Après les chaleurs de l’été, le temps des vendanges est commencé. Le vin est depuis l’Antiquité un plaisir olfactif et gustatif pour les amateurs un peu partout dans le monde. Mais de plus en plus, les goûts et saveurs tendent à se ressembler de l’Espagne à l’Australie en passant par l’Afrique du Sud. L’utilisation de pesticides est généralisée et l’ajout de soufre, quasi inévitable. Cependant, voyons comment, en France, des producteurs de vins naturels ont opté pour une démarche différente, plus respectueuse de l’environnement… et du goût.
À l’heure actuelle, les deux tiers de la production mondiale de vin sont produits par l’Europe, principalement par l’Italie, la France et l’Espagne. Au mois de mars dernier, le Pesticides Action Network Europe (PAN-Europe), soutenu par le Mouvement pour le droit et le respect des générations futures (France), Global 200 (Autriche) et Greenpeace (Allemagne), publiait une étude révélant que la grande majorité des vins d’Europe et des autres pays producteurs dans le monde contenait des résidus de pesticide(1). L’étude portant sur un échantillon de 40 bouteilles, dont 34 provenaient de l’agriculture conventionnelle et 6 de l’agriculture biologique, dévoilait que 100% des vins conventionnels contenaient au moins quatre pesticides (et un maximum de dix), et qu’un des vins biologiques contenait une quantité faible de résidus, lesquels ont été expliqués par une dérive des pesticides pulvérisés sur les parcelles de terres voisines. Toujours selon cette étude, l’utilisation de pesticides en viticulture est généralisée: la surface agricole couverte par les raisins en Europe représente 3,5% et reçoit environ 15% des pesticides synthétiques utilisés en agriculture.
En amont du champ et du chai, nous pouvons nous demander pourquoi autant de résidus synthétiques se retrouvent dans les bouteilles. Une partie de la réponse se trouve dans la tolérance des institutions en place face à cette méthode de production vinicole. À preuve, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) publiait récemment sa proposition de limites maximales de résidus (LMR) de pesticides dans les vins. Alors que la teneur maximale de résidus de pesticides dans l’eau potable pour tous les pesticides confondus est de 0,5 ug/l, l’INRA propose que le vin puisse en contenir jusqu’à 60 mg/l. Pour une majorité de pesticides, la limite proposée par l’INRA est en réalité plus de cinq fois supérieure à ce que l’on a détecté en laboratoire chez les vins étudiés. De cette liste de 32 produits de synthèse, certains sont largement étudiés ainsi que médiatisés et leurs effets négatifs connus. Citons à ce titre le glyphosate, élément actif du désherbant Roundup, produit par la firme Montsanto.
En plus de l’utilisation intensive de pesticides, la viticulture dite conventionnelle a pour pratique d’appliquer des insecticides et autres produits de synthèse sur les vignes, des désherbants et des engrais dans les sols et d’ajouter des levures et du soufre lors de la vinification. Ces pratiques permettent d’assurer de grandes productions, mais créent un déséquilibre non négligeable sur le sol, la faune et, inévitablement, sur le goût. Des vins standardisés, aux arômes uniformes, sont aujourd’hui la norme. Pourtant, encore très marginaux, quelques vignerons ont décidé de renoncer à ces pratiques productivistes et de privilégier des méthodes plus respectueuses pour la terre et pour nous, amateurs.
C’est entre les années 1950 et 1980 que la viticulture a subi un tournant que l’on pourrait qualifier de «technologique». En France, lors de cette période d’après-guerre, qui était une période de pénurie, la majorité des œnologues et vignerons ont opté pour la «modernisation» en employant des pesticides, des engrais, des levures industrielles et du soufre, s’inscrivant ainsi dans la logique de la Révolution verte. Par contre, certains ont résisté et leur nombre s’accroît encore aujourd’hui. L’un des pionniers des vins naturels est Jules Chauvet (1907-1989), chimiste et grand dégustateur. Il préconisait le moins d’intervention possible, et ce, à chacune des étapes de la production, afin de conserver tout le caractère naturel et unique qu’il est possible de dégager d’un vin. Il est celui qui a inspiré d’autres dégustateurs très connus tel que Jacques Néauport, mais aussi des vignerons reconnus pour leurs vins naturels, tels que Marcel Lapierre (dans le Beaujolais), Pierre Overnoy (dans le Juras) et Claude Courtois (dans la Sologne). Ces producteurs privilégient un lien plus direct et harmonieux avec la terre de même qu’au moment de la transformation du raisin.
Vins naturels ou vins «bio»?
Les vins «bio» ne sont pas nécessairement des vins naturels. Les vins «bio» sont issus de raisins provenant d’une agriculture biologique. Les raisins sont donc bio, mais le vin ne l’est pas nécessairement. Aucun produit chimique de synthèse (engrais, pesticides) n’est appliqué sur les vignes, par contre, rien n’empêche un viticulteur d’ajouter des levures et du soufre lors de la vinification. Cette étape de transformation a été exclue du règlement européen des produits biologiques en 1991, en raison de l’absence de cahier des charges spécifique à cette étape. Le vin naturel, quant à lui, est issu d’une agriculture biologique, et souvent biodynamique(2), mais sans ajout de levure ni de soufre (ou en très faible quantité). La démarche favorise le moins d’intervention possible lors de la vinification.
