En 1997, le Capitaine Charles Moore et son équipe, voguant d’Hawaii à la Californie à bord du voilier de recherche l’Alguita, passent dans une zone peu traversée du Pacifique connue sous le nom de gyre du Pacifique Nord (North Pacific Gyre, en anglais). Alors que l’équipage de l’Alguita ne s’attendait qu’à voir de l’eau à perte de vue, il découvre plutôt, au cœur de l’océan, à des milliers de kilomètres des côtes, une foule d’objets et des résidus d’objets de plastique. Depuis, cette zone couverte de résidus a été baptisée le septième continent ou le Great Pacific Garbage Patch, en anglais, et a été l’objet de plusieurs études.
Le capitaine Charles Moore est retourné lui-même plusieurs fois pour tenter de mesurer l’ampleur du problème. À l’heure actuelle, l’étendue couverte de débris aurait la taille du Texas, soit 700 000 km carrés(1).
Le terme continent est trompeur puisqu’il ne s’agit pas en réalité d’une masse compacte de résidus, mais plutôt d’innombrables particules de plastique flottant dans une soupe océanique. Les plastiques couramment utilisés ne sont pas biodégradables, mais plutôt photodégradables, c’est-à-dire que l’exposition au soleil cause une dégradation du morceau de plastique initial en morceaux de plus en plus petits, jusqu’à ce qu’il ne reste que des molécules individuelles de plastique. Cependant, les molécules de plastique mêmes ne sont pas biodégradables(2). Les courants d’air et les courants marins du Pacifique Nord font en sorte que les résidus rejetés sur les côtes est du Japon ou sur les côtes ouest de l’Amérique du Nord se retrouvent, après plusieurs années de dérive, au cœur de la gyre Pacifique Nord, où ils peuvent rester jusqu’à 16 ans(3).En effet, le réchauffement de masses d’air à l’équateur et le déplacement de ces masses d’air chaud vers l’ouest, puis vers l’est avec la rotation de la Terre, crée, dans la zone du Pacifique Nord, une immense masse d’air qui circule en sens horaire. Ce courant atmosphérique circulaire produit un courant océanique qui circule également en sens horaire. Les vents au centre de la gyre sont légers, le résultat étant que les débris cumulés restent à la surface de l’eau et se mélangent peu avec la colonne d’eau(4). Une partie des particules de plastique coule tout de même vers le fond. Ceci pourrait affecter les échanges gazeux entre l’eau et les sédiments marins en plus d’interférer avec les espèces vivant dans le fond de l’eau(5).
Jusqu’à 80% des débris trouvés dans la gyre seraient des déchets post consommation provenant des côtes, et le reste serait des rebus de l’industrie de la pêche. Une fraction du plastique flottant dans la gyre serait du plastique «pré-consommation», c’est-à-dire des grains de plastique qui devaient être destinés à la fabrication d’objets de plastique. Ces granules se retrouvent dans l’environnement marin à la suite de déversements accidentels, contrairement aux plastiques «post-consommation» qui s’y retrouvent en fin de vie(6).
Faune et flore marine
Les plantes aquatiques, qui forment la base de la chaîne alimentaire océanique, ne peuvent croître sans apport lumineux. Hors, dans la gyre du Pacifique Nord, la lumière ne pénètre qu’à une faible distance de la surface, limitant ainsi la croissance en végétaux marins nécessaires pour assurer la survie d’espèces herbivores. La zone est donc également pauvre en espèces prédatrices, situées dans le haut de la chaîne alimentaire, comme le thon(7). Toutefois, cette zone recèle de microorganismes filtreurs qui se nourrissent de plantes microscopiques, appelées du phytoplancton, qui croissent dans la partie supérieure de l’eau où se trouvent les rayons solaires. Ces microorganismes sont, à leur tour, mangés par d’autres espèces et forment ainsi un des premiers maillons de la chaîne alimentaire. Une étude sur le ratio unité de plancton/unité particulaire de plastique dans la gyre du Pacifique Nord a trouvé que l’abondance du plancton était de cinq fois supérieure à l’abondance de particules de plastique, mais ce ratio s’inverse lorsqu’il est question de masse, avec la masse du plastique qui surpassait de six fois celle du plancton. De plus, l’échantillonnage effectué pour cette étude a révélé une concentration et une masse de particules de plastique supérieures à tous les échantillons prélevés antérieurement dans le nord du Pacifique. Bien que les raisons de cette augmentation soient incertaines, il est possible que cet accroissement soit tout simplement dû à une augmentation graduelle du plastique dans l’environnement(8).
