Le Secrétariat du Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) annonçait récemment la tenue de la première édition d’un grand festival culturel à Saint-Domingue (République dominicaine) du 14 au 21 octobre prochain. Seront représentés, lors de cette manifestation, les secteurs de l’édition, de la mode, du design, des arts visuels et des arts d’interprétation tels la musique et la danse. Cela permettra aux 79 pays membres de réaffirmer et de faire rayonner leurs identités respectives.
Cet événement d’envergure internationale et ouvert à un très large public se déroulera dans divers lieux historiques de la capitale. Il mettra ainsi en valeur des lieux patrimoniaux dominicains et permettra aux festivaliers de découvrir, par le fait même, un petit morceau de la partie orientale de l’île d’Hispaniola, comportant 31 provinces. L’imposante programmation gratuite s’efforce de présenter les nouveaux visages des îles et d’une Afrique vivante et résolument contemporaine.
Les ministres ACP de la Culture ont décidé dès leur première réunion, en juin 2003 à Dakar (Sénégal), qu’ils tiendraient un tel événement le lendemain de leur deuxième rencontre. Précisons que la culture représente l’un des champs d’activités et des domaines d’action du Groupe des États ACP. Cet intérêt pour la culture réside en grande partie dans l’idée qu’elle «influe sur les actions de développement [économique et social] et conditionne leur viabilité(1)». En mettant ainsi la culture à l’ordre du jour, en planifiant et en encourageant davantage la circulation mondiale des produits culturels provenant de ses pays membres, de l’Angola au Zimbabwe en passant par Haïti, le Secrétariat du Groupe des États ACP répond à l’un de ses objectifs principaux, celui d’assurer l’intégration de ses membres dans l’économie mondiale. Mais pour ce faire, il ne suffit pas de s’intéresser aux fonctions, à l’impact socio-économique ou à la dimension marchande de la culture. Il faut aussi réfléchir, comprendre avec plus de précision les valeurs et les croyances qui, dans nos sociétés, sous-tendent l’intérêt qu’on y porte(2).
Le festival se fixe comme objectif premier de présenter la richesse et la diversité de la créativité des pays de l’ACP. On y abordera notamment la question de la pensée néo-libérale ambiante qui teinte les diverses définitions de la culture. Des rencontres professionnelles usuelles, des activités promotionnelles et des manifestations visant à dénoncer le sous-financement de la culture sont aussi prévues. Ce festival offrira à certains l’occasion de réaffirmer combien la culture est un vecteur considérable de la croissance économique et peut devenir une ressource économique directe.
Cette grande manifestation culturelle offre «l’occasion pour les États du Groupe ACP d’inviter le monde entier à découvrir leur diversité culturelle», peut-on lire dans le communiqué annonçant la tenue de l’événement. Force est de reconnaître qu’il existe autant d’expressions culturelles que de pays membres de l’ACP (sans compter les nombreuses régions de chacun des États) et qu’avant d’être des vecteurs économiques, ces expressions sont des vecteurs d’identité sociale singulière. Cet aspect de la question rejoint les principes souhaitant la reconnaissance de la valeur intrinsèque de la culture en tant que vecteur d’identité(3). Cette représentation est dorénavant défendue et articulée par de nombreuses administrations, institutions et organisations internationales militant pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, telles l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), ou, encore, par des groupes d’intérêt et des organisations non gouvernementales comme le Réseau international pour la diversité culturelle (Ottawa) et la Coalition pour la diversité culturelle (Montréal).
La tenue de ce festival, d’une part, répond au besoin criant de sensibiliser la communauté internationale aux nombreux enjeux entourant la diffusion et la protection de la diversité culturelle. D’autre part, ce premier festival de l’ACP offre à ses organisateurs et aux artistes participants la plate-forme idéale pour démontrer de manière concrète que la diversité de la création artistique et culturelle est bien réelle à travers le monde. Il est impératif d’accorder à cette réalité toute l’attention qu’elle mérite et la protection qu’elle nécessite, surtout dans un contexte de mondialisation provoquant la disparition de cultures qui, elles, ne seront pas toujours en mesure de trouver les moyens de résister à l’écrasante domination d’un petit nombre de puissances occidentales sur les marchés culturels. Cependant, il faut noter «la résolution sur l’unité dans la diversité», convenue dans le cadre de l’OIF par les chefs d’États et de gouvernements des pays francophones au Sommet de Maurice en 1993. Cette résolution stipule que les acteurs sont «conscients du fait que toutes les composantes de la société, qu’elles appartiennent ou non à des minorités, participent également à la vie sociale et constituent un facteur d’enrichissement(4)». La diversité se doit d’être protégée; ce sont les inégalités qui doivent être combattues.
De plus en plus, il est facile d’avoir accès aux diverses cultures, par le biais des réseaux de diffusion supra étatiques, par exemple. Cette réalité rend maintenant d’autant plus irrecevable l’abord de l’art africain, de la musique des Caraïbes et des danses folkloriques du Pacifique avec une approche générale et traditionnelle ou, encore, avec de discutables réflexes colonialistes, comme si ces catégories ne renvoyaient qu’à une seule chose: leur exotisme. Il ne s’agit pas d’ignorer les similitudes culturelles, les genèses et l’universalité ou l’objet commun de certaines conceptions et créations artistiques, mais plutôt de sortir des sentiers battus et de saisir avec plus de nuances l’infinie variété des œuvres, des styles, des genres et des esthétiques provenant des États de l’ACP. Comme l’indiquait Michel Leiris il y a de cela déjà plus de trente ans, dans la préface d’un ouvrage de Jacqueline Delange (Arts et peuples de l’Afrique noire):
l’Europe, ne voyant guère que l’exotisme commun à la plupart des pièces qui lui étaient parvenues (telles ces statues trop vites qualifiées de « fétiches ») [a été] longtemps portée à leur attribuer une certaine uniformité, les arts de l’Afrique noire – et singulièrement la sculpture – se sont révélées peu à peu d’une extraordinaire diversité, au point que la différence, disons, entre les arts sculpturaux soudanais et ceux du Congo central apparaît aujourd’hui bien plus grande que celle qui, en Europe, sépare sur ce plan ou sur celui de la peinture les pays dits communément « latins » des pays dits « germaniques », pour ne citer que ceux-là(5).
Ce qui demeure plus essentiel encore, c’est la capacité d’un tel événement à favoriser le dialogue interculturel, à mettre en lumière la diversité des cultures, à améliorer les possibilités d’accès aux œuvres, l’exposition de ces dernières et l’expression de manifestions artistiques qui seraient autrement restées dans l’ombre.
Notes
(1) Voir «La Culture compte: vers de nouvelles stratégies pour la culture dans le développement durable», texte rédigé conjointement par l’UNESCO et le gouvernement italien. Publié à Rome, 1999, p. 29-50.
(2) Consulter la définition de la culture donnée dans la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle: «[…] la culture doit être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social et qu’elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances».
(3) Voir l’article 8 de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, adoptée le 2 novembre 1995 à Paris. En voici un extrait: Les «[…] biens et services culturels […] parce qu’ils sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres».
(4) Organisation internationale de la francophonie. (1993) «Sommet de Maurice (1993)». Résolutions, déclarations et plans d’action de la Conférence des chefs d’État de gouvernement des pays ayant le français en partage […]. [En ligne]. http://democratie.francophonie.org/article.php3?id_article=310&id_rubrique=553. Consulté le 14 septembre 2006.
(5) Michel LEIRIS. «Préface» in Jacqueline DELANGE. Arts et peuples de l’Afrique noire. Paris, Gallimard, collection Folio Essais, 1967, p. 8-9.