Quand stabilité rime avec oppression

Deux cas récents ont remis à l’avant-scène des questions éthiques et politiques en ce qui a trait aux réseaux d’organisation non-gouvernementales (ONG) et organisations humanitaires évoluant sur la scène internationale. D’une part le gouvernement militaire birman a refusé l’accès à une partie de son territoire dévasté par le cyclone Nargis aux organisations humanitaires et à diverses ONG. Plus récemment, le président zimbabwéen Robert Mugabe a interdit les activités de toutes les ONG, nationales et internationales, sur son territoire.

 Help
Frédérique Ulman-Gagné, Help, 2008
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(avec la permission de l’artiste)
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Les motifs invoqués ? Dans un cas, la junte birmane semblait craindre la dissémination d’idées et de pratiques qui pourraient miner son pouvoir. En effet, des organisations occidentales favorisant l’action humanitaire et parfois politique hors des cadres étatiques (et sous l’œil des médias internationaux) a pu faire hésiter la junte, qui se remet à peine de la révolte démocratique lancée par les moines il y a quelques mois. Dans le cas du Zimbabwe, Mugabe a interdit les activités des ONG sous prétexte qu’elles alimentaient l’insubordination politique et faisaient la promotion de son adversaire au deuxième tour présidentiel, Morgan Tsvangirai. Sous ces critiques se cachent une série de présuppositions communes qui se ramènent plus ou moins à une seule : les ONG et les organisations humanitaires, malgré leurs appellations, sont des organisations politiques.

La critique des ONG et des organisations humanitaires ne date pas d’hier. Mais avec la fin de la guerre froide, plusieurs avaient entrevu une dépolitisation à venir de ces organisations. Très rapidement, l’apparente neutralité du terrain humanitaire a été contestée. L’aspect politique des ONG a de plus en plus été décrié, les exposants donc aux critiques à droite comme à gauche. On peut noter plusieurs thèmes récurrents. Selon certains courants de gauche, les ONG participent à l’impérialisme occidental, que ce soit en diffusant des modes d’organisations et de gouvernance ‘libéraux’, ou en faisant la promotion de schèmes de développement capitalistes. À l’autre bout du spectre, on accuse certaines ONG de véhiculer des idées trop progressistes, de miner le pouvoir étatique, de faire entrave au développement économique. Ces accusations sont bien entendu politiques. Elles relèvent donc de luttes qui, sur le terrain, ne sont pas seulement des luttes idéologiques mais souvent des luttes physiques, armées 1.

Bien qu’elle puisse avoir certains fondements justifiables et un certain effet théorique, la critique des ONG risque toutefois de passer à coté du problème, et ce de deux façons. D’une part, il est impossible de mettre toutes ces organisations dans le même panier, comme l’a fait Mugabe. Il y a autant d’idéologie et de fonctionnement différents qu’il y a d’ONG différentes. Mais de façon plus importante, il faut prendre en compte les situations sur le terrain. Si le fonctionnement interne et la fonction sociale des ONG peuvent être l’objet de critiques, il est mal aisé de conclure que leur bannissement apporterait une quelconque embellie de la situation. Dans les cas qui nous intéresse, la junte birmane a finalement et timidement accordé l’accès aux zones sinistrées, mais ceci après plusieurs semaines qui pour certaines victimes furent des semaines de trop. Au Zimbabwe, les premières victimes de l’interdiction lancée par Mugabe seront vraisemblablement les populations les plus vulnérables, notamment les sidéens, séropositifs, et les personnes dépendant de l’aide alimentaire.

Lorsqu’un État craint les actions provenant de la société civile, qu’elle soit nationale ou internationale, il expose son propre autoritarisme. Si les ONG sont des agents de l’impérialisme occidental alors que les multinationales ont droit de passage et d’exploitation partout, il y a lieu de questionner le jugement politique des gouvernements concernés. En interdisant l’action des ONG et des organisations humanitaires sur leur territoire ces gouvernements mettent en péril la survie de leur population pour des raisons de stabilité politique. Or lorsque stabilité politique rime avec ruine sociale et économique, il est permis de critiquer non pas les supposés agents déstabilisants, mais les gouvernements qui assoient leur pouvoir sur la détresse de leur population.

Notes (cliquez sur le numéro de la note pour revenir au texte)

1. La critique que l’on n’entend moins souvent et qui pourtant devrait traverser le spectre politique, du moins en excluant les extrêmes, est celle du manque de démocratie au sein des ONG. En effet, la structure et l’organisation de la très grande majorité des ONG est tout sauf démocratique.

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