Que s’est-il passé lors des élections québécoises du 26 mars dernier?

À lire les manchettes des quotidiens francophones durant les jours qui ont suivi les élections québécoises du mois de mars dernier, on a pu avoir l’impression que le Québec entamait une nouvelle phase de son histoire: celle du désenchantement politique. Rappelons les résultats: le Parti libéral du Québec (PLQ), qui avait battu des records d’impopularité au début de son mandat, a été réélu pour un second mandat – cette fois-ci comme gouvernement minoritaire – avec 48 des 125 sièges de l’Assemblée nationale. De son côté, le Parti québécois (PQ), porteur du projet souverainiste, s’est vu relégué au rang de troisième parti en terme de représentation (36 sièges), laissant la place de l’opposition officielle à ce «jeune parti» qu’est l’Action démocratique du Québec (ADQ: 41 sièges). Quant aux autres partis pris en compte par les analystes médiatiques (Parti vert du Québec et Québec solidaire), malgré les sondages qui leur accordaient respectivement 5% des votes, ils n’ont obtenu que 4% chacun, et… aucun siège.

Opinion V
Arion Potts, Opinion V, 2007
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Du côté de la France, le quotidien Libération concoctait, avant l’annonce du résultat, un article intitulé «Les réacs ont la cote au Québec: la montée du parti ADQ illustre la tentation conservatrice de la province»; Le monde y allait pour sa part d’un titre percutant suite à l’annonce des résultats: «Les libéraux québécois privés de la majorité par un vote populiste», alors que Le Figaro réitérait dans le même sens: «La droite populiste au Québec bouscule les élections». Au Québec, éditorialistes et journalistes (La Presse, Le Devoir, Radio-Canada, pour ne nommer que ceux-là) parlaient inlassablement d’un «séisme politique», alors que le terme «populiste» semblait le prêt-à-porter idéal pour qualifier l’Action démocratique du Québec et son «leader» Mario Dumont.

Certes, l’écart est bien grand entre un Juan Domingo Perón, paradigme du populisme latino-américain du siècle dernier, capable de rassembler des masses – et attention! des masses: des centaines de milliers de personnes rassemblées devant la «maison» présidentielle («casa rosada») dans l’attente d’un discours du futur chef le 17 octobre 1945, par exemple –, et un Mario Dumont, «petit gars de Rivière-du-Loup» comme les Québécois aiment (aimaient?) bien se le représenter, qui place la famille au centre des préoccupations de son parti tout en axant l’essentiel de son projet politique sur la question d’une saine gestion de l’économie. Dumont est démagogue dans son approche politique, c’est clair, lui qui dit parler «des vraies affaires», et reproche la stérilité de leurs discours aux politiciens québécois des deux principaux partis (PQ et PLQ): discours de «mots vagues», «de slogans creux», discours qui «sonnent faux», comme on peut le lire sur le programme politique de l’ADQ. On peut certainement dire que son parti partage plusieurs traits avec d’autres partis qualifiés de populistes.

Mais au fait, qu’est-ce que le populisme? Le populisme se limite-t-il à un attachement entre un leader et le peuple? Pourquoi cette impression qu’une formation populiste manipule les électeurs? Et que nous indique la montée d’une formation politique populiste sur l’état de la politique d’un pays donné? Il est souvent appréhendé comme un «non-sens» ou un «fait divers»(1), d’aucuns ont même effectué le rapprochement entre populisme et fascisme, puisque pour certains de ses détracteurs le populisme mènerait inéluctablement à la dictature(2). Attachement à un leader utilisant à l’excès le terme «peuple» – dont les définitions sont multiples et variées – dans ses manifestations discursives, empreint de démagogie, etc.; on ne sait trop où nous mène cette appellation de populisme, et pourtant, on en reconnaît les formes dans des lieux et des époques aussi diverses – de Perón à Dumont, par exemple. A taxer Dumont et son parti, sans trop savoir de quoi il en revient, de «populistes», on court des risques. Lesquels? En premier lieu, celui de glisser vers une crainte généralisée de la parole politique du «petit peuple» – terme qui, s’il n’est pas «entendu» dans les discours des analystes et commentateurs, est bien souvent sous-entendu. Francis Dupuis-Déry, professeur à l’Université du Québec à Montréal et penseur politique québécois, a eu la brillante idée de retracer deux grandes tendances à l’œuvre dans l’ensemble de la philosophie politique. Ces tendances, il les exemplifie par les concepts d’agoraphobie et d’agoraphilie: crainte de la gestion des affaires publiques par le peuple – puisque irrationnel, ou inapte à gérer le bien commun – d’un côté; conviction que le peuple peut s’autogérer, de l’autre. Je crains qu’une partie de la société québécoise, vis-à-vis le «séisme politique» des élections de mars, ne se laisse emporter dans ce jugement, voire cette croyance facile et fausse que le peuple – ou sa composante adéquiste – est incapable de prendre des décisions éclairées. Une telle conception créerait une fracture importante au sein de la société.

