Il n’y a pas que les techniques de surveillance utilisées par les agences de renseignement américaines qui soulèvent des questions de légalité. Les façons dont ces techniques sont approuvées aux plus hauts échelons de l’administration sont aussi, d’un point de vue légal, contestées. Est-ce que les conceptions de «l’État de droit» se révèlent être de plus en plus des coquilles vides?
D’aucuns se rappellent le fameux Patriot Act, qui dans la foulée immédiate du 11 septembre 2001 donnait entre autres plus de pouvoirs aux services policiers et gouvernementaux américains dans les procédures de surveillance. À l’époque, plusieurs bonnes consciences craignirent une montée du fascisme. Les termes du débat politique aux États-Unis pour les prochaines années étaient désormais confinés entre «sécurité» et «liberté». Il semblait alors que la liberté individuelle, pierre d’assise de l’idéologie américaine, était en danger. Or, il n’y a pas que celle-ci qui soit en danger. Les principes de l’État de droit sont allègrement bafoués dans les hautes sphères politiques américaines et exposent le caractère purement abstrait de ces principes.
En effet, il semble maintenant que les nouvelles formes de légalité mises de l’avant par l’administration américaine ne soient que la pointe de l’iceberg. Un comité sénatorial enquête présentement sur des allégations voulant que certains membres haut placés de l’administration Bush aient eux-mêmes utilisé des moyens de surveillance illégaux. Récemment, c’était Alberto Gonzales, l’ancien attorney-general et fidèle supporter de G.W. Bush, qui était pointé du doigt. En mars 2004, alors qu’il était conseiller légal de la Maison-Blanche, Gonzales aurait passé outre aux indications de son prédécesseur John Ashcroft quant à la légalité d’un certain programme de «sécurité nationale». Robert Mueller, ancien dirigeant du FBI, a récemment confirmé que le programme en question était celui de l’écoute des appels internationaux privés. Gonzales aurait tenté (sans succès) d’obtenir l’aval de M. Ashcroft alors que ce dernier était hospitalisé et sous l’effet de drogues sédatives. Gonzales aurait alors fait une visite «surprise» à Ashcroft dans sa chambre d’hôpital (Gonzales avoue avoir fait cette visite, mais soutient qu’un autre motif en était l’objet)(1).
L’ancien attorney-general n’en était pas à ses premières frasques. Il est également pointé du doigt pour son rôle dans le congédiement apparemment injustifié de neuf procureurs (ils auraient été congédiés pour leur refus de se plier au jeu politique de l’administration). Son leadership et son travail à la tête du département de la Justice est qualifié de «performance lobotomisante qui a détruit ce qui restait de crédibilité au département de Justice(2)». Rappelons que Gonzales a été propulsé à ce poste par G.W. Bush qui récompensait ainsi plusieurs années de loyaux services. Le rapport étroit entre Bush et Gonzales demeure très problématique. Lors d’une commission récente, un sénateur lui demanda s’il comprenait bien que son poste implique qu’il serve le peuple américain, et non le Président. La récente démission de Gonzales est une tentative de faire taire les critiques en donnant l’impression que le problème sera réglé simplement en changeant de personnel. Mais il ne s’agit pas que d’un problème individuel, il s’agit aussi d’un problème structurel.
Les activités illégales de l’administration Bush ne se réduisent pas à ces faits. Pensons également aux dirigeants de Guantanamo qui entretiennent un vide juridique en évitant sciemment de reconnaître les catégories de prisonniers forgées par la Convention de Genève (Convention «dépassée» selon Gonzales), à Lewis Libby, ancien bras droit de Dick Cheney, qui a été reconnu coupable d’avoir permis la divulgation d’informations confidentielles afin de venger ses patrons d’une critique, à l’invasion de l’Iraq qui représente, selon la grande majorité des experts, une violation du droit international et aussi à la déportation de prisonniers vers des pays pratiquant la torture, pratique qui n’est plus un secret, le public canadien ayant pu en mesurer l’impact sur le travail de ses propres services de police dans l’affaire Arar.
Ce qui est troublant, c’est de constater qu’historiquement, la grande majorité des administrations américaines ont contrevenu aux lois. L’exemple le plus probant est bien entendu le jugement porté contre le président Nixon. Le concept d’État de droit est ici mis à mal. Il ne s’agit pas de critiquer les États-Unis, mais bien de questionner la validité du modèle politique qui en est véhiculé. Ce modèle contribue à la formation d’idéologies qui nous offrent une vision édulcorée de la réalité. Souvent, un simple examen des faits nous permet de montrer le caractère factice de certains idéaux que nous prenons pour acquis. En ce qui concerne l’État de droit, force est de constater que si, au sein de la société, la plupart des procédures judiciaires nous rappellent simplement que certains citoyens et citoyennes sont «plus égaux» que d’autres, dans les officines du pouvoir la loi n’est souvent qu’un obstacle à contourner, à moins que l’on puisse simplement en faire une nouvelle.
Notes
(1) “A Visit to the Hospital”, The Economist, 2 août 2007.
(2) Kevin Kallaugher, “Dead Man Walking”, The Economist, 12 Juillet 2007.