Aujourd’hui, 1er novembre, c’est le jour des morts. Des saints catholiques aussi, mais surtout des morts. La loi du nombre. Les druides celtes, avant qu’on en fasse des prêtres, fêtaient la Samain, soulignaient en beuveries orgiaques le début de la « moitié sombre de l’année ». Pas très pro-actif comme façon d’envisager le passage des saisons, 6 terrifiants mois passés terrés comme des vers en attendant la moitié claire de l’année. Je m’égare.
C’est une belle journée pour commencer L’homme devant la mort, de Philippe Ariès. Je me rends compte que je l’ai pas, bizarre, je suis pourtant sûr de l’avoir déjà acheté. Je devrai donc penser par moi-même, et vous vous écopez.
Moi, les morts, c’est leur nombre qui me fait halluciner. Combien? Kunidé. Mais un sale paquet c’est sûr. Tout décomposé-recyclé. À Waterloo je crois, après la bataille du même nom, ils ont laissés tous les corps en plan, pourrir et se fondre au sol. Bien des années plus tard, les fermiers des environs ont récupéré la terre de Waterloo, riche en phosphate (ou phosphore, je sais pas) à cause de tous les ossements, pour engraisser leurs champs à eux. En Mésopotamie, peut-être que les premiers morts sont devenus du pétrole. Sûrement pas. Je m’égare.
Je veux les saluer les morts. Pas les célèbres, qu’on leur fait des émissions spéciales, mais l’écrasante majorité anonyme. Les strates de morts, que la génération des vivants piétine en allant à l’épicerie. Je les salue en païen, avec la conviction confuse qu’ils ont permit mon avènement. Et le vôtre aussi, bien entendu. Morts partout, dans toutes les circonstances, de tous les maux.
J’ai dit dans un texte précédent que Dieu existe, qu’il est un pouvoir actif créé par l’homme. C’est la même chose pour les morts. Moi j’ai pas de morts à mon actif, je veux dire que si je comptais un but important, dans une finale quelconque d’un sport quelconque, je dirais pas au journaliste venu m’interviewer après le match que ma mère et/ou mon père trépassé(s) m’ont guidés, protégés, et que cette victoire est la leur. Mes morts sont vivants et c’est très bien ainsi. Mais ceux qui ont des morts parlent souvent d’eux au présent, sentent leur présence. Je salue l’existence subjective des morts des autres.
Mais je préfère penser aux morts de Montaillou, que Le Roy Ladurie fait revivre pour moi. Guillaume Benet et Guillemette Belot, morts vers 1320, au pied des Pyrénées. Il me fait entendre le lamentu méditerranéen, le gémissement des filles, des mères, qui accompagnent le processus de la mort. Il me fait sentir « l’angoisse primordiale, qui tourmente l’agonisant, ses proches et ceux qui l’aiment. »
Je salue la mort elle-même, qui nous définit en fin de compte, qui précède tout.