Le bruit d’un scandale écologique oublié commence à faire des remous… sans mauvais jeu de mot. Le «Grand vortex du Pacifique nord», un gigantesque tourbillon d’ordures, mettrait en péril l’équilibre de cet océan. Les Américains, eux, hésitent encore à l’appeler « The Great Pacific Garbage Patch » ou « The Pacific Trash Vortex ». Cette plaque de détritus dérive quelque part dans l’océan Pacifique entre la côte californienne et les îles Hawaii. Son existence fut longtemps discréditée par la communauté scientifique, mais elle suscite aujourd’hui un intérêt grandissant. Véritable info ou intox? Le questionnement de l’époque n’est plus si évident…
Le gyre du Pacifique Nord: cause de pollution?
C’est dans les années 90, au cours d’un retour d’une course nautique que Charles Moore, océanographe américain et navigateur, découvre «le vortex de déchets» telle une grande nappe de débris s’étendant sur des milliers de kilomètres au milieu de nulle part. «À chaque fois que je montais sur le pont, il y avait des détritus qui flottaient […] Comment se pouvait-il que cela dure toute une semaine?»(1). Cette découverte faite par pur hasard, lance le navigateur et son équipage de l’Algalita Marine Research Foundation(2) sur les traces de ce «gros animal sans laisse», surnommé ainsi par l’océanographe Curtis Ebbesmeyer.
Cette «soupe» de détritus est en fait divisée en deux zones distinctes: plus connues sous le nom de «Western and Eastern Pacific Garbage Patches» Ces nappes de détritus des Pacifiques Occidentaux et Orientaux s’étendent de chaque côté des îles hawaïennes.
L’accumulation de déchets est localisée dans le gyre du Pacifique Nord, courant bien connu des océanographes et météorologues. Le fait d’être brassé par un air de haute pression lui donne des caractéristiques bien particulières. En effet contrairement à ceux de l’hémisphère sud, ce courant tourne dans le sens des aiguilles d’une montre(3). Cette particularité joue un rôle important dans la concentration de débris flottants qui sont ramenés vers le centre du gyre, où les courants sont plus faibles et les vents, plus calmes.
Par ailleurs ces caractéristiques géophysiques sont présentes à d’autres endroits du globe créant ainsi des conditions analogues, ce qui laisse présumer l’existence d’autres pollutions de ce type.
Selon Curtis Ebbesmeyer, qui traque l’accumulation de plastiques dans les mers depuis plusieurs années, «un cinquième du contenu de cette pollution flottante est jeté par-dessus bord des bateaux et des plates-formes pétrolières. Le reste provient du continent». Le plus effrayant reste le type de déchet rencontré : « […] des ballons de football et des kayaks à des pièces de Lego et des sacs plastiques» affirme l’océanographe(4).
Le gyre du Pacifique Nord est un des cinq gyres subtropicaux majeurs qui couvrent 40% de la surface des océans, soit le quart de la planète. On retrouve ce type de zone à haute pression dans le Pacifique sud, l’Atlantique nord et sud et l’océan indien, soit autant de places où les déchets peuvent se concentrer…
«Aucune autre détection de nappe d’ordures n’a encore été faite, car personne ne s’est encore intéressé à la question» a confié au Panoptique un membre de l’équipe de recherche du Centre de recherche d’Océanographie Microbienne à Hawaii.
L’étude des courants: une piste à suivre
L’étude de la trajectoire des courants intéresse les scientifiques depuis longtemps dans l’optique d’une meilleure compréhension du devenir des débris marins. Curtis Ebbesmeyer travaille depuis 40 ans sur les courants marins et concentre ses recherches sur ces problématiques. Il utilise de simples objets en plastiques qu’il jette à la mer et suit leur déplacement par images satellites.
À l’aide des données collectées via des bouées et d’un simulateur de courants de la surface des océans (OSCURS), développé depuis plusieurs années par Jim Ingraham de l’Alaska Fisheries Science Center, Curtis a pu mettre en évidence «la journée type» d’un débris dans l’océan(5). Ce modèle est basé sur le courant et les données météorologiques collectées quotidiennement par les navires à travers l’océan Pacifique. Initialement utilisé pour étudier les effets des courants sur le plancton et sur le comportement des saumons ou des mammifères marins lors des migrations, il permet ici de «cartographier» la trajectoire de l’objet entre un point A et un point B.
Le Dr. Ebbesmeyer met l’accent sur l’importance d’autres facteurs dans la détermination du parcours d’un objet, tel que sa forme, sa taille et sa flottabilité. Il va même plus loin, avec son expérience en 1992, faite sur des canards et autres jouets en plastiques jetés dans l’océan et retracés par la suite. Elle a permis de mettre en valeur l’étude de la vitesse et de la trajectoire des courants de surface dans le Pacifique Nord. En effet, les jouets n’ont pas été entraînés dans le gyre du Pacifique Nord tel que le modèle OSCURS le prédisait, mais ils ont plutôt continué à tourner autour, certains en étant directement expulsés(6).
