Dr Bruno Spire revient pour Le Panoptique sur la 17ème conférence internationale sur le SIDA, qui s’est tenue le 3 août à Mexico. Cet évènement planétaire réunissait 21 000 personnes pour faire un bilan de l’épidémie, des recherches et des malades du VIH. L’objectif commun, comme le rappelait le secrétaire général des nations unies Ban Ki-moon lors de l’ouverture, est de rendre à terme le traitement et la prévention contre le VIH accessible de manière universelle. Le Dr Spire profite avec nous d’un retour sur ce gigantesque rassemblement pour faire un bilan du SIDA aujourd’hui.
« Un homme à deux casquettes », c’est ainsi que le Dr Spire justifie son invitation, à parler en conférence plénière devant l’ensemble des 21 000 participants(1); il s’agit d’un privilège réservé aux acteurs majeurs de la cause. Tout d’abord chercheur en santé publique à Marseille(2), Bruno Spire a été élu en 2007 président de la plus grande association contre le SIDA(3) en France : AIDES(4). Cette nomination lui apporte en plus de sa vision de scientifique, celle d’un acteur de terrain qui rencontre les populations à risque, les malades et les associations.
Interrogé sur l’ambiance générale de la conférence, il nous confit :
On se sent tout petit dans une conférence si énorme qui rassemble des gens très différents à la fois au niveau géographique et en même temps en terme d’univers : des scientifiques, des gens de terrains, des associatifs, des malades, des acteurs de santé publique et des décideurs. Et c’est justement ce qui fait l’intérêt d’un tel regroupement (…), qui permet d’apprendre de manière plus générale, plus vulgarisée sur les choses importantes dans chaque domaine relié au VIH(5). Ce n’est pas là que l’on va apprendre le dernier scoop scientifique. L’importante de cet événement est plutôt dans la sollicitation pour mobiliser des fonds pour la recherche et la prévention.
Quelles sont les idées fortes s’étant dégagées lors des conférences données à Mexico?
La première vient d’un résultat récent : la « controverse suisse ». Les premières données de cette étude suggèrent que les personnes vivant avec le VIH, traitées depuis au moins six mois par antiretroviraux (la trithérapie ou multithérapie, ndlr) et ayant un taux de virus indétectables, dans certaines circonstances, pourraient ne plus transmettre du tout le virus même sans protection(6). Ceci s’applique aux malades n’ayant pas d’infections sexuellement transmissibles (IST), en plus du VIH, car de telles infections locales surchargent la réponse immunitaire et permettent parfois au VIH de se multiplier malgré les antiretroviraux, facilitant ainsi sa transmission.
Selon lui, cette nouvelle est primordiale car elle change toute la donne.
Ce résultat va bouleverser la manière de concevoir la prévention. On ne peut plus opposer prévention et traitement comme on a pris l’habitude de le faire jusqu’à maintenant. Par exemple pour les pays en voie de développement, on a commencé par faire de la prévention en envoyant des préservatifs; ensuite on a voulu les soigner avec la trithérapie pour les empêcher de mourir. Les fonds d’aides étant limités, un débat s’est installé sur la manière de les utiliser, dans la prévention ou dans les soins beaucoup plus coûteux. Maintenant on se rend compte qu’en traitant les gens, d’abord ils vont mieux mais au-delà de ça on peut globalement couper l’épidémie. Ceci en soignant les gens beaucoup plus tôt.
Le deuxième temps fort qu’il a souligné est « la mobilisation des gays en Afrique ».
