve toutes les options, qu’il ait la possibilité un jour d’enrichir l’uranium et de le recycler pour l’utiliser une deuxième ou une troisième fois. C’est un peu dans cette direction-là que se dessine l’énergie du futur.»

C’est un tout autre son de cloche que donne Guy Marleau, également professeur au département de génie physique de l’École Polytechnique de Montréal: «Le Canada ferait mieux d’arrêter d’exporter de l’uranium que de signer une telle entente! Vous imaginez les quantités de combustible irradié que le pays pourrait avoir à rapatrier considérant qu’il est le plus grand exportateur au monde? Aucune usine ne peut recycler autant de combustible et imaginez tous les sites requis pour le stockage… C’est un peu utopique!» Les quelque 443 centrales nucléaires dans le monde produisent 10 000 tonnes de combustible irradié chaque année et moins du tiers est retraité; le reste est stocké dans des installations provisoires(9). L’intérêt pour minimiser les déchets dans tout le cycle du nucléaire s’est accru au cours de la dernière décennie: responsabilité corporative et coût grimpant en flèche pour s’en défaire obligent(10). «Il y a certes beaucoup d’argent à faire avec le recyclage, mais il faut disposer des installations nécessaires. Et dites-moi qui voudrait du combustible usé chez lui, questionne Guy Marleau. Si tout est techniquement possible en y mettant le prix, la responsabilité d’opérer une centrale doit être assumée par ceux qui l’utilisent avec tous les tenants et aboutissants de cette technologie.»

En bout de course: les déchets ultimes

Les déchets nucléaires constituent le talon d’Achille de cette énergie. Ils sont classés selon leur activité, soit la quantité de rayonnement radioactif qu’ils émettent et la période pendant laquelle ils demeurent actifs. Le plus médiatisé est le plutonium-239: il reste actif plus de cent mille ans et on en trouve mondialement déjà plus de 1 500 tonnes auxquelles s’ajoutent 100 tonnes par année(11). Les déchets peuvent être stockés ou traités pour être détruits partiellement, tout en obtenant encore de l’énergie(12). Dans tous les cas, il y a des déchets ultimes. L’énergie nucléaire produit 15% de l’électricité au Canada et, à lui seul, le pays a déjà cumulé 36 000 tonnes de combustible irradié, soit l’équivalent de cinq patinoires de hockey remplies jusqu’à la bande(13). Fondée en 2002, c’est la Société de gestion des déchets nucléaires, la SGDN, qui s’occupe de proposer des solutions à long terme. Son mandat se limite aux déchets des producteurs nationaux. En juin 2007 le gouvernement canadien a accepté la solution recommandée: une méthode de gestion adaptative progressive basée sur le confinement et l’isolement centralisés du combustible irradié dans un dépôt géologique en profondeur(14).

Mais si l’évacuation en couches géologiques dans le Bouclier canadien est préconisée, ce type de solutions demeure contesté. Il faut un lieu sûr qui n’est soumis à aucun mouvement interne et où les risques de fuites d’éléments irradiés et de dispersion dans l’environnement sont nuls. La saga états-unienne du mont Yucca au nord de Las Vegas illustre bien les difficultés du pays à se débarrasser de ses 200 000 tonnes de déchets(15). Le Département de l’Énergie a dû essuyer des poursuites de l’État du Nevada avant que le Congrès n’adopte le mont en 2002 pour en faire le cimetière national des déchets nucléaires. N’empêche, fin septembre, on apprenait que le site original a dû être déplacé de plusieurs centaines de pieds puisque des échantillons de roches montraient que celui-ci serait situé sur une ligne de faille, donc susceptible à l’avènement de tremblements de terre(16).

Un ciel bleu

À ces discussions s’en ajoutent d’autres: tous ne croient pas que le nucléaire soit une énergie propre. «Le problème fondamental avec la renaissance du nucléaire, c’est qu’on le présente comme une nouvelle promesse d’air frais et de ciel bleu grâce à l’inquiétude que suscite le réchauffement climatique. Mais c’est faux!», martèle Gordon Edwards, fondateur du Regroupement pour la surveillance du nucléaire. «Les compensations du nucléaire quant aux émissions de gaz à effet de serre sont trop lentes et le développement trop coûteux.(17)», complète-t-il. Depuis 1990, la construction d’une centrale s’échelonne en moyenne sur 8 ans(18). Les coûts, eux, varient selon les sources: la Fondation David Suzuki estime que le kilowattheure des 20 dernières centrales construites aux Etats-Unis est en moyenne quatre fois plus dispendieux que celui produit par des champs d’éoliennes(19).

