Le roi n’est pas nu, il porte du Versace

Les récents scandales entourant la politique municipale sont désolants. Et le mot est faible. Désolants parce qu’il s’agit vraisemblablement non pas d’un ou deux cas isolés, mais d’un véritable système. Un système qui dénote par ailleurs la faillite d’un autre, celui de nos institutions démocratiques.

 Don't be blind to corruption
Ming Xia, Don’t be blind to
corruption
, 2008
Certains droits réservés.

2010 marquera les 50 ans du début de la Révolution tranquille, l’équipe libérale de Jean Lesage s’étant fait élire le 22 juin 1960. Étant historien, j’ai récemment passé en accéléré cette campagne électorale opposant Lesage et consorts à l’Union nationale du défunt Maurice Duplessis. Le principal cheval de bataille : la corruption du vieux parti au pouvoir. Et les promesses d’assainissement des mœurs politiques, dont on nous dit qu’elles furent bien meilleures par la suite, et davantage encore grâce aux réformes de René Lévesque dans les années 1970.

Force nous est de constater que ces mesures comportaient des trous et que certaines personnes ont su, largement, en profiter. De fait, le financement privé des partis politiques constitue un terrain de prédilection à quiconque dispose de liquidités (ou d’argent à blanchir) et cherche à se poser un pied dans les officines du pouvoir. Je te graisse pour ta campagne, tu me refileras plus tard les contrats de la municipalité. Au point où certains entrepreneurs en construction se partageraient des territoires et écarteraient la concurrence à la bonne franquette, c’est-à-dire à coups de menaces et d’intimidation. Comme dans le temps.

Au point où certains vont jusqu’à rencontrer des élus de banlieue pour leur proposer d’économiser des fonds publics en évitant une élection. Doit-on rappeler qu’il n’est pas du ressort des élus de décider si la population a le droit de les élire ou non? Qu’il s’agit d’un droit fondamental de nos sociétés dites démocratiques?

Il est par ailleurs difficile de penser que la corruption, ou à tout le moins les associations douteuses, ne se limitent qu’au monde municipal quand on sait que l’ancien ministre du Travail a dû démissionner pour une affaire de conflit d’intérêt relative à des contrats octroyés à une compagnie dans laquelle il avait une participation. Le premier ministre n’y avait d’abord rien vu de problématique, avant de se raviser un peu plus tard : un petit coup de balais et on n’en parle plus. Ou quand Madame Harel, en plein débat des chefs, nous dit qu’elle ne s’est pas occupée de la corruption au niveau du financement des partis quand elle était ministre des Affaires municipales parce que ce n’était pas d’actualité. On voit la logique derrière l’action de nos politiciens. Et ça dérange les âmes sensibles.

Le problème réside dans l’opacité de notre démocratie. Opacité du financement, opacité des processus décisionnels. Peut-être la représentation a-t-elle fait son temps, ou peut-être faudrait-il, à tout le moins, la repenser en profondeur.

À une époque où l’actuel président des États-Unis a financé sa campagne de façon privée, principalement grâce à de petits dons de particuliers faits sur Internet, peut-être faudrait-il concevoir autrement les modes de financement et de fonctionnement internes des partis, mais également les modes de gouvernance.

Il y a un cynisme grandissant au sein de la population qui ne date pas d’hier vis-à-vis de la classe politique, et c’est principalement parce qu’on voit bien qu’on nous rit en pleine face. Nous voulons avoir accès à l’information et aux décisions, nous en avons assez des portes clauses et des enveloppes en-dessous de la table dans les banquets bénéfices.

Nous voulons plus de transparence et pour cela, il nous faudra changer la classe politique actuelle, et il nous faudra également changer les structures du pouvoir. Si à l’âge des structures est en train de succéder l’âge des réseaux, peut-être le gouvernement de demain trouvera-t-il sa légitimité dans l’accès et la transparence plus grands offerts par Internet (pourquoi faut-il constamment invoquer une loi pour avoir accès à l’information?), dans l’inclusion des citoyens – de tous les citoyens et non une clique plus ou moins louche de financeurs de partis – dans les processus décisionnels.

La démocratie est quelque chose de fragile sur laquelle il importe de veiller. Les récents scandales de la politique municipale nous rappellent combien il est facile de la corrompre. L’avenir nous dira à quel point nous y tenons et sommes capables d’investir – et surtout de NOUS investir – dedans. Et cela nécessitera sans doute bien davantage que de seulement cocher un bulletin de vote aux quatre ans.

2 réponses sur “Le roi n’est pas nu, il porte du Versace”

  1. 1er novembre 2009 à Montréal et la vie citoyenne.

    Statu quo. Ou presque. Pas très encourageant, mais au moins un point intéressant : Union Montréal sera minoritaire.

    Je suis en train de me dire que la seule façon d’intéresser les citoyens à leur municipalité serait de les faire payer… beaucoup de gens sont obsédés par leurs impôts, par exemple, et s’intéressent (un peu) aux budgets que le provincial et le fédéral leur présente aux 4-5 ans (ou aux 2 ans!). Toutefois, très peu de locataires ont conscience qu’une partie de leur loyer s’en va à la ville. Puis les propriétaires « ne paient pas » leur consommation d’eau, service pourtant essentiel qui a un coût significatif. Ce n’est sûrement pas une politique de parcomètres qui va changer la donne. Ça me ramène au scandale des compteurs d’eau : l’art de saboter une bonne idée. Je prends des raccourcis, mais ça résume mon point : si on ne lui envoie pas de factures, le citoyen moyen n’est pas civiquement responsable.

    Il ne faudrait quand même pas compter sur le fait que les gens écoutent les nouvelles d’une oreille distraite pour se faire une idée claire de qui peut vraiment commander notre paquebot municipal. Mes amis, on tient la barre, sinon on se voit au bar!

    D’ailleurs, la politique, ce n’est pas seulement aller voter quand on nous dit de le faire : notre style de vie est politique, nos choix personnels, familiaux et professionnels influencent nos politiques sociales. Je me demande si nous verrons un jour se manifester un esprit de communauté plus participatif dans nos quartiers, dans nos municipalités…(fallait que ça sorte!)

  2. L’idée d’internet comme outil de participation démocratique n’est pas mauvaise, et on pourrait facilement imaginer un système dans lequel de multiples questions seraient soumises à la population par le biais de référendums virtuels et où les citoyens auraient un pouvoir décisionnel au jour le jour sur ce qui se passe dans la sphère publique.

    Mais lorsque je vois des taux de participation aux élections qui passent sous les 40% après une campagne qui a été caractérisé par les bombes médiatiques autour de la corruption, et que 38% de ceux qui ont effectivement été voté on voulu ré-élire le maire Tremblay (que celui-ci soit responsable ou non importe peu dans l’absolu, sa ré-élection n’en reste pas moins symbolique du statut quo en la matière), je ne peux faire autrement que de me questionner sur la pertinence à notre époque d’élargir la démocratie. Appelez-moi élitiste… ou cynique!

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