Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, de nombreuses substances chimiques ont été introduites dans nos sociétés occidentales. Ces produits ont été très souvent utilisés pour désherber, désinfecter, nettoyer, etc. Leurs conséquences sur nos vies sont énormes. En termes d’hygiène, nous avons réellement progressé et l’espérance de vie a augmenté de manière considérable. D’après l’Institut national de la statistique et des études, les hommes vivent en moyenne 13,8 années de plus qu’en 1950 et les femmes 14,9, tandis que le taux de mortalité infantile a diminué de près de 48,3‰ en France durant la même période(1). Il s’agit là d’une avancée considérable en matière de santé publique. Mais ces avancées nous ont coupées de notre lien avec la nature, en particulier avec les nombreux virus et bactéries avec lesquels nous vivions en symbiose. Quel est alors le prix à payer pour la sur-utilisation de bactéricides et d’antibiotiques?
L’être humain a vécu, vit et vivra en totale interaction avec son environnement. Tout déséquilibre dans cette balance fragile peut avoir des conséquences assez fâcheuses. Pour une large partie de la population, il est maintenant clair que la conservation de l’environnement est primordiale. Trop d’espèces animales, végétales ou d’écosystèmes complets ont déjà été sacrifiés pour faire plus de place à l’homme. Arrêter de prendre la planète pour un dépotoir géant devient urgent. Mais les transformations apparues dans notre plus proche environnement, nos maisons, nos rues, nos aliments, ont de profonds impacts sur notre santé.Notre système immunitaire se trouve de moins en moins confronté à ses adversaires traditionnels (bactéries, virus, champignons). Cette transition fut assez rapide. En l’espace de 60 ans, les savons et produits nettoyants antibactériens ont envahi nos maisons, nos modes de vie. Tout le monde a déjà entendu parler de l’apparition de bactéries résistantes aux antibiotiques. Il est en effet désormais de plus en plus difficile de stériliser complètement nos hôpitaux. Les épisodes de contamination à la bactérie C-difficile, dans différents pays occidentaux, le montrent bien(2).
Tel que mentionné précédemment, nous vivons en symbiose avec une multitude de micro-organismes. Notre peau est en permanence recouverte d’un biofilm, c’est à dire un tapis de bactéries qui recouvre la peau sur une épaisseur de quelques microns et qui nous aide à combattre les agents infectieux. La flore intestinale agit d’une manière semblable avec son «écosystème» complet de bactéries qui nous aident à digérer(3). Un dernier exemple d’importance, et le plus déroutant, est la mitochondrie. Il s’agit d’un organite, un microscopique organisme, logé au cœur de chaque cellule de la plupart des organismes et utilisant l’oxygène pour créer sa propre énergie; la mitochondrie transforme les sucres en énergie en utilisant de l’oxygène. Sans ces quelques micro-organismes nous ne pourrions tout simplement pas survivre.
Une récente étude, conduite par le Dr Christopher Lowry(4), tend à démontrer les effets bénéfiques de vivre au contact d’une certaine bactérie, la Mycobacterium vaccae. Mary O’Brien, une oncologiste à l’Hôpital royal Mardsen de Londres, a inoculé à ses patients atteints d’un cancer du poumon une version désactivée de cette bactérie. En plus de voir les symptômes cancéreux régresser, elle a observé que ses patients avaient un meilleur moral, présentaient de signifiantes améliorations de leurs capacités cognitives et que leur dépression disparaissait. Intéressé par ces conclusions, le Dr Lowry répéta cette expérience avec des souris. Il leur a tout d’abord inoculé cette bactérie et procéda ensuite à une expérience très simple. Les souris stressées ont une sainte horreur de l’eau: elles rechignent à nager. Alors que le groupe test qui avait reçu la bactérie nageait pendant de nombreuses heures, les souris tests n’ayant pas reçu la bactérie ne mettaient pas la patte dans l’eau… Résultats convaincants!
Le Dr Lowry a ensuite procédé à des analyses et démontré que le contact avec la désormais célèbre bactérie Mycobacterium vaccae augmente le taux de sérotonine dans le cerveau. La sérotonine est souvent, et à juste titre, qualifiée de neuro-transmetteur du bonheur. Un neuro-transmetteur est une petite molécule qui transmet les informations entre les neurones. Chaque neurone a des récepteurs spécifiques qui ne réagiront qu’à un type bien particulier de molécule. Or depuis de nombreuses années il a été prouvé qu’un taux bas de sérotonine est un des symptômes de la dépression. Cette bactérie, en augmentant le niveau de sérotonine, soigne donc la dépression!
Mycobacterium vaccae est connue depuis assez longtemps: elle est la source de la tuberculose. George Orwell, D.H Lawrence et John Keats furent des tuberculeux célèbres. C’est même durant les plus fortes poussées de cette maladie que John Keats écrivit ses plus beaux poèmes. Dans le même registre, Chopin se plaignait de ne pas pouvoir composer de la musique lorsqu’il ne crachait pas de sang. Comme quoi cet effet antidépresseur était connu depuis longtemps…
Ne nous méprenons pas, une bonne hygiène demeure très importante pour rester en bonne santé, mais un excès d’hygiène pourrait nous déprimer… Nos modes de vie ont beaucoup évolué au cours du dernier siècle mais nos cellules, notre corps, garde en lui les souvenirs de son ancien environnement. Le rôle de certaines bactéries dans le fonctionnement du corps et leur influence sur notre santé demeurent encore vagues. Les récentes découvertes en biologie nous démontrent progressivement que le monde microscopique qui nous entoure n’est pas notre ennemi, bien au contraire. À trop vouloir se protéger de ces minuscules organismes, nous risquons de perdre notre lien avec la nature, avec notre nature. Comme le disait le père de la toxicologie moderne, Paracelsus, «la dose fait le poison». Pensez-y la prochaine fois que vos enfants jouent dans la boue: mieux vaut laver leurs mains avec un simple savon! Une petite dose de bactéries ne leur fera pas grand mal, au contraire cela pourrait peut-être bien leur éviter des épisodes dépressifs à l’âge adulte…
Notes
(1) Institut national de la statistique et des études, [en ligne], <www.insee.fr/fr/ffc/chifcle_fiche.asp?ref_id=NATTEF02221&tab_id=434> , page consultée le 29 juillet 2007.
(2) Association of Medical Microbiologists, [en ligne], <www.amm.co.uk/files/factsabout/fa_cdiff.htm> , page consultée le 29 juillet 2007.
(3) Alternatives, «Les probiotiques , comment les prendre?», [en ligne], <http://users.win.be/ws200654/htm/altern/docs/probio.htm> , page consultée le 29 juillet 2007.
(4) Economist, «Bacteria and depression. Bad is good», [en ligne], <www.economist.com/science/displaystory.cfm?story_id=8956457> , page consultée le 29 juillet 2007.
(5)By heart, «Bacteria, serotonin and depression. A case of bad is good?», [en ligne], <http://unravelled.wordpress.com/2007/05/22/bacteria-serotonin-and-depression-a-case-of-bad-is-good/> , page consultée le 29 juillet 2007.