Selon le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), qui synthétise les travaux de 2500 experts sur le réchauffement climatique, le nucléaire était responsable de 16% de la production de l’énergie électrique en 2005. Cette production pourrait grimper à 18% en 2030, mais le GIEC est d’avis que la sécurité, la prolifération d’armes atomiques et les déchets nucléaires demeurent des contraintes non négligeables(20). S’il est vrai que le nucléaire émet moins de gaz à effet de serre que la production d’électricité à partir du charbon, par exemple, certains pays choisissent plutôt des énergies renouvelables aux répercussions environnementales moindres et des mesures d’efficacité énergétique.

Question de pouvoir

«Si je m’oppose au PMEN proposé par le gouvernement Bush, c’est davantage pour des raisons politiques qu’environnementales», précise Guy Marleau de l’École Polytechnique de Montréal. «Les pays qui croient avoir la vérité auront non seulement une mainmise sur le combustible prêté, mais aussi un contrôle direct sur les capacités du pays importateur de produire de l’électricité.» Le chercheur s’interroge: «Qu’arrivera-t-il s’il y a un changement de régime inacceptable dans le pays dépendant aux yeux des pays exportateurs? Et s’il manque d’uranium, qui en aura en premier?» Car la ressource s’épuise: il y en a pour encore un siècle et l’uranium présent dans l’eau de mer est tellement dilué que l’extraire serait une entreprise «pharaonique»(21)

Gordon Edwards, du Regroupement pour la surveillance du nucléaire, est aussi d’avis que c’est «extrêmement dangereux» de diviser ainsi le monde. «Et tout ça n’est pas présenté au public dans un débat honnête. Le monde est dangereux en ce moment et promouvoir l’énergie nucléaire, c’est la rendre encore davantage accessible à des malintentionnés. Souvenez-vous quand on entendait dire que les Américains seraient attendus par des gens qui dansent dans les rues d’Irak; c’est la même chose de dire qu’encourager le nucléaire avec un tel partenariat est un bonne idée: un vrai conte de fées!»

Notes (cliquer sur le numéro de la référence pour revenir au texte)

(1) Presse canadienne, Cyberpresse.
>. Consulté le 30 septembre 2007.
(2) Ministère des Ressources naturelles du Canada. . Consulté le 30 septembre 2007.
(3) International Atomic Energy Agency. Nuclear Power Reactors in the World. . Consulté le 30 septembre 2007.
(4) Les propos de Guy Marleau, chercheur au Groupe d’analyse nucléaire de l’École polytechnique de Montréal et professeur au département de génie physique de la même école, ont été recueillis lors d’une entrevue avec l’auteur le 26 septembre 2007.
(5) Global Nuclear Energy Partnership. U.S. Department of Energy. . Consulté le 30 septembre 2007.
(6) India’s “peaceful bomb”. CBC Archives. . Consulté le 30 septembre 2007.
(7) Les propos de Pierre Guimond, directeur des affaires réglementaires à l’Association nucléaire canadienne, ont été recueillis lors d’une entrevue avec l’auteur le 26 septembre 2007.
(8) Énergie atomique du Canada limitée (EACL). . Consulté le 30 septembre 2007.
(9) MARLEAU, Guy. La recherche à Polytechnique. . Consulté le 30 septembre 2007.
(10) International Atomic Energy Agency. Recycle and reuse of materials and
components from waste streams of nuclear fuel cycle facilities. . Consulté le 30 septembre 2007.
(11) REEVES, Hubert. Mal de Terre, France, Éditions du Seuil, mars 2005, p. 80.
(12) op. cit. REEVES, Hubert. p. 81.
(13) Société de gestion des déchets nucléaires. . Consulté le 30 septembre 2007.
(14) Société de gestion des déchets nucléaires. . Consulté le 30 septembre 2007.
(15) op. cit. REEVES, Hubert. p. 108.
(16) Associated Press. Los Angeles Times. Yucca Mountain adjusts to fault line. . Consulté le 30 septembre 2007.
(17) Les propos de Gordon Edwards, fondateur du Regroupement pour la surveillance du nucléaire, ont été recueillis lors d’une entrevue avec l’auteur le 26 septembre 2007.
(18) PAFFENBARGER, John et autres, The Economics of Nuclear Power. International Engergy Agency. . Consulté le 30 septembre 2007.
(19) David Suzuki Foundation. . Consulté le 30 septembre 2007.
(20) Intergovernmental panel on climate change. . Consulté le 30 septembre 2007.
(21) op. cit. REEVES, Hubert. p. 75.

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