traduit par : Jonathan Martineau
Quelques heures avant le débat entre les sénateurs Hilary Clinton et Barack Obama, en Californie, les journalistes soulignaient l’importance d’un moment historique: pour la première fois de l’histoire des États-Unis, une femme et un afro-américain rivalisent pour l’investiture de leur parti. Qui plus est, les démocrates n’avaient plus d’autre choix, John Edwards s’étant retiré de la course. Cette scène est la bienvenue. Une sensibilité minimale à la question du statut privilégié des hommes caucasiens, en Amérique du Nord, amène à reconnaître le caractère exceptionnel de la situation. De plus, qui peut prévoir si une telle chose se reproduira dans un avenir rapproché? Toutefois, l’ascension d’une femme et d’un afro-américain au seuil de la présidence des États-Unis veut aussi dire que la culture américaine de politique identitaire et ses liens étroits avec la politique représentative, gagnant du terrain depuis les années 1980, sont aussi sous les projecteurs – et ceci que les candidats le veuillent ou non.
Bien qu’elles ne soient pas équivalentes, la politique identitaire et la politique représentative coexistent et se renforcent mutuellement dans l’environnement contemporain. La politique identitaire est une position qui analyse le politique du point de vue de marqueurs identitaires qui tendent à évoluer autour du genre, de la race, de l’ethnicité, de la classe et de l’orientation sexuelle. La politique représentative, quant à elle, évolue autour du concept de la représentation. Par exemple, une famille afro-américaine occupant la Maison-Blanche est l’équivalent représentatif d’un coup d’État, une forme de gain territorial aux dépens de ceux qui dominent habituellement l’espace public. Il n’est pas surprenant que les médias profitent de la politique représentative puisqu’elle nous amène à considérer l’image en tant que terrain de lutte politique, alors que restent occultés les terrains de lutte de ceux et celles qui ne passent jamais sous l’œil des photographes et des journalistes.
Dans le cadre de la course à l’investiture démocrate, nous assistons à la combinaison de ces deux paradigmes. En ce sens, nous sommes d’une part confrontés aux défis qu’ils posent, alors que d’autre part nous pouvons apprécier leurs résultantes. Voir Hilary Clinton et Barack Obama se présenter comme leaders potentiels de la nation la plus puissante du globe est un gain en termes de politique représentative – lorsque l’image et la visibilité sont des lieux politiques, ils offrent à la communauté afro-américaine et aux femmes un gain tangible (et virtuel). Mais, avec l’occupation de ce lieu privilégié par des gens appartenant à des groupes sociaux qui souffrent toujours d’un désavantage systématique, vient le danger que ces gains représentatifs servent d’alibi et viennent occulter les obstacles qu’ils ont eus à franchir. Il faut garder en tête que, dans la société américaine, Clinton et Obama sont des irrégularités statistiques. S’ils ne l’étaient pas, la signification historique de leur présence nous échapperait. La conjonction potentielle entre femme/noir et présidence n’a aucun précédent historique aux États-Unis, mais les précédents dans le reste du monde devraient nous rappeler ce qu’il advient lorsque l’on ne distingue pas politique identitaire et identité. L’exemple de Margaret Thatcher, ancienne première ministre de droite de la Grande-Bretagne, peut illustrer les dangers qui émergent lorsque cette confusion s’opère. Le gain représentatif d’une femme au pouvoir, dans ce cas, a été accompagné d’un recul net de la situation des femmes et de groupes minoritaires dans ce pays. Cette fausse analyse, qui amalgame identité et politique identitaire, est la même qui fait croire à certains fédéralistes canadiens que le fait de placer un Québécois à la tête du pays devrait mettre en veilleuse la politique identitaire des souverainistes québécois.
Placer la condition des femmes et des minorités ethniques au centre des préoccupations électorales est un gain souhaitable. Jusqu’ici, ces conditions ont été l’objet de débats formels et d’attention médiatique. Puisque la politique représentative n’est pas concernée par les conditions matérielles, souhaitons que l’identité des candidats puisse soutenir un discours sur les conditions matérielles des communautés qu’ils représentent. Les raisons de célébrer la présence d’une femme ou d’un afro-américain à la Maison-Blanche seront d’autant plus grandes si les conditions de ceux et celles qui s’identifient à eux sont améliorées.