Outre la pollution visuelle occasionnée par les débris de plastique, ces derniers posent un réel danger pour la faune de la région. La zone est visitée par des oiseaux qui méprennent les particules de plastique pour des aliments et les ingèrent. Une étude réalisée sur 11 espèces d’oiseaux marins trouvées dans la partie est du Pacifique Nord a révélé des particules de plastique dans huit des espèces d’oiseaux. Chez certains individus, la quantité consommée était négligeable, mais chez d’autres, elle pouvait être suffisante pour nuire à la digestion de la bête(9).
Polluants organiques persistants
Les particules de plastique présentent un autre danger pour la biodiversité, beaucoup plus sournois cette fois-ci. En effet, il s’avère que les particules de plastique ont la capacité de se lier avec des polluants organiques persistants hydrophobes, c’est-à-dire non solubles dans l’eau, comme le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) ou les biphényles polychlorés (BPC). Les polluants organiques persistants sont des composés organiques synthétiques utilisés abondamment dans les milieux terrestres et aquatiques. Certains sont considérés comme étant cancérigènes ou comme étant des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire qu’ils interfèrent avec le système hormonal(10). Les particules de plastique pourraient accumuler des concentrations de ces substances qui excèderaient un million de fois les niveaux trouvés dans l’eau environnante(11). Ces substances ont le pouvoir de se bioaccumuler, ce qui signifie que la substance sera absorbée, stockée dans le corps d’un organisme vivant et se bioamplifiera, c’est-à-dire que la concentration de la substance augmentera à mesure que l’on montera dans la chaîne alimentaire. Ainsi, lorsque ces particules sont ingérées par des espèces dans le bas de la chaîne alimentaires, comme les microorganismes filtreurs qui abondent dans les eaux du Pacifique Nord, elles restent intactes et sont ainsi transmises de bas en haut dans la chaîne alimentaire.
Conclusion
Présenté comme un matériel polyvalent, durable, léger et peu dispendieux, le plastique a fait son apparition dans nos vies et dans notre environnement il y a à peine 50 ans. Il s’est propagé de manière fulgurante et nous commençons à peine à voir les côtés pervers engendrés par ce matériel et à comprendre comment une bouteille de plastique jetée à la mer au large de la Californie peut affecter des espèces situées à des milliers de kilomètres de là. Le problème est loin d’être réglé: nous consommons aujourd’hui 20 fois plus de plastique qu’il y a 50 ans(12). Le septième continent semble donc être là pour y rester. À savoir qui en réclamera la souveraineté…
Notes
(1) MOORE, Charles, «Trashed: Across the Pacific Ocean, plastics, plastics, everywhere», [en ligne], novembre 2003, 10 pages. <http://www.naturalhistorymag.com/index_archive.html>. Consulté le 25 septembre 2008
(2) ibid.
(3) DUMAS, Daisy, «Landfill on sea», Ecologist, Vol. 37, 2007, p. 34-37.
(4) op. cit. MOORE, C. (2003)
(5) DERRAIK, Jose G. B., «The pollution of the marine environment by plastic debris: a review», Marine Pollution Bulletin,Vol. 44, n° 9, 2002, p. 842-852.
(6) ibid.
(7) op. cit. MOORE, C. (2003)
(8) MOORE, Charles J., MOORE, Shelley L., LEECASTER, Molly K. et WEISBERG, Stephen B., «A comparison of plastic and plankton in North Pacific central gyre», Marine Pollution Bulletin,Vol. 42, n° 12, 2001, p. 1297-1300.
(9) BLIGHT, Louise K., et BURGER, Alan E., «Occurrence of Plastic Particles in Seabirds from the Eastern North Pacific», Marine Pollution Bulletin,Vol. 34, n° 5, 1997, p. 323-325.
(10) RIOS, Lorena M., MOORE Charles et JONES, Patrick R., «Persistent organic pollutants carried by synthetic polymers in the ocean environment», Marine Pollution Bulletin,Vol. 54, n° 8, 2007, p. 1230-1237
(11) op. cit. DUMAS, D. (2007)
(12) op. cit. DUMAS, D. (2007)
Je comprends pas que l’on ne peut pas avoir des images de cette île de plastique dans l’océan, supposément grande, quand même curieux,
des explications valables s,v,p
merci
André
bonjour, notre politique par rapport aux images n’est pas tant de proposer une image du thème précisément qu’en lien avec les enjeux évoqués. nous adoptons parfois une ligne plus artistique et d’autres fois plus photo-journalistique, toujours en utilisant des images libres de droits (creative commons) sur flickr. dans ce cas-ci, la problématique de l’accumulation de déchets est celle qui a été retenue. j’espère que cela répond à votre question, je ne suis pas certain d’avoir compris votre syntaxe fragmentée.