Socialisme et environnement: la mauvaise note de l’URSS

Les expériences socialistes du XXe siècle ne furent définitivement pas des plus écologiques; la preuve étant l’état de l’environnement en URSS où les catastrophes écologiques se sont succédées durant toute la période soviétique. L’urgence de se développer et de rattraper les pays capitalistes, la centralisation des pouvoirs et la lourdeur de la bureaucratie résultante ainsi que le secret d’État semblent autant d’éléments qui aient favorisé la dégradation de l’environnement dans l’Union soviétique. Si l’idéologie socialiste n’est pas directement responsable, certaines critiques lui sont tout de même adressées comme en témoigne le mouvement d’écosocialisme.

Fear Box (La boîte de la peur)
Marco Cassè, Fear Box (La boîte de la peur), 2005
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Le dessèchement de la mer d’Aral et l’explosion de Tchernobyl ne sont que deux exemples connus parmi la panoplie d’horreurs écologiques qui sont survenues dans l’ex-URSS. En effet, le régime socialiste soviétique n’a pas épargné la nature sous son autorité. Si les origines de cette négligence sont multiples, certaines tendances du régime semblent cependant être plus responsables que d’autres.

Développement et progrès

Lénine, Staline, Brejnev et compagnie se sont très peu inquiétés de l’environnement. Le régime soviétique avait, en effet, d’autres préoccupations lorsqu’il prit place sur l’arène politique internationale. Le progrès était son leitmotiv. Afin de s’assurer une crédibilité politique et idéologique en tant que premier pays socialiste, l’Union soviétique devait garantir son indépendance économique comme sa capacité défensive. Aux fins de démonstration de ce progrès, l’URSS a développé son industrie à un rythme forcé. Les intérêts du complexe militaro-industriel étaient prioritaires; il fallait rattraper et dépasser les pays capitalistes. Le Gosplan, office central de planification qui a supervisé et dirigé toute l’économie soviétique depuis 1921, exigeait l’augmentation des forces productives, c’est-à-dire des moyens de production humains ou mécaniques, en dépit de la dégradation de la nature. Le développement pressant, la théorie voulant que l’homme doive maîtriser la nature et l’impression d’une nature abondante et illimitée, couplés à la position non-prioritaire de la protection de l’environnement, sont tous des facteurs qui, sans être exclusifs au régime socialiste, ont induit la crise écologique.

Centralisation des pouvoirs

La lourde bureaucratie et la centralisation des pouvoirs et de l’économie sont également ciblées comme coupables du désastre écologique soviétique: «Une économie planifiée centralisée n’est capable que d’une seule chose: installer de grosses unités industrielles plus faciles à contrôler à partir d’un centre unique, plutôt qu’une série de petites usines(1).» Cette concentration des entreprises a d’ailleurs été grandement aggravée après la Seconde Guerre mondiale pendant laquelle les entreprises se retrouvant dorénavant en territoires occupés ont dû être déplacées, concentrant par le fait même la pollution. Mais la concentration ne peut être seule responsable de la dégradation de la nature.

Plusieurs auteurs pointent également du doigt la bureaucratie soviétique pour son inaptitude à répondre à l’urgence environnementale(2). Si les organes responsables de la protection de l’environnement ont changé d’organisations administratives tout au long du régime, aucun ne s’est avéré vraiment efficace à contrer le problème. Les conflits d’intérêts entre protection et production étaient amplifiés par une sectorisation et un cloisonnement de l’administration. Les problèmes environnementaux relevant de plusieurs secteurs économiques devaient être abordés au Conseil des ministres et recevoir l’accord de toutes les parties intéressées. L’impératif de production et l’exécution du Plan, soit les exigences du Gosplan, donnaient rarement suite à la question environnementale(3). La volonté politique du régime, mise en œuvre par cette technocratie, était ailleurs.

Le secret d’État

Un autre reproche adressé à l’URSS se retrouve dans la dissimulation de l’information. Le Gosplan connaissait la situation environnementale du territoire, mais se gardait bien de la diffuser. Cette information n’influençait d’ailleurs pas le développement économique pour des raisons de stratégie politique, économique et militaire. Cependant, malgré cette politique du secret, il était impossible, avec des désastres écologiques de l’ampleur de ceux qu’a connus l’URSS, de maintenir l’opinion publique et scientifique favorable aux mesures environnementales du régime. Cette conscience s’est d’ailleurs généralisée et développée, comme dans les pays industrialisés, au tournant des années 1970, mais la critique veut qu’au contraire de ces derniers, le Gosplan ait fait la sourde oreille. Le développement de l’industrie était «l’unique valeur indiscutable que connaisse un dirigeant soviétique(4)». De plus, «toute discussion publique ou protestation contre ce type de développement était considérée comme une attaque contre une entité sacrée: l’État(5)».

