Lutter avec : entretien sur l’action du Collectif pour un Québec sans pauvreté

Le Collectif pour un Québec sans pauvreté (1) est un organisme qui vise à engager des actions concertées entre l’État et les citoyens afin d’éliminer la pauvreté au Québec. Retour avec Ian Renaud-Lauzé, porte-parole et animateur politique au Collectif, sur les politiques actuelles de lutte contre la pauvreté et les critiques qui lui sont adressées. Dans la première partie de cet entretien, l’accent est mis sur la participation des personnes en situation de pauvreté – traditionnellement exclues des débats publics – à la définition des politiques qui les concernent.

 Urban landscape Shanghai
Bert van Dijk, Urban landscape Shanghai , 2008
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Baptiste Godrie : Le but du Collectif pour un Québec sans pauvreté n’est pas de réduire la pauvreté mais bien de l’abolir. Cet objectif est-il réaliste ? Et comment l’atteindre ?

Ian Renaud-Lauzé : Fixer un objectif comme éliminer la pauvreté, c’est ouvrir un possible. Tant qu’on s’est dit que l’être humain ne pouvait pas aller sur la lune, on ne pouvait pas y aller. À un moment donné le président Kennedy a dit que cela devenait un objectif et qu’on allait prendre les moyens pour. Oui, c’est un objectif ambitieux d’éliminer la pauvreté au Québec et dans le monde. C’est un objectif à long terme, nous ne sommes pas naïfs. Les moyens sont là – on vit probablement dans la société la plus riche qui ait jamais existé – et c’est avant tout un problème de répartition et de redistribution de la richesse. On travaille toujours avec cet objectif final, que nous cherchons à atteindre pas à pas.

B. G. : Quels sont ces moyens et quels seraient les premiers pas ?

I. R.-L. : On vient de déposer une pétition à l’Assemblée Nationale qui avait trois revendications : l’accès de tous les citoyens et citoyennes à des services publics universels de qualité ; la hausse du salaire minimum et la hausse des protections publiques au niveau de la mesure du panier de consommation (2). On a bâti ces revendications avec les intervenants, mais aussi des personnes en situation de pauvreté au travers d’un processus démocratique. Au départ on s’est posé une question assez simple, avec des personnes en situation de pauvreté. On voit que les êtres humaines ont des droits et des besoins. Couvrir ces besoins de base au Québec, ça veut dire quoi ? Sortir de la pauvreté, ça veut dire quoi ? Et quelle est la différence entre les deux ? Beaucoup de choses intéressantes sont sorties de ça. Les gens étaient d’accord avec le principe de sortie de la pauvreté, mais selon eux, il y a auparavant une urgence à couvrir les besoins de base, ce qui est pas le cas présentement au Québec. D’où notre première revendication, l’an dernier, autour du panier de consommation. On avait validé un montant – à l’époque 12 000 dollars – pour couvrir les besoins de base. Les gens ont dit, c’est peut-être pas assez mais ça fait une différence, ça nous permettrait d’avoir le nez au-dessous de l’eau (3). Ça allait chercher l’assentiment des gens. Pour ce qui est de la sortie de la pauvreté, on est arrivé à 20 000 dollars. Quelqu’un qui travaille à temps plein devrait-il sortir de la pauvreté ? Tout le monde était d’accord, d’où l’idée d’une revendication autour de la revalorisation du salaire minimum qui amène minimalement les gens au seuil de faible revenu de Statistiques Canada – qui n’est pourtant pas un indicateur parfait car il y a de grosses disparités régionales. Les gens réagissaient aux propositions. La troisième revendication revient à dire « c’est bien beau d’avoir plus d’argent, mais si on a pas les services publics à côté de cette somme là, elle ne veut rien dire ». D’où l’idée d’avoir des services publics et universels, les mêmes pour tous car nous sommes des êtres humains avec des droits et tout le monde devrait avoir à sa disposition un paquet de services tels que l’éducation, la santé, etc. Le plus drôle, c’est qu’on l’avait pas mis dans notre questionnaire où l’on n’abordait pas de front la question des services publics. Dans le processus de consultation, on faisait un vote sur trois sommes pour couvrir ses besoins et sur le montant de sortie de la pauvreté. Mais les gens nous ont dit que ca prenait des services publics de qualité.

B. G. : Si je comprends bien, la revendication pour des services publics de qualité et accessibles a émergé du processus de consultation. Qui participait à cette consultation ? Comment avez-vous procédé ?

I. R.-L. : On a fait une trousse « Couvrir ses besoins et sortir de la pauvreté au Québec ». Il y a plein de groupes qui se sont positionnés par rapport à cela. On a fait une centaine d’animations autour de cette trousse durant lesquelles les gens pouvaient poser des questions. Ça allait de processus très courts à d’autres plus longs d’une demie journée à une journée de discussions sur la couverture des besoins essentiels. Après ça on a compilé les données. Nous avons embauché des animateurs et animatrices. J’ai également rencontré des gens qui voulaient donner cette formation en région. L’idée était de se promener un peu partout au Québec. Ce n’est pas un processus scientifique, mais c’est un processus citoyen d’appropriation d’un matériel et de discussions.