Ce qui a été exprimé avec force par le peuple québécois le 26 mars dernier, c’est une méfiance à l’égard de l’élite politique en place. Car le populisme qui refait surface sur plusieurs scènes politiques ces dernières années et qui semble se pointer le nez au Québec, souligne avec insistance les problèmes de représentation que traversent plusieurs démocraties occidentales. Dans un article du Monde diplomatique intitulé «Faut-il avoir peur du populisme ?», Alexandre Dorna, auteur du livre Le populisme, paru aux Presses Universitaires de France en 1999, écrit: «En premier lieu, le populisme est surtout un phénomène de transition, éruptif et presque éphémère, qui se développe au sein d’une crise généralisée et d’un statu quo politico-social insoutenable pour les majorités», ce à quoi il ajoute:«Il s’agit d’une sonnette d’alarme, d’un avertissement bruyant et baroque plutôt que d’une explosion qui emporterait tout sur son passage»(3). Si tel est le cas, il n’y a pas lieu de désenchanter… De toute façon, à désenchanter face à un apparent désenchantement, on n’irait pas bien loin! Le populisme pointe vers une crise, et cette crise, c’est celle de la représentation politique. À condition qu’un régime ne résolve pas les problèmes de représentation vers lesquels il pointe, le populisme demeure un «phénomène transitoire» et «éphémère». Le risque, c’est de fermer les yeux face à ce problème plus large en continuant de pointer du doigt les électeurs adéquistes, en remâchant l’idée qu’ils ont été manipulés, en somme: en reprenant à notre compte la position de l’agoraphobe qui dit que le peuple est irrationnel, incapable de prendre des décisions éclairées. Suivant la définition convenue du populisme, les chefs populistes (que l’on qualifie souvent aujourd’hui de néo-populistes, vu leur attachement à des politiques néo-libérales) réussiraient «à susciter l’accès imaginaire des «gens ordinaires» aux aires de la citoyenneté politique en interpellant leur subjectivité, leurs croyances et leur identité(4)». Les formations politiques populistes se nourriraient donc d’une espèce de manipulation psychologique des masses, en se posant comme les représentants des exclus, la voix des sans-voix. Mais ce n’est là qu’un aspect des populismes de l’histoire politique récente, l’autre étant qu’il s’agit d’une «sonnette d’alarme», d’un «phénomène transitoire» qui pointe vers un autre problème, celui de la représentation. Et je crois que c’est sur ce deuxième aspect du populisme que nous devons insister.

«La présence du populisme, note Dorna,est assimilable, mutatis mutandis, à un accès de fièvre. Et si la fièvre est symptôme de maladie, elle n’est pas, en elle-même, la maladie(5)». Au Québec, le mode de scrutin en vigueur est un mode de scrutin uninominal (un élu) à un tour (un seul vote). Le problème majeur de ce mode de scrutin est le suivant: les sièges de l’Assemblée ne sont pas attribués en fonction du pourcentage de voix obtenues. Plutôt, pour obtenir un siège, les partis se présentant aux élections doivent faire élire le représentant d’un comté donné, un comté équivalent à un siège. Le mode de scrutin en vigueur peut ainsi créer des écarts considérables entre l’appui réel de la population à un parti – le pourcentage d’appui à ce dernier – et la distribution des sièges en fonction des comtés gagnés. C’est ce qui explique, entre autres, que des partis tels que Québec solidaire et le Parti vert n’aient obtenu aucun siège aux dernières élections. S’il s’avère vrai que la maladie dont souffre le Québec est liée à sa représentation politique, pourquoi ne pas commencer par le premier traitement: un mode de scrutin proportionnel.

Notes

(1) DORNA, Alexandre, «Faut-il avoir peur du populisme?», Le monde diplomatique, novembre 2003.
(2) Idem.
(3) Idem.
(4) Victor Armony, L’énigme argentine: images d’une société en crise, Outremont, Athéna Éditions, 2004.
(5) DORNA, op. cit.

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