À l’instar de l’industrie électronique, une des dernières tendances en chimie est celle de la miniaturisation. Les chimistes disposeront bientôt de nouveaux instruments de mesure : des réacteurs aussi petits que des cartes à puces dans nos téléphones cellulaires. Cette tendance permet un réel bon en avant, autant dans la recherche que dans l’industrie. La dernière génération de ces micro-réacteurs ne sera plus équipée de pompes mécaniques, mais marchera grâce à des moteurs biologiques à base de bactéries.
Du réacteur chimique au micro-réacteur
Le monde de l’analyse de produits chimiques, mais surtout celui de l’analyse de produits biologiques est en train de vivre une révolution tranquille, engagée depuis maintenant une quinzaine d’années 1. La microfluidique, science développée récemment, est en train de bouleverser les conventions. La grandeur, caractéristique de ces nouveaux systèmes, est de l’ordre du centième de millimètre, soit l’équivalent de moins que l’épaisseur d’un cheveu. C’est cette taille réduite qui, à elle seule, a permis des innovations majeures.
Les systèmes microfluidiques apportent une liberté et un contrôle jusqu’ici inégalés. En effet, à cette échelle, la surface prend plus d’importance par rapport au volume. Une rapide analyse dimensionnelle démontre que le rapport Volume/Surface est équivalent à une distance. Cela nous indique que, si la distance diminue, alors l’importance de la surface augmente. Plus un tuyau a un petit diamètre, plus il y a de surface comparativement au volume 2.
A priori anodine, cette suprématie de la surface à cette échelle a de lourdes conséquences pour les liquides s’écoulant dans les microsystèmes, car la surface est très différente du volume. C’est là où prennent lieu tous les échanges. La chaleur, le mouvement, les molécules, tous diffusent, et même interagissent, avec une surface. L’augmentation de cette surface de contact se traduit dès lors par une accélération des échanges. De plus, un système miniaturisé pourra être contrôlé de manière beaucoup plus fine et rapide. Une petite expérience peut illustrer ce phénomène diffusif : sur une plaque chauffante d’environ 95ºC, un glaçon est déposé. Celui-ci fond en une dizaine de secondes. Un petit cube d’un peu moins d’un millimètre cube le fera instantanément, alors qu’une particule de glace plus mince qu’un cheveu se vaporisera instantanément 3.
L’application aux bio-réacteurs
Le grand intérêt récemment témoigné à l’égard des systèmes microfluidiques provient de ces étonnantes propriétés d’écoulement. En physique le mouvement d’un liquide est décrit comme si chaque particule transmettait un peu de sa vitesse à ses voisines les plus proches. Or la paroi d’un tuyau est immobile par rapport au fluide. En effet c’est le liquide qui coule dans le tuyau et non le tuyau qui glisse autour du liquide. À faibles vitesses, avant que l’écoulement ne devienne turbulent, il est qualifié de laminaire. L’écoulement est alors décrit comme un ensemble couche de liquide se déplaçant à des vitesses différentes. Les molécules directement en contact avec la paroi restent immobiles, alors que celles du centre sont les plus rapides. Premier corollaire : plus le diamètre du tuyau est petit, et moins la couche du centre pourra s’écouler rapidement. Il sera dès lors difficile de faire écouler le fluide, une pompe plus puissante est nécessaire. Le second point est que les cellules et autres matériaux biologiques sont sensibles au cisaillement. Ils sont exposés à des vitesses différentes. Une partie de la cellule allant plus vite que le reste, elle s’étirera pour finalement casser 4.
Or cet obstacle a déjà été surmonté par la venue des pompes électro-osmotiques. La surface d’un tuyau n’est pas neutre et elle présente une très faible charge électrique. Les ions présents dans le fluide (les ions sont des molécules qui possède une charge électrique) viennent former une couche de charges opposées. Donc lorsque l’on applique un champ électrique, les ions vont se mouvoir. Et comme ce sont les couches extérieures qui se meuvent, la vitesse est quasiment constante au travers tout le diamètre du tuyau. Les cellules restent intactes. Cela dit, pourquoi seulement les systèmes microfluidiques seraient-ils capables d’intégrer cette technologie? Il s’agit encore une fois d’une question de taille. La force « électrique » qui meut les ions est relativement faible. Le mouvement est transmis de proche en proche, or pour des canaux de gros diamètre cette transmission est assez faible. Par conséquent, le fluide ne s’écoule quasiment pas. Les systèmes microfluidiques, étant les seuls systèmes à pouvoir supporter cette technologie, ont dès lors suscité l’intérêt de nombreux laboratoires d’analyse de produits biologiques 5.
