In memoriam, Pierre Vadeboncoeur (1920-2010)

Le Panoptique désire rendre hommage à l’écrivain Pierre Vadeboncoeur, décédé hier matin, sans conteste l’essayiste le plus marquant qu’ait connu le Québec à ce jour.

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Unique, l’œuvre de Vadeboncoeur est imprégnée de la marque d’un libre penseur doté d’une profondeur d’esprit et d’un style peu communs. Dès son premier essai, La ligne du risque (1963), et même bien avant par ses articles publiés dans différentes revues, Vadeboncoeur s’affirme comme une voix unique se penchant tantôt sur l’expérience humaine, sur l’art, sur la politique ou encore la société québécoise.

En fait, son spectre de réflexion connaît peu de limites et, plus intéressant encore, ne se barde pas de la méthodologie et de la dialectique universitaires qui commencent alors à envahir le champ intellectuel (et qui dominent sans conteste aujourd’hui). Vadeboncoeur s’érigea d’ailleurs à plus d’une reprise contre l’académisme et, plus particulièrement, la philosophie qui prétend rendre compte de l’essence de l’expérience humaine au travers de la seule raison et de systématisations froides et peu attentives au caractère effervescent et fondamentalement hétérogène de l’humanité, notamment dans ses retranchements les plus ultimes, soit l’art et la mystique.

La réflexion de Vadeboncoeur plonge ainsi au cœur d’une expérience humaine extrêmement riche et complexe, celle d’un homme qu’on sent justement profondément marqué par l’art et la métaphysique (davantage comprise au sens de l’expérience que de la réflexion logique). Plus encore, elle s’exprime avec une concision et un élan qui relèvent parfois carrément de la poésie, ce genre peut-être seul capable d’exprimer l’expérience humaine dans toute sa densité.

Pour conclure ce bref hommage à l’intellectuel unique que fut Pierre Vadeboncoeur, je vous laisse sur quelques citations choisies au fil de lectures encore trop peu nombreuses de son œuvre. Également, je vous invite à consulter l’édition d’aujourd’hui du quotidien Le Devoir, qui contient un texte inédit de l’essayiste, « Fragments d’éternité » :

http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/282886/pierre-vadeboncoeur-1920-2010-fragments-d-eternite

« L’art substitue aux contingences un univers d’une autre nature, libéré de la vie ordinaire et du quotidien. Il n’y a plus de quotidien. L’homme a cherché de tout temps cet exil ou, pour mieux dire, cette autre existence, soit dans la mystique, soit dans l’art, soit dans la pensée. Nous aspirons sans cesse à sortir ainsi de notre condition.

S’éloigner de la terre, chercher la liberté, échapper à la mort, danser, peindre, chanter, prier, c’est toujours le même mouvement: nous n’avons jamais accepté notre vraie situation. De ce point de vue, notre histoire est celle d’un refus. C’est aussi celle d’une industrie perpétuelle tendant à renverser la loi qui nous astreint à la nécessité. »

– « Fragments d’éternité », publié dans Le Devoir, 12 février 2010

« Mes propos ne sont pas déterminés d’avance. Cette initiale liberté se trouve à la racine de mes articles et de mes livres. J’invente généralement tout à mesure. Je me confie en ce qui en moi sait plus que moi-même. Je n’écris pas comme on raisonne.

Mon écriture consiste à pousser devant des choses que je pressens, que j’aborde sans les connaître encore et que je découvre chemin faisant.

L’objet de ce que j’écris est moins un sujet qu’une expérience – une expérience non ponctuelle, ayant de la durée. »

– « L’ère du fatras », dans La Clef de voûte, 2008, p. 127.

« L’humanité, au fond d’elle-même, fait la distinction, laquelle, disons, est à l’abri des philosophes. Car il y a eu autre chose que des philosophes : des mystiques aussi se sont mêlés de tout cela. À remarquer qu’ils se signalaient beaucoup par la qualité de leur humanité. »

– « L’ère du fatras », dans La Clef de voûte, 2008, p. 148.

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