La marginalité sexuelle existe depuis longtemps. Scatologie, bestialité, orgies, sadomasochisme, voyeurisme, etc. : de toutes les époques, les humains ont entretenu divers fantasmes qu’ils n’ont osé partager avec autrui, de peur d’être perçus comme déviants par rapport aux normes en vigueur.
Les limites de cette marginalité sexuelle ont d’ailleurs fluctué dans le temps et selon les cultures, comme en témoignent les différentes positions adoptées au sujet de pratiques sexuelles telles que la polygamie, l’homosexualité ou la masturbation. Un changement semble toutefois avoir été initié depuis le milieu des années 1990 : Internet permet dorénavant d’exposer et de démocratiser les sexualités marginales, entre autres avec des clips comme «Two Girls, One Cup»[1]. Ce changement est peut-être encore plus profond sur les sites pornographiques où chacun peut trouver un miroir de ses fantasmes. Il n’est pas question ici d’une certaine pornographie illégale (pédophilie, femmes forcées), mais plutôt de celle conçue légalement par les professionnels et les amateurs. La documentation consacrée à ce sujet est d’ailleurs assez mince, voire inexistante, peut-être à cause du caractère récent d’Internet. Quoiqu’il en soit, le point soutenu dans ce court texte est simple : Internet constitue un phénomène positif en ce qu’il offre de tout, pour tous les goûts, sans juger, tout en permettant à chacun de se sentir moins seul dans sa marginalité.
D’abord, une question : comment les marginaux sexuels des siècles passés faisaient-ils pour assouvir leurs fantasmes ? À titre d’exemple, le marquis de Sade n’était évidemment pas le seul à associer sexualité et violence au 18e siècle. D’autres marginaux devaient également le faire, probablement en privé. Mais comment ces sadomasochistes des siècles passés faisaient-ils pour vivre leurs fantasmes sexuels ? Surtout, comment faisaient-ils pour les vivre de façon consentante, sans forcer une prostituée par exemple ? Bien entendu, le sadomasochisme n’est ici qu’un exemple parmi les nombreux types de marginalité sexuelle, de l’exhibitionnisme à l’échangisme, en passant par le travestisme, la scatologie et autres «golden showers». Parmi les instruments de torture utilisés par l’Église durant l’Inquisition, on retrouve la «chaise de Judas»[2]: son siège est une pyramide pointue qui défonce graduellement l’anus. Le procédé n’est pas innocent puisqu’il existe d’autres tortures dénuées de connotations sexuelles. La chaise de Judas serait-elle alors une manière subtile pour les spectateurs d’assouvir ainsi leur marginalité ? Serait-elle une façon de vivre un tabou à une époque pauvre en outils psychologiques (sexologie, etc.) et en exutoires socialement acceptés (carnavals, etc.) ?
Comme l’affirme Alessandro Stella, les procès de l’Inquisition révèlent comment certains prêtres profitaient de leur autorité pour réaliser leurs fantasmes : «ce qui irritait au plus haut point la hiérarchie inquisitoriale, c’était le détournement de la souffrance physique et psychique contenue dans la flagellation. Elle ne devait produire qu’une jouissance mystique, mêlée peut-être à un secret plaisir pervers tiré de la domination, de l’humiliation d’autrui, mais en aucun cas éprouver de jouissance sexuelle. Pas ouvertement en tout cas et surtout pas avec des postures de corps trop explicites, accompagnées d’attouchements.»[3] Il cite en ce sens une pénitente qui raconte au sujet d’un prêtre «marginal» : «Me confessant avec lui une ou deux fois par semaine, il m’ordonnait de me donner la flagellation tous les jours, et je devais m’imaginer qu’il était présent et qu’il me disait : «Soulève ton jupon afin que ton père te punisse, tu es une cochonne délurée et pour cela je fouette cette chair immonde, ce cul cochon, ces fesses puantes, tu es une bête, une pécheresse.» La flagellation terminée, je devais rester allongée avec les fesses relevées, les yeux ouverts pour voir mes chairs… […] Je devais ensuite aller me confesser en lui racontant dans le détail comment s’était déroulée ma pénitence, sans honte ni réticence.»[4] Un autre prêtre préférait se faire épiler les poils de l’anus et du pubis durant séances de sadomasochisme, tandis qu’un troisième avait l’habitude de demander à ses pénitentes autochtones «d’uriner en sa présence, dans une tasse qu’il lui donnait, puis le père buvait l’urine mélangée à de la poudre et disait que c’était bon et que c’était un médicament.» Il demandait aux jeunes filles de déféquer de la même manière et, à celles qui montraient quelque honte à s’exécuter, «il donnait une tasse leur demandant de le faire dans leur maison et de lui rapporter ensuite la merde et les urines»[5]. Peut-être un accès anachronique à la pornographie sur Internet aurait permis à ces marginaux des siècles passés de respecter davantage autrui pour assouvir leurs désirs. Plus qu’une peinture, une sculpture ou un livre érotique, Internet rend les représentations marginales plus accessibles, tout en offrant un avantage particulier : il permet de rapprocher les gens qui partagent des intérêts communs. La marge s’en trouve dès lors moins… marginale.
