Polynésie française: entre indépendance et atomic way of life

La Polynésie française est l’un des derniers territoires toujours sous la dépendance de la France. Bénéficiant d’un statut particulier, elle compte parmi ses dirigeants actuels des militants indépendantistes de longue date. Or, le projet de pays de Tahiti Nui1 n’a connu jusqu’ici qu’un succès mitigé. L’une des principales raisons invoquées pour justifier cet état de fait se rapporte aux ressources financières que garantit la France à son «pays d’outre-mer», redevances consistant en majeure partie en une compensation pour les essais nucléaires subis entre 1966 et 1996. Entre l’indépendance et l’aide de la France, la Polynésie française est tiraillée.


www.viajar24h.com, 2007
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La Polynésie française compte parmi les dernières possessions coloniales de la France dans le Pacifique Sud, avec la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna. Jouissant d’une autonomie interne, ce département d’outre-mer est actuellement dirigé par le président nouvellement réélu Oscar Temaru, leader indépendantiste à la tête de l’Union pour la Démocratie et chef du Tavini Huira’atira. Féroce opposant à Gaston Flosse2, chef du parti autonomiste Tahoeraa Huira’atira et fidèle à la France, Temaru est reconnu pour ses coups d’éclats politiques et ses positions controversées, frisant parfois la xénophobie, à l’égard des Français résidents sur le territoire. Possédant une base électoraliste à Tahiti, le président bénéficie en outre d’un plus large appui de la population polynésienne habitant sur les atolls.

La lutte pour l’indépendance

C’est à la fin des années 1940 que naît un premier mouvement indépendantiste en Polynésie française, le Rassemblement Démocratique des Populations Tahitiennes dirigé par Pouvana’a A Oopa qui obtient un fort appui populaire dès ses débuts et ce durant toutes les années 1950. Par contre, sa fin surviendra abruptement alors que son chef sera fait prisonnier à l’occasion d’une nébuleuse affaire d’incendie jamais résolue. John Teariki reprendra le flambeau indépendantiste en fondant le Here Ai’a, peu après la condamnation de son prédécesseur. La mort de Teariki, en 1983, entraînera avec elle le dépérissement de son parti. La même année, un nouveau personnage apparaît dans les rangs des militants pour l’indépendance; Oscar Temaru démarre sa carrière politique en se faisant élire maire d’une commune populaire de la banlieue de Papeete, Faa’a. Il crée par la même occasion le parti qu’il mène toujours. Le politicien se fera très tôt connaître pour sa flamboyance et son ardeur à défendre le projet d’un pays pour la Polynésie française, autant vis-à-vis la France que dans la région du Pacifique – à l’occasion de sa partition aux différents Forums du Pacifique Sud (maintenant Forums des îles du Pacifique) – ou encore devant l’Assemblée générale des Nations Unies. Longtemps taxé d’arrogance par la France3, Temaru semble aujourd’hui désirer renouer avec la voie diplomatique:

Aujourd’hui, les slogans d’indépendance pure, dure et immédiate ne sont plus martelés comme aux premiers temps. Il se dit que le moment venu, cette indépendance serait négociée avec l’État ou serait mise en place progressivement, voire serait précédée par un accord d’association4

Les essais nucléaires

Au début des années 1960, la France débute une série d’essais nucléaires au Sahara. En pleine période de décolonisation, l’État français sait qu’advenant la perte de l’Algérie, il devra assurer la relocalisation de son programme afin de rendre effectif son arsenal. La France vise alors une entière indépendance nucléaire en regard des États-Unis – dans l’éventualité d’un affrontement entre les deux superpuissances de la guerre froide –, indépendance qui constitue le fondement même de la Ve République. En 1962, l’Algérie accède à la souveraineté et la France se tourne alors vers la Polynésie française afin d’y installer son Centre d’Expérimentations du Pacifique (CEP). Dès 1956, le président de Gaulle voyait un grand dessein pour sa dépendance. À l’occasion d’un discours prononcé dans la capitale Papeete, il témoigne

[…] qu’il n’est que d’imaginer les périls que la menace atomique fait peser sur la terre pour voir que Tahiti, là où elle est, entourée d’immensités invulnérables de l’océan, Tahiti peut être demain un refuge et un centre d’action pour la civilisation toute entière […]

Sans surprise, le chantier du CEP est donc mis en branle dans les premières années de la décennie 1960. On concède alors les atolls de Moruroa et Fangataufa à l’entière disposition de la France et ce, pour la période des essais et à la seule condition qu’ils soient retournés au département dans leur état originel5. Une campagne de tirs aériens se déroulera entre 1966 et 1974, malgré l’interdiction de telles expérimentations officialisée par le Traité de Moscou en 1963, traité que la France n’a pas signé. Vivement contestés par la communauté internationale, notamment par l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les tirs atmosphériques seront abandonnés par le CEP qui se tournera alors vers des essais souterrains jusqu’à la fin du programme en 1996.