Ces observations sont d’autant plus intéressantes sachant que les déchets flottants au centre du gyre du Pacifique Nord sont parfois rejetés sur les plages du nord-Ouest des îles hawaïennes. Selon Curt Ebbesmeyer, «chaque objet trouvé sur la plage informe sur l’océan et son contenu»
Des recherches à approfondir…
L’existence de cette nappe flottante de déchets n’est plus ambiguë, mais les informations à son sujet ne sont pas assez bien documentées dans la documentation scientifique. Des tentatives ont été mises en place en 1970(7) et en 1980(8) afin de mesurer la quantité de particules et de débris plastiques présents dans le Pacifique Nord. Bien que les résultats soient significatifs, les méthodes de mesures étaient jugées imprécises ne permettant pas de prendre en compte les résultats. L’équipe de recherche de l’Algalita travaille depuis plus de 15 ans sur ce projet. De nombreux scientifiques ont été mis à contribution: physiciens, océanographes, biologistes ont tous travaillé sur le développement de méthodes d’analyse du contenu du gyre. Après une étude sur la concentration de déchets flottants dans la zone du vortex, Charles Moore a obtenu des chiffres surprenants. Il évalue aujourd’hui la quantité de plastique flottante présente dans cette nappe d’ordure à près de 750 000 morceaux par km2, soit 12 kilogrammes (kg) de plastique par km2! Comparé aux 350 000 morceaux par km2 mesurés en 1999 le chiffre ne cesse d’augmenter. La comparaison du ratio entre la masse de plastique et la masse de phytoplancton est également inquiétante, attestant de la présence de quarante-six kilogrammes de plastique pour un kilogramme de plancton (46:1), soit huit fois plus important que le ratio mesuré en 1999, qui était de (6:1). Cependant l’océan du Pacifique Nord est une zone bénéficiant d’une plus faible population de plancton, ce qui ne permet pas d’extrapoler ces résultats à d’autres eaux.
Le «cycle de vie» d’un composé plastique dans l’océan est un facteur important à prendre en compte, car une fois entré dans l’environnement marin, il est progressivement recouvert de films de surface auxquels s’accrochent des crustacés, algues et autres organismes(9). Les organismes associés à cet objet qui dérive peuvent modifier sa flottabilité. C’est à dire le faire couler en le recouvrant de manière importante ou le laisser remonter à la surface après s’être détachés à cause du manque de lumière lors de la descente en profondeur. Le second cycle commence lorsqu’il flotte à nouveau(10).
Ces effets répétés contribuent à une large et variable distribution du plastique dans les océans. Les méthodes de mesures nécessitent d’être adaptées à chaque paramètre comme la différence de taille des débris rencontrés et le lieu de prélèvements à différentes profondeurs dans la colonne d’eau(11).
L’impact de ce type de pollution sur la faune marine est une évidence. Les oiseaux qui se posent sur «la plaque de déchets» avalent du plastique en le confondant avec du plancton. Des chercheurs allemands sont allés jusqu’à trouver plus de 1500 morceaux de plastiques après la dissection d’un goéland! Et les oiseaux ne sont pas les seuls. Toute la faune marine est menacée par la plaque flottante de plastique, des cétacés au zooplancton. Selon le Programme Environnemental de l’ONU, les débris plastiques causent la mort de plus de un million d’oiseaux marins et plus de 100 000 mammifères chaque année.
Le plus alarmant reste le risque potentiel pour la santé humaine. Les particules de plastique atterrissant dans la mer se comportent comme de vraies éponges et ont un véritable potentiel pour absorber, relâcher ou transporter des produits chimiques dangereux comme des hydrocarbures ou des produits chimiques cancérigènes appelés polluants organiques persistants (POPs) incluant des pesticides (DDT)(12). En étant ingérés par les animaux, ces produits chimiques entrent dans la chaine alimentaire et peuvent donc se retrouver directement dans nos assiettes!
Ne faut-il pas commencer à s’interroger sur la réelle distribution du plastique dans nos océans? Le Professeur David Karl de l’Université d’Hawaii déclarait, il y a peu de temps, qu’il n’y avait aucune raison de mettre en doute les découvertes de l’Algalita. «Après tout, les détritus de plastique partent bien quelque part» affirmait-il(13).
Les recherches doivent approfondir et les résultats, se consolider afin de sensibiliser la communauté scientifique et d’avertir le public.
Des images encore indisponibles
Malgré les recherches et les résultats obtenus, la question de la localisation par satellite se pose. Pourquoi ne peut-on pas détecter par satellite cette plaque flottante de déchets qui s’étendrait sur des millions de kilomètres? «Soit la grandeur du Canada» affirme Charles Moore.