De nombreux systèmes ont vu le jour grâce au développement de ces nouvelles micropompes. Des équipes de recherche ont lancé de véritables « laboratoires sur puce ». Des systèmes de la taille d’un ordinateur portable sont capables de traiter, échantillonner, diluer, mélanger, détecter et analyser un vaste éventail de produits biologiques. Le rêve avoué de la communauté scientifique est alors de démocratiser les laboratoires d’analyses, de les rendre portables. Les obstacles majeurs sont la taille et l’autonomie. La batterie nécessaire pour faire fonctionner le système est aussi grosse que le système lui-même.
Or comment s’affranchir de l’électricité, tout du moins pour faire circuler le fluide dans le microsystème sans avoir recours à une grande quantité d’énergie électrique? La solution nous provient de la nature elle-même, plus précisément des bactéries à flagelles. Effectivement plusieurs équipes travaillent présentement à incorporer des bactéries qui, comme les fameux spermatozoïdes, possèdent un flagelle leur permettant de se mouvoir dans leur milieu naturel. Une équipe américaine menée par le professeur K. Breuer a réussi à les utiliser pour pomper le fluide à l’intérieur du microcanal. Jusqu’à l’élaboration de cette étude, plusieurs types de bactéries furent utilisés, principalement pour favoriser le mélange. Maintenant, ces bactéries, nommées S. marcescens, peuvent servir de pompe et adhèrent d’elles-mêmes à la surface du microcanal en faisant circuler lentement le fluide. Elles s’organisent spontanément pour former un tapis, la « tête » collée à la surface, le flagelle pointant vers le centre du microcanal. En bougeant leur queue elles font mouvoir le fluide. L’équipe du Pr Breuer à réussi à démontrer la performance supérieure de cette technologie. Une telle pompe fait circuler le fluide plus vite; le profil de vitesse est plat, ce qui, comme démontré précédemment, rend ce système idéal pour la manipulation de produits biologiques. Mais surtout, le plus gros avantage d’un tel système est qu’il fonctionne au sucre, le principal carburant de ces « bactéries moteurs ». En effet, c’est en contrôlant la concentration en sucre au sein du microcanal qu’il est possible de contrôler le débit de la pompe 6.
La microfluidique et ses applications montrent combien la notion d’échelle est importante en science. Grâce à l’essor de la microélectronique, il est nous est possible désormais de construire des systèmes de plus en plus petit. Ayant débuté au milieu des années 90, la découverte de ce micro-monde se révèle de longue haleine et non sans embuches. Encore une fois les solutions techniques les plus élégantes font appel au biomimétisme. Nous verrons sans aucun doute arriver dans quelques années une révolution dans le génie chimique : une micro-usine chimique totalement indépendante, autrement dit une sorte de cellule totalement artificielle. Reste encore à savoir qui, du génie génétique ou chimique sera le premier à concevoir ce genre de système.
Notes (cliquez sur le numéro de la note pour revenir au texte)
1. Tabeling, P, Introduction to Microfluidcs, Oxford, Oxford University Press
2005, p. 1-21.
2. Tabeling, P, Introduction to Microfluidcs, Oxford, Oxford University Press 2005, p. 24-36.
3. Tabeling, P, Introduction to Microfluidcs, Oxford, Oxford University Press
2005, p. 45-54.
4. Breslauer DN, Lee PJ, Lee LP, Microfluidics-based systems biology. Mol. BioSyst., 2006, 2, 97 – 112.
5. Shukin Z, Chuan-Hua C, Mikkelsen JC, Santiago JG, Fabrication and characterization of electroosmotic micropumps. Sensors and Actuators B: Chemical2001, 70:107-114.
6. Kim M. J.and Breuer K. S.,Microfluidic Pump Powered by Self-OrganizingBacteria. small 2008, 4, No. 1, 111 – 118.