La longévité dans l’assiette

En pleine épidémie d’obésité, les spécialistes prédisent un raccourcissement sévère de l’espérance de vie des personnes affectées par un excédent de poids. Or, des études récentes démontrent que réduire significativement la consommation de calories, de 20 à 50%, favorise non seulement la longévité des animaux en laboratoire, mais les protège également contre de nombreuses maladies. Ce régime miracle, connu sous le nom de restriction calorique, représente un sujet de recherche en vogue et des indices laissent présager que l’appliquer à l’humain lui procurerait les mêmes bienfaits.

 Paint and Cows
Ry Dahl, Paint and Cows, 2006
Certains droits réservés.

L’épidémie d’obésité menace l’espérance de vie

Une étude réalisée aux USA et publiée en 2005 dans The New England Journal of Medicine prédisait que l’espérance de vie des jeunes d’aujourd’hui pourrait bien être inférieure à celle de leurs parents1. Fait unique dans notre histoire puisque depuis la révolution industrielle, l’espérance de vie n’a cessé de croître, au fil des progrès de la médecine et de l’amélioration de notre hygiène de vie. La coupable de cette situation est pourtant bien connue, l’épidémie d’obésité. Elle continue son avancée dans les sociétés industrialisées; sa propagation gagne maintenant les pays en voie de développement. Les États-Unis restent le pays dont la population est la plus touchée par le fléau avec une incidence de 30% et c’est aussi historiquement le premier à avoir vu naître cette épidémie2. Pour la première fois, des spécialistes ont présenté dans cette publication un écrasement des courbes qui montraient pourtant depuis six générations l’augmentation régulière de la durée de vie. Ces prédictions sont basées sur l’espérance de vie des gens ayant des problèmes d’obésité, qui est généralement de 5 à 20 ans plus courte que celle des personnes de masse corporelle moyenne. En corrélant ces chiffres avec ceux de la croissance du nombre de personnes touchées par l’épidémie d’obésité, les spécialistes estiment que la longévité moyenne de la population pourrait être en train de décliner. Les causes de ce problème majeur de santé publique, reconnu maintenant comme maladie, sont nombreuses et bien documentées: déséquilibre entre suralimentation et faibles dépenses énergétiques, industrialisation des procédés de transformation des aliments, sédentarité, stress…

La restriction calorique

Les recherches sur la biologie du vieillissement s’accélèrent. En laboratoire, des scientifiques ont déjà répertorié plusieurs familles de gènes capables d’influencer la longévité de certains animaux. Nombre de ces gènes sont liés aux hormones de croissance et à la «mesure» interne de la quantité de nutriments disponible. Ainsi, en manipulant ces gènes, les chercheurs contrôlent de manière artificielle l’espérance de vie de souris, de vers, de mouches ou d’organismes plus primitifs comme des levures ou des bactéries. Néanmoins, une seule intervention naturelle est connue pour augmenter la durée de vie. Elle correspond à un régime appelé la restriction calorique. Il s’agit de soumettre l’animal à une diète prolongée où l’on coupe l’apport calorique de 20 à 50% d’un régime normal, sans toutefois atteindre la malnutrition3. Il a été observé que cette simple réduction dans l’alimentation ralentit le vieillissement et augmente la durée de vie. Ce résultat obtenu pour la première fois chez la souris remonte à 19354. Par la suite, il a été reproduit avec succès chez quasiment toutes les espèces testées depuis la levure, organisme unicellulaire, jusqu’aux mammifères dont nous faisons partie. Par exemple, si une souris sous restriction calorique vit 50% plus longtemps que celle disposant de toute la nourriture qu’elle désire, on pourrait s’attendre à ce que cette coupure du tiers de l’apport calorique de l’alimentation d’un animal ait des conséquences importantes sur son rythme de vie. Effectivement, il a été constaté chez ces souris une baisse sensible de leur poids et de leur température corporelle. De plus, leur métabolisme au repos, qui correspond à l’énergie dépensée par les organes vitaux seulement, est plus faible chez les animaux soumis à cette diète. Cependant, on a remarqué que la baisse de l’activité physique mesurée chez les rats et chez les souris en restriction calorique est inexistante ou mineure. De surcroît, en plus d’agir sur la longévité, la restriction calorique aurait aussi d’autres vertus miraculeuses comme la protection contre de nombreuses affections telles que les maladies cardiovasculaires, les maladies neuro-dégénératives, les maladies respiratoires, les maladies auto-immunes et même contre les cancers4.

Les chercheurs d’un laboratoire du Wisconsin National Primate Research Center sont en train de vérifier l’efficacité de la restriction calorique chez nos proches cousins les primates5. Sur la photo présentée plus bas, les deux macaques ont 25 ans. Celui de gauche s’appelle Canto, il est nourri selon un régime de restriction calorique. Celui de droite se nomme Owen et suit un régime normal. Ces chercheurs ont noté que les singes élevés sous restriction calorique sont en meilleure santé. Ils bougent plus, ont moins de rides, perdent moins leurs poils et font preuve d’une meilleure vitalité.

