Le Québec, comme la plupart des sociétés occidentales, est essoufflé et se cherche. Le cynisme de la population à l’endroit de la classe politique est indéniable et les agissements de nos représentants ne font rien pour améliorer la situation. À cet égard, les propos tenus par Pierre Curzi et Louise Beaudoin au moment de leur démission du caucus du Parti Québécois sont symptomatiques d’une césure de plus en plus évidente entre la population et nos politiciens ou, plus largement, entre les cercles de pouvoir et la société civile québécoise.
Les gens cherchent de nouvelles voies, comme le démontre la marée orange des dernières élections fédérales ou encore la popularité de la Coalition pour l’avenir du Québec de François Legault qui, pourtant, ne propose rien de bien emballant ni révolutionnaire. Cette soif de renouveau politique est peut-être encore plus grande chez les plus jeunes, eux qui ne ressentent pas d’attachement disons « nostalgique » aux véhicules et idéologies du passé. Tout en reconnaissant les progrès qu’il a pu amener, plusieurs estiment que « l’héritage de la Révolution tranquille » pèse aujourd’hui bien plus lourd qu’il ne mobilise et constitue une force de changement social au Québec. Certains décrient cet état de fait en appelant à un « dégrisage » du Québec, une attaque à peine voilée contre la génération des Baby Boomers, qui a ses torts autant qu’elle a le dos large…
À mon sens, le malaise est plus profond que le supposé échec d’une génération de personnes et de réformes. Il y a quelque chose comme l’essoufflement d’un modèle, d’une vision du monde. Les scandales politiques et financiers, les catastrophes écologiques de plus en plus nombreuses, tout cela donne l’impression profonde que notre façon de vivre et d’habiter le monde ne convient plus. Il faut changer de logique.
Le modèle libéral
Nous vivons depuis près de deux siècles dans une société fondée sur un modèle qu’on pourrait qualifier de libéral. Certes, tant sur les plans politique qu’économique, il y a eu d’énormes évolutions, si bien que le monde actuel est très différent de celui du XIXe siècle. Malgré cela, fondamentalement, l’économie est toujours capitaliste, alors que la politique telle que nous la pratiquons est encore fondée sur le principe de représentation (par le biais du député), et plus particulièrement sur le parlementarisme britannique.
En gros, les partis dirigent le monde politique comme les entreprises dirigent le monde économique. Ces organes, de plus en plus structurés à mesure qu’ils sont importants et puissants, imposent une logique verticale d’autorité aux gens qui en font partie et agissent principalement, voire en tout temps, en fonction de leurs propres intérêts. Dans un cas comme dans l’autre, le chef donne la direction et les troupes doivent ramer dans la direction indiquée sans trop contester, sous peine d’expulsion ou de congédiement, l’unité étant perçue comme garante du succès.
Si la politique et l’économie ainsi conçues ont grandement contribué à construire le Québec d’aujourd’hui, elles constituent aussi le fondement de plusieurs des problèmes que nous vivons. À force de jouer de démagogie pour faire pencher en leur faveur l’opinion publique de la population, les partis se sont considérablement discrédités. En cherchant à maximiser leurs profits, les dirigeants et actionnaires d’entreprises ont largement contribué, depuis une trentaine d’année, à creuser le fossé économique et social entre les plus riches et les plus démunis et à appauvrir la classe moyenne. En exploitant de façon éhontée les « ressources naturelles » sans se soucier des répercussions sur les écosystèmes, nous avons mutilé le visage du Québec et, globalement, induit un processus de réchauffement climatique qui pourrait bien mettre l’existence de notre espèce en danger dans un avenir rapproché.
Il est à cet égard fascinant de voir notre Premier ministre présenter son Plan Nord comme un projet social porteur qui pourrait redonner confiance en la politique aux Québécois. Comme si, depuis le XIXe siècle, nous n’avions pas assez vu ce que ce genre de développement faisait, pour « durable » qu’on essaie de nous le présenter. Combien de villes et de villages fantômes ou moribonds peuvent témoigner du côté éphémère et socialement peu constructif de ce genre de développement économique? Est-ce que quelqu’un croit encore sérieusement que le fait de couper des arbres, de creuser des trous et d’en vendre le produit à des intérêts étrangers constitue un Grand Bond avant pour le Québec et, plus encore, pour les nations autochtones sur le territoire desquelles ces projets prendront place?
Associations, réseaux et démocratie participative
Depuis plusieurs années déjà, des modèles alternatifs ont commencé à émerger. À la logique de structure se greffe, voire se substitue, celle de la libre association et des réseaux d’entraide. L’idée de coopérative, qui connaît un souffle nouveau dans le mouvement de l’économie sociale, mène par exemple aujourd’hui à la création d’entreprises dont les activités se veulent aussi bénéfiques pour les membres que pour leur milieu. Ces organisations sont portées par des gens dont les valeurs de justice sociale priment sur le goût du profit et qui implantent des modes de gouvernance démocratique qui en changent complètement le fonctionnement. Il en résulte un sentiment d’appartenance et un dynamisme qui est non seulement bénéfique à l’interne, mais pour tout le tissu social.
Pourquoi ne serait-il pas possible de repenser la politique en ces termes, de lui insuffler plus de démocratie pour restaurer la confiance et la participation active des citoyens? Certes, le système politique que nous avons empêche le véritable pluralisme, les partis qui en bénéficient refusant systématiquement d’instaurer la proportionnelle. Devant ce blocage, pourquoi ne pas tenter une subversion qui revaloriserait le rôle du député, indépendant des structures de partis et redevable de façon directe à la population de sa circonscription, où pourraient s’instaurer des mécanismes de consultation populaire et participative?
Un lien beaucoup plus direct entre le représentant politique et la population pourrait ainsi se développer dans un dialogue qui ne se perdrait pas dans les jeux de pouvoir des partis. Sans chanter naïvement les vertus du Web pour une utopique « démocratie numérique », il reste qu’on est devant un potentiel mobilisateur complètement inédit, surtout chez les jeunes dont on décrie sans cesse le manque d’intérêt pour la chose politique. Le cas de l’Islande, qui réécrit présentement sa constitution en donnant voix à la population sur les médias sociaux, est à cet égard un véritable cas de figure de renouveau politique.
Pourrait-on penser qu’une coalition de députés indépendants pourrait faire avancer de grands dossiers nationaux aussi bien et sinon mieux que les partis actuels, en s’ancrant davantage dans la réalité et les besoins des communautés, et non des groupes d’intérêt? Il faudrait bien sûr changer nos façons de faire, changer nos valeurs, changer notre logique. C’est ce qu’il faudra faire pour changer le monde, qui en a vraiment besoin. Il faut se mouiller le nez dans le rêve et l’utopie pour sortir du cynisme. Il faut se donner l’espace de réfléchir, hors des nécessités du pouvoir et des discours actuels, pour réinventer et habiter mieux ce pays que par le passé.