On assisté à l’émergence et à la visibilité des gays africains qui étaient là pour témoigner de leur existence même, une première. Cette présence a fait parler d’elle, notamment à travers un grand stand Africa Gay initié par notre association AIDES. C’était quelque chose d’important, car les gays africains sont un groupe particulièrement touché par le VIH et négligé. C’est une communauté qui doit se cacher à cause de la discrimination. Il existe un refus des Africains de reconnaître l’existence des homosexuels, et même les chercheurs font preuve d’une certaines homophobie en disant qu’en Afrique il y a d’autres priorité que s’occuper des gays. Cette idée vient du fait qu’en Europe et Amérique du Nord l’épidémie touche majoritairement les gays et les toxicomanes, alors qu’en Afrique les scientifiques « bénéficient » d’une épidémie « propre » touchant toute la population. Ceci, évidemment, est un peu caricaturé. Or les données épidémiologiques montrent que dans tous les pays au monde, et même en Afrique, la quantité de gens concernées par le VIH est beaucoup plus forte chez les gays que chez les « hétéros ». Longtemps on a entendu que les Noirs n’étaient pas gays, que c’était une invention des pays du Nord, or là on a vu des gays noirs qui sont sortis du bois et qui étaient présents.
Pouvez-vous nous tracer un portrait type d’un malade du SIDA en 2008?
Avant tout il faut distinguer le malade dans un pays riche et le malade d’un pays en voie de développement, qui ne bénéficie que très rarement des traitements. Par exemple, l’espérance de vie dans les pays d’Afrique australe les plus touchés, a beaucoup diminué à cause du VIH.
Dans les pays où on a accès au traitement, les médicaments sont de plus en plus efficaces et de mieux en mieux tolérés sans toutefois atteindre le but de la guérison. Malheureusement, on n’est pas près d’y arriver. Des données montrent que quand on a restauré son immunité au-dessus de 500 CD4 (taux de cellules immunitaires sanguines, ndlr) on aurait une espérance de vie à peu prés similaire à la population générale. La qualité de vie, elle, n’est pas identique, car le malade doit avoir une bonne hygiène de vie qui le garde de surinfections par exemple.
Par contre, une chose n’a pas du tout évolué, le regard porté sur les séropositifs. Il a fait l’objet de mon discours en plénière, le message est le suivant : la prévention ne s’améliorera pas si on ne s’attaque pas à là discrimination, à la stigmatisation, au regard négatif de la société sur les malades. En ça les résultats suisses sont intéressants. Ce ne sont pas les séropositifs traités qui transmettent le virus mais ceux qui sont nouvellement infectés, ne sont pas testés et ont un comportement à risque comme l’avait déjà suggéré une étude québécoise(7). D’abord parce que c’est dans les deux premiers mois qui suivent l’infection que l’on est le plus contagieux. De plus il a été montré qu’une personne traitée, pourtant pas contagieuse dans la plupart des cas selon l’étude suisse, modifie son comportement sexuel pour une conduite sécuritaire. On l’explique par le suivi du patient par le corps médical qui est sensibilisé à la prévention et se protège deux fois plus en moyenne.
Un graphique présenté à la conférence par le Dr Spire montre les chances de transmission du VIH lors un rapport coïtal non protégé chez un malade non traité(8). Ce chiffre passe d’une chance sur 20 à 50 dans les deux mois suivant l’infection à une sur 1000 à 10 000 lorsque la charge virale retombe suite à la réponse immunitaire naturelle de notre corps. Ce chiffre remonte à une chance sur 200 après quelques années, lorsque le virus et la maladie reprennent le dessus. Ce ratio reste très bas, proche de zéro, sous traitement antiretroviral.
Ne croyez vous pas que de tels chiffres devraient restés cachés parce que, mal interprétés, ils favoriseraient un comportement à risque?