Socialisme vs capitalisme

Malgré une position environnementale peu avantageuse, l’URSS aimait opposer ses réalisations socialistes à l’inefficacité capitaliste. La pensée soviétique voulait que l’économie socialiste, puisque «soumise aux intérêts de la société et non à ceux de capitalistes privés, soit plus apte à organiser les connexions interindustrielles et développer les techniques propres que ne l’est l’économie capitaliste(6).» L’argument est sensé, mais pour d’autres raisons mentionnées précédemment, la réalité s’est avérée différente. Si aucun incitatif pour un développement propre n’était exprimé dans le Plan, ce n’est évidemment pas la compétition du marché qui allait motiver l’adoption de telles mesures. De plus, la considération des enjeux environnementaux pouvait parfois nuire à la réalisation du Plan. Cependant, selon les fervents du régime, ces difficultés à rencontrer l’épanouissement vert en URSS étaient temporaires. En effet, ceux-ci assuraient que lorsque les difficultés économiques seraient surmontées et que le communisme aurait atteint son plein potentiel, les questions environnementales seraient également réglées. L’histoire ne nous a pas encore permis de vérifier cet argument…

En outre, le régime soviétique n’a aucunement voulu prendre de leçons de l’Occident qui avait, lui aussi, connu des crises écologiques. En ce sens, lorsque l’Europe et les États-Unis se sont prononcés sur les dangers que représentait le nucléaire, l’URSS considérait qualifiait ces propos de «vices congénitaux du capitalisme(7).» Tchernobyl aura malheureusement prouvé le contraire ce qui, paradoxalement, n’aura pas dissuadé l’Occident d’utiliser le nucléaire comme «énergie verte». Enfin, l’URSS refusait catégoriquement d’adopter toute politique environnementale internationale, les considérant comme de l’ingérence dans ses affaires.

L’écosocialisme et la critique du socialisme

Si les dégâts environnementaux de l’URSS semblent davantage dus à la bureaucratie soviétique qu’au socialisme même, il est intéressant de se pencher sur la critique que le mouvement écosocialiste fait du socialisme. En effet, ce mouvement prône un socialisme écologique et reconnaît, par le fait même, la lacune verte du système marxiste. L’écosocialisme critique ainsi le mouvement ouvrier européen qui «reste encore profondément marqué par l’idéologie du progrès et par le productivisme(8)». Une autre critique est directement dirigée vers Marx et Engels pour «leur tendance à faire du développement des forces productives le principal vecteur du progrès, et une posture peu critique envers la civilisation industrielle, notamment dans son rapport destructeur à l’environnement(9).» Le mouvement accuse également le régime soviétique de «socialisme dépourvu de conscience écologique(10).» Enfin, l’écosocialisme se veut l’ «émancipation socialiste débarrassée des horreurs du stalinisme(11)», ce qui en dit long!

Enfin, s’il reste aventureux de prétendre que la dégradation environnementale soviétique puise ses racines dans l’idéologie socialisme, il l’est autant de postuler que les enjeux qui ont manifestement motivé une pratique peu écologique en URSS sont inconnus de l’Occident. La grande catastrophe environnementale soviétique n’en demeure pas moins majeure et ce sont plusieurs variables plus ou moins définies qui peuvent expliquer l’ampleur des dégâts, le socialisme en faisant peut-être partie à faible dose!

Notes

(1)MNATSAKANIAN, Ruben. L’héritage écologique du communisme dans les Républiques de l’ex-URSS. Paris, Éditions Frison-Roche, 1994, 286 pages.
(2)KOMAROV (1981), LEMECHEV (1991) et MOOR-STAHL et al. (1998) critiquent abondamment la bureaucratie comme en partie responsable de l’état environnemental de l’U.R.S.S.
(3)MOOR-STAHL, Josyane et Allaman, Jacques. L’exception écologique russe. Paris, L’Harmattan, 1998, 315 pages.
(4)KOMAROV, Boris. Le rouge et le vert. La destruction de la nature en U.R.S.S., Paris, Seuil, 1981, 214 pages.
(5)MNATSAKANIAN, Ruben. L’héritage écologique du communisme dans les Républiques de l’ex-URSS. Paris, Éditions Frison-Roche, 1994, 286 pages.
(6)KOMAROV, Boris. Le rouge et le vert. La destruction de la nature en U.R.S.S., Paris, Seuil, 1981, 214 pages.
(7)ibid.
(8)LÖWY, Michel. « Qu’est ce que l’écosocialisme ». Dans Löwy, Michel et al. Écologie et socialisme, Paris, Éditions Syllepse, 2005, p.93.

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