Selon les membres de l’Algalita Marine Research, il y a plusieurs raisons attestant de l’absence d’images satellite. La pollution ne se présente pas à la surface comme une plaque de détritus solides mais plutôt comme une «soupe» de morceaux de plastiques qui sont fragmentés en morceaux de plus petite taille. Les particules seraient de couleur translucide et se déplaceraient en suspension au-dessous de la surface. Le manque de couleur semble être la caractéristique la plus pertinente, retenue par les scientifiques pour expliquer son absence des analyses satellites; contrairement aux populations de phytoplancton, également très petites et vivant sous la surface des océans mais qui peuvent, elles, être détectées par satellite grâce à leur production de chlorophylle de couleur verte.
Le Dr Karl et son équipe du Centre de recherche en Océanographie Microbienne de l’Université d’Hawaii ont lancé une expédition de recherche «The SUPER» (Survey of Underwater Plastic and Ecosystem Response)(14) au mois d’août, sur l’étude de la composition du plastique présent au centre du gyre Pacifique afin d’élucider les facteurs responsables de ce manque de visibilité.
L’impact du «Pacific Trash Vortex» sur le milieu marin nécessite une documentation plus complète afin d’être considéré plus sérieusement par la communauté scientifique. Les informations existantes sont encore sujettes à discussion. «Si les débris de plastique sont si abondants et étendus que les chiffres l’affirment; alors l’impact attendu sur la communauté microbienne comptant pour 98% de la biomasse totale des océans devrait avoir des conséquences importantes, à grande échelle, sur des processus comme la chaine alimentaire, les cycles physico-chimiques ainsi que le climat» nous affirme un des membres de l’équipe de recherche de l’Université d’Hawaï. De nombreuses analyses attestent de la consommation de détritus plastiques par de nombreuses espèces marines telles que les baleines, mais les conséquences sur la communauté microbienne restent floues. «Nous ne savons pas si, ni comment le plastique affecte les communautés microbiennes».Les projets de recherche sur le «Pacific Trash vortex» se concrétisent, et les résultats sont attendus de tous. L’existence d’autres zones polluées de ce type dans les mers du globe est envisagée mais le manque d’intérêt général prime sur la détection.
La prise de conscience sur le devenir de nos déchets est imminente. Une meilleure connaissance de l’étude des trajectoires des courants et du devenir des objets en plastique sont des alternatives à ne pas écarter à long terme si nous voulons éviter une décharge marine mondiale.
Notes
(1) C.J.Moore. Nov03. «Trashed Across the Pacific Ocean, Plastics, Plastics, Everywhere.» Natural History v.112, n.9
(2) www.algalita.org
(3) C.J. Moore, S.L. Moore, M. K. Leecaster, and S.B. Weisberg. 2001. A comparison of plastic and plankton in the North Pacific
(4)Par Kathy Marks & Daniel Howde. 2008. «Une décharge mondiale qui s’étend d’Hawaii au Japon.» Contre Info. info. 7 février 2008.
(5) (6) W. J.Jr. Ingraham, C. C. Ebbesmeyer. 2000. Surface current concentration of floating marine debris in the north Pacific Ocean: 12-year OSCURS model experiments, p. 91-115. In Proceedings of the International Conference on Derelict Fishing Gear and the Ocean Environment, 6-11 August 2000, Honolulu, HI. U.S. Dep. Commer., NOAA
(7) Colton, John B Jr., Knapp, F.D., Burns, B.R., 1974. Plastic Particles in Surface Waters of the Northwestern Atlantic.Science, 9 Aug., 1974, 491-497.
(8) Day, R.H., Shaw, D.G., and Ignell, S.E., 1989. The Quantitative Distribution and Characteristics of Neuston Plastic in the North Pacific Ocean, 1985-1988. In: Proceedings of the Second International Conference on Marine Debris, 1989. U.S. Dep. Commer., NOAA Tech. Memo. NMFS, NOAA-TM-NMFS-SWFSC-154. 1990.
(9) Andrady, T.L., Plastics in Marine Environment, 2005 In: Proceedings of the Plastic Debris Rivers to Sea Conference, 2005.
(10) R.C. Thompson et al. 2004. «Lost at Sea: Where is all the plastic?» Science Mag. 7 mai, 2004
(11) C.J. Moore, G.L. Lattin, and A. Zellers. 2005. Density of Plastic Particles found in zooplankton trawls from Coastal Waters of California to the North Pacific Central Gyre. Proceedings of the Plastic Debris Rivers to Sea Conference. September 8, 2005
(12) By Susan Casey. 2007. Our oceans are turning into plastic… are we? BestLife Health & Fitness. October 25, 2007.
(13) Par Kathy Marks & Daniel Howde. 2008. Une décharge mondiale qui s’étend d’Hawaii au Japon. Contre Info.info. 7 février 2008.
(14) http://cmore.soest.hawaii.edu/cruises/super/index.htm
Bravo! Un article super interessant sur un sujet qui fait surface que tres rarement …. d’ailleurs je suis curieux de savoir si on parle du meme vortex d’ordures qui apparait au parlement a Ottawa avec le gyre Stephen Harper!
Mai 2012, rien ne bouge…beaucoup de gens sont sensibilisés mais ne veulent pas devenir actifs…mais est il encore temps ? d’agir !?