Le décès accidentel de l’un des leaders les plus en vue de l’extrême droite européenne, Jörg Haider, survient à un moment où les courants politiques s’inscrivant dans cette idéologie gagnent du terrain sur le vieux continent. Décédé lors d’un accident de voiture le 11 octobre dernier, Haider venait de voir sa nouvelle formation politique, le Bündnis Zukunft Österreich (BZO), ainsi que son ancien parti, maintenant dirigé par son rival Heinz-Christian Strache, le Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ), accumuler ensemble plus de 29% des voix lors du scrutin autrichien du 28 septembre dernier. Rappelons que, en 1999, Haider avait vu son FPÖ engranger 27% des voix et prendre part à un gouvernement de coalition qui avait été momentanément boycotté par les autres gouvernements européens.
L’Autriche ne constitue malheureusement pas une exception quant à la popularité des partis d’extrême droite. Le plus grand parti de Suisse est l’Union démocratique du centre, qui, sous l’influence de Cristoph Blocher, adhère à une idéologie d’extrême droite depuis les années 1980. En Belgique, le Vlaams Belang, fondé en 2004, est très fort en Flandres. Les 25 sièges du Dansk Folkeparti danois le place comme un interlocuteur incontournable sur la scène politique danoise, et les politiques anti-immigration de son leader Pia Kjaersgaard ont trouvé écho au gouvernement. Puis, que dire de l’ineffable Ligue du Nord italienne qui fait partie de la coalition au pouvoir et entretien un discours explicitement xénophobe. Le Front National de Jean-Marie Le Pen ne représente donc pas une anomalie sur la scène politique européenne.
Un récent sondage d’opinion a révélé que 46% des Espagnols, 36% des Polonais et 25% des Allemands avaient une vision négative des Juifs et que 52% des Espagnols, 50% des Allemands, 46% des Polonais et 38% des Français avaient une vision négative des musulmans(1). Si ces résultats reflètent une tendance de fond dans le sentiment de la population, les solutions mises de l’avant par les autres partis politiques pour exclure ou marginaliser l’extrême droite semblent échouer. Les élites politiques européennes devraient se regarder dans le miroir; la popularité de l’extrême droite provient, du moins en partie, d’un laxisme des dirigeants issus des partis traditionnels à faire face aux préoccupations des gens «ordinaires». À force de défendre les intérêts des élites, de laisser à son sort une main d’œuvre de plus en plus «flexibilisée» et de ne pas pallier aux conséquences de la néolibéralisation du marché du travail, les élites politiques européennes ont contribué à alimenter la peur de l’autre et la compétition entre la main d’œuvre locale et immigrante. Les discours identitaires que certains politiciens, notamment Sarkozy, ont pigés chez leurs rivaux d’extrême droite ont également contribué à réifier la séparation nous/eux dans l’espace public.
Les stratégies pour exclure ces partis de la scène politique n’ont pas porté fruit jusqu’à présent : elles ont plutôt contribué à alimenter le sentiment d’aliénation chez les supporters de ces partis, sentiment d’aliénation déjà à la base de leur position. Si l’exclusion est vouée à l’échec, le courage politique de s’attaquer aux problèmes réels desquels découlent cette popularité des idées d’extrême droite ne risque pas d’émaner des élites politiques préoccupées par la sauvegarde du statu quo. Devant l’effritement du support des partis traditionnels dans plusieurs pays européens au profit de l’extrême droite, les élites politiques semblent être à court de moyens. Au lieu de condamner ces idéologies et de reprendre des discours sévères sur le crime et l’immigration, les politiciens de gauche comme de droite devraient cesser de faire les autruches et avoir le courage politique d’identifier les maux sociaux qui alimentent ces idéologies. La popularité de l’extrême droite vient, tel un ressac, nous rappeler que les élites politiques traditionnelles sont victimes de leur propre inaction devant la dislocation sociale et le racisme.
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(1) Sondage mené par America’s Pew Global Attitudes Project. Les chiffres proviennent de «Dark tales from the Vienna Woods», The Economist, 4 octobre 2008, p.16.