Les pratiques des compagnies aurifères canadiennes opérant à l’étranger sont sous les projecteurs. Le livre Noir Canada1, paru le mois dernier, dépeint les pratiques controversées de plusieurs compagnies cotées à la bourse de Toronto. Les réactions suivant la parution de ce livre démontrent la pertinence des questions abordées par les tables-rondes sur la responsabilité sociale des entreprises et des industries extractives canadiennes dans les pays en développement2. Cet article présente le projet d’une compagnie canadienne d’exploiter une mine d’or en Transylvanie.
Le contexte roumain
La Roumanie contemporaine fait face à diverses dynamiques parfois contradictoires en ce qui concerne les politiques environnementales. Alors que ses zones naturelles représentent des refuges écologiques uniques en Europe, le développement économique risque de devancer les programmes de conservation.
Semblablement aux Pays d’Europe Centrale et Orientale, le paysage socioéconomique roumain connaît de nombreux changements structuraux, transitant d’une économie planifiée nationale à une économie de marché globale et s’intégrant à l’OTAN, en plus de devoir répondre aux nouvelles exigences politiques imposées par son intégration à l’Union européenne. L’économie se transforme, le marché se déplace3, les modes de décisions évoluent et la société connaît une mutation importante alors que le capitalisme roumain est des plus agressifs4.
Quelle place pour l’environnement?
La Roumanie constitue un joyau naturel d’Europe. Les Carpates abritent certaines des dernières forêts primaires européennes5 avec, entre autres, une importante population d’ours, de loups, de chamois et de lynx. De plus, le delta du Danube, zone poissonneuse, constitue la zone ornithologique la plus importante du continent européen.
Aujourd’hui, certaines de ces zones sont menacées par des projets d’envergue internationale. Mentionnons l’exemple de l’autoroute qui permettra de relier la mer Noire à Viennes ou le renforcement des berges du Danube permettant d’augmenter le tonnage du transport fluvial. Ces projets, soutenus par les fonds européens, sont en contradiction avec certains projets de conservation – également soutenus par des pays européens – tel l’aménagement des berges du Danube pour créer des refuges de la biodiversité, appuyés par Bruxelles6.
Les projets financés par la communauté internationale, quels qu’ils soient, sont accueillis à bras ouverts par l’État roumain, qui tente de se défaire d’une réputation d’institution corrompue. Le pays cherche à moderniser son économie tout en augmentant le niveau de vie d’une des populations les plus pauvres d’Europe7. C’est dans ce contexte qu’il faut envisager le projet de mine d’or à Rosia Montana, de la compagnie Gabriel ressources, cotée en bourse à Toronto et dont on dit qu’il permettrait de développer une région reculée des Carpates transylvaines (nord-est). L’État roumain est partenaire de ce projet qui est à l’étude depuis 1997.
Un projet controversé…
L’or de Rosia Montana est exploité depuis près de deux mille ans, d’abord par les Romains, ensuite par les Austro-Hongrois, finalement par les Roumains. Selon les prospecteurs, il reste près de 500 tonnes d’or et plus de 2000 tonnes d’argent dormant sous quatre montagnes. Ces métaux ont inspiré un projet de mine d’or pharaonique à F. Timis, industriel controversé8. Ce projet massif donnerait le jour à la mine d’or la plus importante d’Europe, et ce, en zone rurale, dans un site archéologique et religieux unique. L’exploitation représenterait un risque pour l’environnement ainsi que pour les humains dans toute la région. L’utilisation de cyanure pour dissoudre la roche, entre autres techniques, a démontré les risques importants qu’elle occasionne, particulièrement lors de la pollution majeure de la rivière Tissa9, considérée comme l’accident environnemental le plus important en Europe après Tchernobyl.
Un groupe d’opposants au projet minier, Alburnus Maior10, lutte contre l’aboutissement du projet de la compagnie de F. Timis, Gabriel Resources. Il a notamment obligé l’État et la justice à suivre des procédures complexes, compte tenu de l’inexpérience de la plupart des fonctionnaires en la matière. Ce groupe d’opposants est financé principalement par des fonds internationaux, mais n’a cependant jamais reçu d’aide financière canadienne. Minningwatch Canada, une organisation pan-canadienne à but non-lucratif, a également émis plusieurs avis négatifs vis-à-vis ce projet.
Des pays limitrophes se sont aussi impliqués, plus particulièrement la Hongrie, et aussi l’Union européenne, émettant des réserves par rapport au projet. Notons que la Banque mondiale a refusé de soutenir ce projet.
Le débat s’est intensifié au cours des années. Les nombreux slogans et manifestations entourant le projet ont confronté la population roumaine à un dilemme. D’un côté, la compagnie canadienne, à grand renfort de campagnes publicitaires, vante ses engagements en matière d’industrie minière soutenable en accord avec le développement durable. L’entreprise glorifie l’impact positif qu’elle aurait sur le développement économique de la région, avec des emplois et l’ouverture d’une école, contrastant avec l’actuel état de pauvreté de la population. De l’autre côté, les opposants demandent des projets durables et la conservation du patrimoine écologique, archéologique et humain: message qui semble mieux passer au sein de la société civile11.
Aujourd’hui, le projet est en suspend pour cause de révision par le ministère de l’Environnement, de l’évaluation d’impacts sur l’environnement et, plus particulièrement, à cause du refus de la justice locale d’émettre un permis de construire12. La vie reprend son cours à Rosia Montana, alors qu’au Canada les investisseurs institutionnels tentent de se débarrasser de leurs actions en les vantant aux petits porteurs.