Si la Défense française a toujours soutenu l’idée que ses essais étaient inoffensifs6, l’incident de Tchernobyl en 1986 éveillera la conscience des Polynésiens quant aux dangers encourus sur leur territoire. On commencera à s’interroger sur les liens possibles entre l’utilisation du nucléaire et certaines maladies qui apparaissent chez les travailleurs de Moruroa, de Fangataufa et dans les populations des atolls à proximité des sites de tirs7. À la même époque, le mouvement anti-nucléaire né en 1983 sous l’égide de l’Église protestante se juxtaposera au mouvement indépendantiste, dénonçant du coup le nouveau «colonialisme nucléaire8» de la France.

Le dilemme

Aujourd’hui, si les îles et les atolls polynésiens ont conservé un mode de vie largement axé sur la pêche et la perliculture, Tahiti vit quant à elle au rythme de la France. Du jour au lendemain, la bombe a transformé le visage de Papeete où une population polynésienne défavorisée s’entasse aujourd’hui dans les banlieues. Effectivement, plusieurs îliens étaient jadis venus chercher du travail à Tahiti, où l’on disait que le CEP offrait de bons salaires. Or, le CEP parti, cette main d’œuvre non scolarisée ne trouve plus sa place dans un Papeete administratif et commerçant, où le coût de la vie est le double de celui qui a cours en France9. Il n’est donc pas étonnant de retrouver la base électorale de l’indépendantiste Oscar Temaru parmi ces exilés. Hier enthousiastes aux opportunités prétendument conférées par l’arrivée du CEP, ils se retrouvent aujourd’hui sans emploi depuis la fin du programme nucléaire et, parfois même, malades à cause de la bombe.

Par ailleurs, la Polynésie française bénéficie de larges budgets conférés par l’État français, dont les montants sont tenus secrets mais dont nous savons qu’ils sont pour une grande part attribués en compensation aux loyaux services rendus à l’époque du CEP. C’est du moins ce que prétendent nombre de résidents français en poste à Tahiti. L’indépendance du «pays d’outre-mer» signifierait un inévitable retrait de ces sommes. Aux prises avec le dilemme posé par la question financière, la population polynésienne hésite par rapport au projet de Temaru. De son côté, la France, consciente de sa position stratégique dans le Grand océan et possédant un territoire maritime immense10, n’est pas prête à concéder l’indépendance à la Polynésie française.

En bref, la Polynésie française est aujourd’hui déchirée entre l’option indépendantiste, qui lui garantirait les pleins pouvoirs autant sur ses affaires internes qu’étrangères, et une dépendance partielle avec la France, lui assurant à la fois sécurité et devises. Pour les détracteurs de la première option, une séparation de la métropole signifierait un recul, voire un désastre économique et politique certain. Pour le leader indépendantiste, le statu quo n’est pas envisageable. La France, qui a fait miroiter les avantages de la bombe aux Polynésiens, les a finalement laissés pour compte au profit de ses expatriés. Reste à voir si dans l’une ou l’autre des éventualités, autonomie ou indépendance, Polynésiens et Français sauront rebâtir un vivre ensemble, morcelé semble-t-il par ce que l’on qualifiait, en 1960, de «miracle de la bombe».

Notes

1 L’appellation que prendrait la Polynésie française sous une éventuelle indépendance menée par Oscar Temaru.
2 Régnault, Jean-Marc, Le Pouvoir confisqué en Polynésie française. L’affrontement Temaru-Flosse, Paris, Les Indes Savantes, 2005, 183 pages.
3 Temaru refuse par exemple d’honorer une rencontre prévue le 23 juillet 2006 avec l’ancien président français Jacques Chirac en guise de protestation contre le soutien du président à son rival Flosse.
4 Peres, Jean, Élections et régimes électoraux. [en ligne] p. 87.<www.upf.pf/recherche/IRIDIP/ RJP/RJP12/13-RJP12-indexcumulatif.pdf>. Page consultée le 26 octobre 2007.
5 Les atolls n’ont toujours pas été rétrocédés à la Polynésie française. L’armée française y assure encore une présence permanente par le biais d’un effectif réduit. De toute évidence, la condition ne sera jamais remplie étant donnée la forte contamination des atolls. Voir Bontemps, Sophie, George Pinol et Jean-Pierre, Briat, Le cancer du Tropique, France 3 Thalassa, 2005, 1 DVD (69 min).
6 Pierre Messmer, ancien ministre des Armées sous la présidence de de Gaulle et Premier ministre sous celle de Pompidou, est la figure emblématique de cette vision de l’innocuité de la bombe française.
7 Selon l’association Moruroa e tatou, basée à Papeete, les taux moyens de cancers de la tyroïde et de leucémies seraient beaucoup plus élevés chez les anciens travailleurs des sites d’essais nucléaires que dans la population en général.
8Danielsson, Bengt et Marie-Thérèse Danielsson, Moruroa, notre bombe coloniale. Histoire de la colonisation nucléaire de la Polynésie française, Paris, L’Harmattan, 1993, 655 pages.
9 Cette situation s’explique par l’indexation des salaires des Français résidents. Le coût des produits et services est fixé par rapport à ces salaires surévalués.
10 Considéré selon la règle des Zones économiques exclusives de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. La Polynésie française n’est en fait constituée que d’une faible proportion de terres émergées (4200 km2) sur un territoire équivalent à celui de l’Europe (2 500 000 km2).

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