Non, à condition que le message soit bien passé. Car si une personne fréquente des lieux de consommation sexuelle à outrance et contracte des IST, infection sexuellement transmissible en plus du VIH, comme une syphilis, une démoragie ou d’autres, le risque remonte comme en primo-infection (les deux premiers mois après infection, ndlr). La charge virale au niveau local (i.e. génital, ndlr) peut subitement flamber dans ce contexte de surcharge de la réponse immunitaire. Donc il faut être très prudent avec ces chiffres, qui ne s’appliquent pas forcément partout, ce sont des statistiques à valeur populationnelle et non individuelle. De plus, ceci reste un argument théorique, et des études complémentaires sont requises. Aussi, ces chiffres théoriques viennent d’études réalisées chez des hétérosexuels stables, on ne les connaît pas chez les homosexuels. Enfin j’insiste, on n’a pas assez de données aujourd’hui pour dire aux gens séropositifs traités qu’ils peuvent avoir des rapports non protégés.
Quels sont les avancements actuels de la recherche dans la lutte contre le VIH ?
Il faut distinguer le vaccin qui permet de se prémunir de l’infection et l’éradication totale du virus chez un malade. Un très beau topo lors de la conférence du Dr Robert Siliciano, un chercheur fondamentaliste, a fait le point sur nos connaissances sur les réservoirs viraux. Ils seraient constitués très tôt dans les précurseurs des lymphocytes mémoires dans la mœlle osseuse, et ne seraient pas une menace pour la multiplication du virus lorsque les antiretroviraux sont pris. Par contre on n’a pas encore trouvé de drogue pour atteindre ces réservoirs.
Pour un vaccin, ce sera un travail de longue haleine. Françoise de Barré-Sinoussi, la découvreuse du VIH dans les années 80 dans le laboratoire du Dr Montagnier, rappelait que ce n’est pas parce qu’on n’a pas encore la réponse qu’elle n’existe pas et qu’il faut continuer une recherche beaucoup plus fondamentale sur le vaccin. Il y a un vrai problème d’insuffisance de la recherche fondamentale qui renvoie aux problèmes de baisse de subvention de ce type recherche.
Vous terminez votre présentation sur une image de vous avec le slogan : « If I were HIV negative would I be making this presentation? »(9). Quel était le but de la manœuvre, un éveil des consciences?
En fait, je ne choquais personne en annonçant ma séropositivité puisque j’avais été présenté avant mon topo comme chercheur vivant avec le VIH. Je voulais revenir sur la campagne de notre association AIDES, « si j’étais séropo » dont j’ai parlé lors de la conférence. Des personnalités françaises comme le président Nicolas Sarkozy ou la ministre de la santé Roselyne Bachelot s’étaient portés volontaires pour cette campagne, sous leur photo on pouvait lire « voteriez-vous pour moi si j’étais séropositif? » ou « est-ce qu’une ministre de la santé peut-être séropositive? ». Le bénéfice de cette campagne publicitaire était de démystifier le fait d’avoir le VIH, de montrer que tout le monde peut être séropositif. C’est un travail sur le thème de la difficulté de pouvoir dire son statut, séropositif ou séronégatif. Un gros problème aujourd’hui est que les gens n’en parlent pas, on fait comme si ça n’existait pas, on est dans le tabou alors qu’on devrait pouvoir en parler sans crainte.
Notes
(1)http://www.aids2008.org/
(2)Inserm/IRD/Université de Méditerranée – UMR 912 et Observatoire régional de la santé Provence-Alpes-Côtes d’Azur à Marseille en France
(3)SIDA : syndrome d’immunodéficience acquise
(4)Association de lutte contre le VIH-sida et les hépatites; http://www.aides.org/
(5)VIH : Virus d’Immunodéfience Humaine
(6)Vernazza P et al. « Les personnes séropositives ne souffrant d’aucune autre MST et suivant un traitement antirétroviral efficace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle » Bulletin des médecins suisses 89 (5), 2008.
(7)Brenner BG et al. « High rates of forward transmission events after acute/early HIV-1 infection» J Infect Dis 195: 951-59, 2007.
(8)Topo présenté par le Dr Bruno Spire à Mexico : http://www.aids2008.org/Pag/PSession.aspx?s=38
(9)« Si j’étais HIV-négatif, aurais-je fait cette présentation? »