La levure indigène, composée des champignons microscopiques qui se trouvent sur la peau des raisins et retenus par une matière cireuse appelée la pruine, est la clé du vin. La première action de cet organisme unicellulaire consiste à transformer le sucre (présent dans la pulpe du raisin) en alcool, alors que des résidus secondaires produits lors de cette fermentation résultent en des composés aromatiques. C’est elle qui lui donne ainsi ses arômes les plus délicats et laisse entrevoir la typicité du sol et du climat de la région où la vigne a été cultivée; elle est donc spécifique au millésime.
L’ajout de levures exogènes lors de la vinification a pour effet «d’équilibrer» le goût du vin, voire le standardiser, mais dissimule les saveurs représentatives du terroir et du climat pour obtenir un goût «international». Les vignerons peuvent se procurer des levures exogènes par le biais de laboratoires œnologiques spécialisés, afin d’ajouter des parfums végétaux, minéraux et autres, cachant ainsi les arômes naturels du vin. Il existe dans l’industrie plus de 300 levures aux caractéristiques diverses: certaines sont neutres et ne font que transformer le sucre en alcool, alors que d’autres peuvent produire des arômes de framboise, de cassis, de cerise… Le vin s’éloigne ainsi de son lien direct avec la terre et son environnement et devient un produit que l’on construit selon les goûts des consommateurs ou de certains dégustateurs influents. Les vins aux caractères surprenants se font ainsi de plus en plus rares.
Le dioxyde de soufre (SO2) est également admit dans les cahiers des charges biologiques (à l’exception des membres de la Fédération Nationale Interprofessionnelle des Vins de l’Agriculture Biologique). Cet agent artificiel est très utile pour stabiliser l’action des levures et par conséquent pour conserver les vins. Nous avons mentionné que sous l’effet des levures, les sucres se transforment en alcool pour atteindre un taux de 15% à 16% après quoi le travail cesse naturellement. Il restera toutefois des sucres résiduels qui, sous l’action de variations de température (chaleur), peuvent fermenter à nouveau mais de manière incontrôlée et ainsi déstabiliser le vin. De ce fait, du SO2 est ajouté afin de mieux conserver le vin, principalement lors de l’exportation. Le dioxyde de soufre est un gaz dense qui inhibe l’action des levures et rend ainsi le travail de vinification, la mise en bouteille et le transport beaucoup plus faciles. Ce composé réactif présent dans la grande majorité des vins et dans de nombreux autres produits alimentaires peut provoquer des réactions inflammatoires chez plusieurs personnes. Se caractérisant par des éternuements, des démangeaisons et des douleurs abdominales, son action peut parfois avoir des conséquences plus graves. Le soufre est la principale cause des maux de tête et agace également le nez et la bouche des dégustateurs. Afin de limiter l’ajout de soufre, les levures indigènes doivent travailler un maximum de temps, mais rien ne peut garantir la stabilité du vin. Il devient alors très important de conserver le vin à une température ne dépassant pas 14 degrés Celsius.
Encore des labels…
Toujours en France, contrairement aux vins issus d’agriculture biologique et biodynamique, il n’existe pas encore de certification ni de cahier des charges pour les vignerons qui produisent du vin naturel. La reconnaissance vient uniquement des pairs. Pour le bio et la biodynamie, des organismes indépendants, tels que la Fédération Nationale Interprofessionnelle des Vins de l’Agriculture Biologique et Écocert, sont habilités à décerner le label «AB» pour l’agriculture biologique. D’autres organismes, tels que Demeter et Biodyvin, le sont pour décerner le label «en biodynamie». Toutefois, les préoccupations environnementales sont différentes d’un vigneron à l’autre et d’un consommateur à un autre. Malheureusement, les différents labels offrent souvent peu d’information pour un marché si complexe. L’efficacité des mesures, des qualifications environnementales et des normes est, à ce jour, encore confus(3).
En France, les vins naturels sont de plus en plus présents sur les tablettes et dans les bars à vins. Au Québec, il est possible de s’en procurer mais, à l’heure actuelle, ce sont principalement les maisons d’importation privé(4) qui les distribuent à des particuliers, bars à vins ou restaurants. Les quantités de vins naturels sont encore trop petites pour pouvoir être distribuées en vente libre par la Société des alcools du Québec. Malgré cet obstacle, il est juste de se rappeler que le choix d’un vin peut se faire selon divers critères, mais que le bon goût demeure probablement le meilleur. Les vins naturels nous offrent des saveurs uniques et typées mais, comme tous les types de vin, ils ne peuvent malheureusement pas nous garantir ce critère tant recherché!
Notes
(1) Pesticide Action Network Europe, 2008, «Étude vin Pan-Europe, «Message dans une bouteille», Étude sur la présence de résidus de pesticides dans le vin», 20 pages.
(2) «L’approche scientifique de Rudolf Steiner [1924] sur laquelle repose l’agriculture biodynamique peut être qualifiée d’approche écologique/qualitative en opposition à l’approche analytique/quantitative de la science conventionnelle. Cette approche est écologique au sens le plus large du terme puisqu’elle englobe toutes les forces terrestres et célestes qui influencent la vie. Elle est qualitative dans son étude des processus vivants.» Citation provenant de la Maison de l’Agriculture biodynamique, «Les fondements de l’agriculture bio-dynamique»,[en ligne] <http://www.bio-dynamie.org/fondements-agriculture-biodynamique/fondements-agriculture-biodynamique-sommaire.htm>, Consulté le 6 août 2008.
(3) Teil, Genevieve et al., 2007, «Faire valoir: le marché comme instrument de l’action collective. Le cas des vins à qualité environnementale.», Communication au Colloque international les approches pragmatiques de l’action publique, Bruxelles (BEL). 25 pages.
(4) Par exemple la Maison RéZin (sous la bannière Importation sauvage), Oenopole et Les Canons.