B. G. : Dans ton expérience, les personnes qui se sont impliquées étaient elles-mêmes en situation de pauvreté ou elles ne subissaient pas ces conditions ?

I. R.-L. : Je pense que c’est pas mal des personnes en situation de pauvreté et des intervenants qui travaillent dans le domaine. Plus de 4000 personnes ont participé au processus, mais la réflexion pouvait venir d’une organisation, d’un comité d’administration, etc. Si on remonte en arrière, pourquoi cette pétition ? Qu’est-ce qu’il y a eu avant ? Pendant deux ans – je n’étais pas encore au Collectif –, il y a eu un carrefour du savoir sur les besoins essentiels. L’idée était de mettre ensemble des personnes en situation de pauvreté et des membres du Collectif, de poser des questions et de trouver des façons de parler des besoins essentiels : qu’est-ce que cela veut dire pour vous ? Comment identifier ces besoins, en parler ? Comment vivaient-ils le manque ? Ça a été très long à démarrer. Il fallait parler de l’intimité, de choses dont on est pas souvent fier, de ses manques, de ses réactions au manque. Un climat s’est crée et des façons de travailler ensemble où les expériences se sont partagées. C’est à partir de cette réflexion que nous avons démarré le processus pour lancer la pétition et les débats sur les revendications qu’elle contient.

 stop and reflect
Jes mugley, stop and reflect , 2008
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B. G. : Qu’est-ce que qui a orienté le choix d’aller vers le vécu des personnes ?

I. R.-L. : Ça a toujours été une préoccupation au Collectif. Si on remonte plus loin, tout le processus de proposition autour de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale était citoyen. Est-ce que l’on peut faire une loi à partir des besoins réels exprimés par les gens ? Oui, si on s’en donne les moyens au travers d’un processus de recherche-action qui consiste à aller voir les gens, leur demander ce qu’ils verraient dans cette loi là. Après ça, rassembler ces propositions, les faire valider par les gens article par article. Est-ce que vous ajouteriez quelque chose, vous feriez des amendements ? Enfin, faire un travail plus technique de formalisation et amener ça à l’Assemblée Nationale. Pour revenir à ta question, je pense que c’est un parti-pris du Collectif pour le vécu des gens. On ne peut pas lutter pour les gens, on lutte avec eux. C’est pas juste faire une manif avec eux. On pense et parle avec les personnes en situation de pauvreté. Et encore, le « avec » les met déjà à l’extérieur, c’est travailler ensemble, autant les intervenants, les spécialistes, les chercheurs que les personnes elles-mêmes. Au Collectif, on a un comité – le comité Avec – qui se penche spécialement sur les questions de participation. Le bilan du premier cycle de ce comité a été de dire que travailler sur ces questions, c’est travailler ensemble. Les universitaires ont des propositions intéressantes, mais ils ont parfois leurs lubies unidirectionnelles. Les intervenants sont pris dans des structures, des façons de penser. Et les personnes en situation de pauvreté sont prises dans un isolement. On essaie de casser ces moules là pour tirer le meilleur de chacun.

B. G. : Est-ce que se mettre à l’écoute des personnes en situation de pauvreté vient combler un manque, notamment dans ce qui est fait au niveau des politiques publiques ?

I. R.-L. : Dans l’ensemble du mouvement social, la participation existe à différents niveaux, avec différents moyens de faire, si je pense à l’éducation populaire à une époque par exemple. Au Collectif on le fait à notre façon. Mais le problème est justement au niveau gouvernemental, au niveau des institutions où on a du mal à faire reconnaître leur voix. Généralement, la tendance, surtout lorsqu’il s’agit de personnes en situation de pauvreté comparativement au citoyen moyen est de dire, d’accord, on va les écouter, mais dans une bulle, un vase clos. Ça a un peu été la réaction lors des consultations nationales et régionales sur la question de la pauvreté et on a demandé à ce que les personnes qui vivent ces situations puissent participer directement à ces consultations. On nous a dit, oui, mais le nombre de places est limité, donc une personne qui vient, c’est un intervenant de moins. Alors que pour nous, les groupes qui travaillent avec des personnes en situation de pauvreté devraient se faire reconnaître deux sièges – un pour les personnes en situation de pauvreté et un pour un intervenant ou un responsable. Bien évidemment, nous avons eu une fin de non recevoir. Le réflexe n’est pas là. Souvent, dans les consultations officielles, il y a des focus-group, on met les gens dans un aquarium. On les fait discuter et on les observe. Je pense que les personnes en situation de pauvreté ne sont pas de poissons.

Notes

(1) Le site du Collectif : http://www.pauvrete.qc.ca/sommaire.php3

(2) Plus précisément, ces trois revendications étaient : l’accès de tous les citoyens et citoyennes à des services publics universels de qualité ; la hausse du salaire minimum à 10,16 $/heure (2007) et sa révision annuelle afin que le travail permette de sortir de la pauvreté et la hausse des protections publiques au niveau de la Mesure du panier de consommation, soit 13 267 $/an (2007), et leur révision annuelle, afin d’assurer la santé et la dignité des personnes (voir le site du Collectif).

(3) À titre indicatif, le montant annuel de l’aide sociale au Québec en 2009 est d’environ 7000 dollars pour le montant de base des personnes considérées comme « aptes » à l’emploi.

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