Et chez l’homme…

Très tôt, les bénéfices possibles de ce régime sur la santé humaine ont été suspectés par un des chercheurs travaillant sur les souris, le Dr Roy Walford. Ce scientifique excentrique fut le premier à tester ce régime sur lui-même dès les années 1980. Ironie du sort, il mourut plutôt jeune, à 79 ans, d’une maladie neuro-dégénérative. Mais, ses théories lui ont survécu et ont séduit un groupe de personnes qui ont décidé d’entreprendre un programme de restriction calorique: le CRON (Calorie Restriction with Optimal Nutrition)6. «Plus qu’un régime c’est un mode de vie», disent-ils. Ils espèrent faire acte de pionniers dans la découverte des vertus de la restriction calorique chez l’humain. En outre, ils sont une aubaine pour les scientifiques. Ils constituent pour eux la première étude grandeur nature de ce phénomène chez l’homme. Ces personnes suivent un régime quotidien comportant le moins possible d’aliments caloriques riches en sucres, en graisses et en protéines et se tournent vers une alimentation plus saine et variée, basée sur les produits naturels, les légumes, les fibres et les fruits. Ils s’assurent de n’avoir aucune carence alimentaire et pratiquent une activité physique raisonnable. Les résultats sont réels, mais mitigés. Les effets bénéfiques sur la santé sont indéniables comme une baisse significative des maladies cardio-vasculaires et une meilleure santé générale4. Une étude réalisée sur des personnes suivant ce programme depuis en moyenne 6 à 7 ans montrent que leurs fonctions cardiaques sont équivalentes à celles des personnes quinze ans plus jeunes7. De plus, selon d’autres travaux, on anticipe également une baisse probable de l’apparition des maladies auto-immunes et neuro-dégénératives comme Alzheimer et Parkinson, mais aussi des cancers4. Par contre, d’autres observations témoignent d’une fragilité psychologique des participants en proie à une irritabilité, voire à des passages dépressifs à cause du sentiment omniprésent de la faim, tout au moins dans les premiers mois suivant le début de la diète.

Avant-gardistes ou inconscients? Les données scientifiques cumulées sur la restriction calorique sont encore trop limitées et trop récentes pour pouvoir se faire un avis raisonnable sur les aboutissements de l’initiative du CRON. Les points de vue divergent chez les chercheurs et rien ne permet encore d’affirmer que la restriction calorique peut augmenter la longévité chez les humains même si de nombreux indices le laissent croire. Le seul consensus à l’heure actuelle est donc celui de la prudence.

Notre culture de l’excès nous a conduits à une surconsommation alimentaire dont les conséquences sur la santé publique échappent à notre contrôle. Par ailleurs, les scientifiques pointent la relation directe existant entre la qualité de notre régime alimentaire et l’espérance de vie. Conscients du coût énorme que représente un fléau comme l’obésité, s’il n’est pas maîtrisé, les gouvernements investissent dans des campagnes de sensibilisation pour promouvoir l’adoption de bonnes habitudes alimentaires comme on le voit par exemple au Canada et en France actuellement. Si la science arrive à prouver que la restriction calorique est aussi miraculeuse que certains l’avancent, il est par contre difficile d’imaginer que la population accepte de se restreindre à un régime si excessif. Les industries pharmaceutiques ont déjà emboîté le pas de ces découvertes et ils étudient actuellement des molécules capables d’imiter les effets de cette diète qui agiraient sur les mêmes mécanismes tout en évitant de subir les contraintes de la privation.


Michael Mason. “One for the Ages: A Prescription That May Extend Life”
The New-York Times. October 31, 2006.

Notes (cliquez sur le numéro de la note pour revenir au texte)

1. S. Jay Olshansky, « A Potential Decline in Life Expectancy in the United States in the 21st Century » The New England Journal of Medicine 352 n°11 (2005), p1138-1145
2. International Organization for the Study of Obesity <http://www.iotf.org/>
3. Fontana Luigi, Klein Samuel, « Aging, Adiposity, And Calorie Restriction », JAMA 297 n°9 (mars 2007), p986-994
4. McCay CM, Crowell MF, Maynard LA, « The effect of retarded growth upon the length of life span and upon the ultimate body size » The journal of nutrition 10 (1935), p63-79
5. Richard Weindruch, « Calorie Restriction in Primates », The 2007 Harvard / Paul F. Glenn Symposium on Aging – 21 Mai 2007
6. <http://www.optimal.org/peter/cron.htm>
7. Meyer TE, Kovacs SJ, Ehsani AA, Klein S, Holloszy JO, Fontana L, « Long-term caloric restriction ameliorates the decline in diastolic function in humans » J Am Coll Cardiol 47 (2006), p398-402

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