En effet, la pornographie sur Internet est multiforme et donc susceptible de refléter la majorité des fantasmes. Les sites «amateurs» en offrent pour tous les goûts, que vous aimiez les animaux, les culottes tachées de sang menstruel[6] ou que vous préfériez des seins piqués de pinces-à-linge. Internet offre un accès sans précédent à du matériel pornographique sans cesse enrichi de photos, de vidéos et de textes. C’est d’ailleurs sa force médiatique : présenter un contenu sexuel diversifié et accessible. Sa dimension virtuelle permet quant à elle de préserver l’anonymat des internautes. Chacun consulte ce qu’il désire sans être jugé, ce qui est important lorsqu’il est question de tabou. Mieux encore, Internet favorise un sentiment d’identification puisque l’on y rencontre d’autres personnes qui partagent nos propres fantasmes, aussi «étranges» soient-ils. En ce sens, la pornographie en ligne est un changement positif en ce qu’elle permet de dédramatiser les tabous et de réunir des individus isolés par ces mêmes tabous. Internet permet non seulement de dédramatiser la marginalité sexuelle et de bâtir des ponts, mais aussi d’amener les marginaux à se respecter et à se réaliser davantage.
La franchise et la lucidité sont préférables à la censure et à l’aveuglement volontaire. De plus, personne n’est obligé de consulter de la pornographie, c’est un simple choix. Tant que le contenu reste légal, il ne devrait pas exister de raison suffisante pour censurer ce contenu, aussi «dérangeant» soit-t-il être. Il y a pourtant des détracteurs qui soulignent habituellement l’addiction potentielle à la pornographie. Ce problème potentiel en est cependant un de dépendance, et son lien avec la pornographie sur Internet reste alors contextuel. Il s’agit donc de le traiter comme l’on traite toutes formes de dépendance.
Un petit aparté en guise de conclusion. La pornographie sur Internet est une représentation de la sexualité, pas sa manifestation réelle : en ce sens, ses détracteurs ont de la difficulté à départager le réel du virtuel. Confondre ces deux plans s’apparente à une forme d’immaturité, la même dont font preuve les détracteurs de la violence dans les jeux vidéo quand ils affirment que ces jeux encouragent à la violence. Comme l’affirme Liliane Lurçat à ce sujet : « La violence de Goldorak inquiète dans la mesure où elle agresse l’enfant spectateur qui vit le spectacle avec une distance insuffisante et qui fait mal la distinction entre l’espace de la fiction et les lieux réels. »[7] À la manière d’iconoclastes, les détracteurs de la pornographie croient que briser l’image permet d’avoir une emprise sur le réel. Ici, immaturité et subjectivité vont de pair : «L’enfant n’est pas au niveau de la croyance mais de la fable. Il n’a pas encore un sens suffisant de l’objectivité, de ce qui existe en dehors de ses représentations.»[8] Censurer une expression, aussi «perverse» soit-elle, ne suffit pas pour éliminer les fondements qui soutiennent cette expression. En cette ère du virtuel, «la censure la plus sévère et la plus lourde reste celle qui touche l’éthique et la pensée. Celle-là même qui conduit vers la pensée unique et l’établissement d’un nouvel ordre moral car elle n’offre aucune place à l’individu.»[9] À la même époque où Sade diffusait ses fantasmes, Voltaire écrivait : «Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire librement.»[10]
Notes
[1] Bien qu’il s’agisse de scatologie simulée (une mixture chocolatée), le phénomène et les réactions ont été bien réels : voir [http://en.wikipedia.org/wiki/2_Girls_1_Cup]
[2] [http://en.wikipedia.org/wiki/Judas_cradle]
[3] Alessandro Stella, Le prêtre et le sexe : les révélations des procès de l’Inquisition, Bruxelles, André Versailles, 2009, p. 97.
[4] Ibid., p. 91.
[5] Ibid., pp. 101 et 106.
[6] [http://www.imagefap.com/gallery.php?search=menstruation&submit=Search!]
[7] Liliane Lurçat, À cinq ans, seul avec Goldorak : le jeune enfant et la télévision, Paris, Syros, 1981, pp. 54-55.
[8] Ibid., p. 17.
[9] Erick Dietrich et Stephanie Griguer, Il est interdit d’interdire : censure et répression, Paris, Jacques-Marie Laffont, 2005, p. 18.
[10] Voltaire, Lettre aux d’Argental, 1763.
Il est vrai que le sexe est une des préoccupations premières des humain, il n y a pas de mal à se faire du plaisir. Chacun ses gouts. Il faut juste distinguer la part du réel. Comme dans le cas des mangas, l’enfant s’appercevra bien vite qu’il n’a pas de super pouvoirs, ni de gundam (robot géant qui se transforme). Le probleme n’est donc pas là. Les japonais ne sont pas plus violent que les européens, bien au contraire. http://onlysin.com/7sins/francais