De nombreux procès ont marqué le projet de construction de la mine; les opposants ayant adopté la technique du saucissonnage des litiges, employant par ailleurs de jeunes avocats dynamiques.
Le pouvoir est divisé. D’un côté, la poursuite d’un projet d’envergure internationale fomenté dans des pratiques associant les bourses internationales avec les stigmates des anciens apparatchiks reconvertis en hommes d’affaires, de l’autre, la sensibilisation de la population envers la préservation de l’environnement et du patrimoine grandit. Les outils démocratiques et la communauté internationale font pression sur les autorités. La société civile se réveille pour garantir aux populations de vivre dans le respect de leurs identités. Les politiques suivent, à l’heure actuelle, un projet de loi visant à bannir l’utilisation du cyanure dans les mines roumaines.
Compagnies d’extraction canadiennes: responsabilité sociale ou impunité politique?
La controverse du projet minier rappelle l’importance de la politique minière canadienne touchant des pays qui ont une histoire minière tout autre que celle du Canada et vivant dans une réalité socioéconomique fort différente. À cet effet, la responsabilité sociale (et environnementale) du gouvernement a été le thème d’une table-ronde qui a émis des recommandations invitant les autorités canadiennes à améliorer les pratiques de «ses» compagnies d’extraction13.
Le projet de mine d’or de Rosia Montana est représentatif de nombreux enjeux actuels auxquels fait face la Roumanie. Grâce à l’activisme de certains, les pratiques et les mentalités évoluent. Le Canada va-t-il lui aussi mettre plus de pression sur ses compagnies d’extraction pour respecter l’environnement naturel et social des populations touchées, ou va-t-il continuer à supporter les profits des compagnies minières et leurs pratiques controversées?
Notes (cliquez sur le numéro de la note pour revenir au texte)
1. Deneault, Alain et al., Noir Canada, Montréal, Ecosociété, Avril 2008, p.352 .Pour plus d’information: <http://www.ecosociete.org/t117.php> consulté 16-04-2008
2.Viel, Philippe, «Afrique: Exploitation à la canadienne», Alternatives, Volume 14, n°8, avril 2008, [en ligne] <http://www.alternatives.ca/article3558.html> consulté le 16-04-2008
3. En février 2008, par rapport au même mois en 2007, la production industrielle a progressé de 7,7%, la croissance étant soutenue par l’électricité et l’énergie thermique, le gaz et l’eau (11,6%) et l’industrie de transformation (8,7%). En échange, l’industrie d’extraction a baissé de 5,4% (l’agriculture est également en baisse). Aujourd’hui l’extraction représente principalement le pétrole, alors que plus de 500 mines ont fermé durant les 20 dernières années. Source: Statistiques Roumaines. Pour plus d’information: Roumanie.com la Roumanie objectivement <http://www.roumanie.com> consulté le 16-04-2008
4.Pour exemple, voir Dumitru, Toni, «Roumanie: la société de consommation détruit l’enfance.» Le Courrier des Balkans, [en ligne] <http://balkans.courriers.info/article10188.html> consulté le 16-04-2008
5.Pour un aperçu de certaines de ces forêts: Borlea G.F., Radu S., Stana D.: Forest Biodiversity Preservation in Romania. [en ligne] < http://usamvd.e-cat.ro/docs/not.bot/2006_XXXIV/2006_1_Not.Bot.Hort.Agro.Bot._XXXIV_021-027.pdf> consulté le 16-04-2008
6.Pour un aperçu de ces contradictions; visionner les documents en ligne: -Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, Protection des deltas européens (2005): <assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/Doc05/FDOC10542.htm – 142k – -Rathery, Alain, conférence paneuropéenne sur le transport par voie navigable (2006): www.mt.ro/…/discursuri/SPEECH%20OF%20MR.%20DEPUTY%20SECRETARY%20GENERAL%20ALAIN%20RATHERY.pdf
7. Mittag, Hans-Joachim, «Disparité des salaires entre pays et régions européens, Aperçu des résultats régionaux de l’enquête sur la structure des salaires 2002.», Eurostat, numéro de catalogue: KS-NK-06-007-FR-N, Juillet 2006, [en ligne]
<http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-NK-06-007/FR/KS-NK-06-007-FR.PDF> consulté le 16-04-2008
8. Durman Paul and Box Dan, «The Gusher», Business TIMES on line, [en ligne] consulté le 16-04-2008
9.Argeseanu Cunningham, Solveig, «Incident, accident, catastrophe: cyanide on the Danube», Disaster, Volume 29, Number 2, June 2005 , pp. 99-128(30)
10.Pour plus d’information, voir [en ligne] <http://rosiamontana.ngo.ro> consulté le 16-04-2008
11.Aux vues d’une enquête en ligne du parlement roumain où plus de 96% des participants ont répondu être contre l’idée de construire une mine gigantesque: Chambre des députés roumains (Camera Deputatilor), Forum du projet Rosia Montana [en ligne] <http://www.cdep.ro/informatii_publice/forum.dispPost?subid=1> consulté 16-04-2008
12.L’évaluation d’impact sur l’environnement est disponible en anglais sur le site de la compagnie Gabriel Resources: [en ligne] <http://www.gabrielresources.com/EIA.htm> consulté 16-04-2008
13.Tables rondes nationales sur la responsabilité sociale et l’industrie extractive minière dans les pays en développement. Rapport du groupe consultatif: [en ligne] <http://www.mining.ca/miningworks/media_lib/documents/CSR_reportFR.pdf> consulté le 16-04-2008