Du 20 au 31 mars se déroulait, à Curitiba au Brésil, la 8e Conférence des Parties (COP8) de la Convention de l’ONU sur la diversité biologique (CDB) (1). Cette rencontre, entre les délégués de 180 pays, allait entre autres décider du sort du moratoire en cours sur l’expérimentation en champs et la commercialisation des technologies de restriction de l’utilisation des ressources génétiques (GURT). Ces technologies très controversées se sont fait mettre des bâtons dans les roues en 2000, et la réunion du mois de mars n’a pas levé le moratoire au grand soulagement des 510 organisations opposées à la technologie Terminator.
Les technologies de restriction de l’utilisation des ressources génétiques, appellation simplifiée par l’acronyme anglophone GURT, sont des mécanismes contrôlant l’utilisation d’un gène dans une plante ou de la plante en entier. Ces technologies sont extrêmement critiquées parce qu’elles obligent l’agriculteur à acheter des semences chaque année dont il ne pourra pas utiliser les graines résultantes de sa récolte.
Il existe deux types de GURTs. Le premier est la technologie de restriction de l’utilisation d’un caractère spécifique (T-GURT). C’est à dire qu’à moins d’utiliser un inducteur externe, comme un choc thermique ou un agent chimique, par exemple, l’expression du gène introduit ne sera pas présente à la seconde génération, empêchant l’agriculteur d’utiliser ses propres récoltes pour la prochaine semence s’il souhaite toujours avoir le produit plus-value qu’apporte l’OGM. Le second est une technologie de restriction de l’utilisation de la variété (V-GURT), connu également sous le nom Terminator, rendant la graine du plant cultivé tout simplement stérile.
L’intérêt des GURTs réside principalement dans la protection contre la contamination génétique. Les plantes contaminées ne survivront à une simple génération ou encore n’exprimeront plus le gène introduit. De ce fait, l’application des GURTs est utile seulement pour des variétés génétiquement modifiées, n’apportant aucun avantage outre la restriction de l’utilisation. Soulignons que l’aspect restrictif de ces technologies, au centre des polémiques, existe aussi en génétique classique : prenons l’exemple des melons sans pépins. Seulement, les avantages de ces applications ajoutent tellement au produit, du point de vue du consommateur, qu’elles sont largement acceptées. La différence majeure réside dans le fait que la restriction induite par les GURTs n’apporte aucune plus-value au produit, se limitant à empêcher sa réutilisation.
Développés par Delta & Pine Land et le gouvernement américain, les brevets des technologies GURTs appartiennent maintenant à quelques gros semenciers dont Monsanto, connu pour avoir accidentellement contaminé des champs de maïs au Chiapas. Ces technologies ne sont cependant toujours pas commercialisées. En 2000, le Groupe indépendant d’experts éminents en matière d’éthique alimentaire et agricole de l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a débattu des GURTs et a unanimement déclaré que les semences Terminator sont, de manière générale, contraires à l’éthique. Il juge de même inacceptable la vente de semences dont la descendance ne peut être réutilisée par les agriculteurs, du fait qu’elles ne germent pas. Seulement, le groupe souligne également que certaines situations peuvent entraîner une appréciation différente, par exemple dans le cas de risques de croisements d’OGM avec des populations sauvages ou encore pour les cultures de plantes pharmaceutiques alors que le caractère de l’OGM est un risque potentiel pour la santé humaine.
Dans un rapport du groupe d’experts techniques sur les impacts des GURTs, mandaté par la convention sur la diversité biologique (CBD) des Nations-Unies, il est souligné que tous les impacts négatifs potentiels des OGMs peuvent être également attribués aux GURTs. Il en est de même pour la contamination génétique et environnementale, pourtant l’alibi des GURTs, puisque les risques de mutation génétiques et de fonctionnement inadéquat de cette technologie existent. Ce même rapport, qui expose les impacts potentiellement positifs ou négatifs des GURTs sur les petits agriculteurs, les communautés autochtones et locales de même que sur les droits des exploitants agricoles, n’a pu identifier aucun impact positif pour plusieurs considérations comme le savoir, les pratiques et les innovations indigènes et locales, l’utilisation accidentelle des GURTs, les abus intentionnels, la dépendance et une multitude d’implications concernant les droits des exploitants agricoles. Ces considérations sont affectées négativement, principalement pour les raisons suivantes : les GURTs réduisent et limitent les échanges traditionnels de graines, augmentent l’insécurité quant à la production de graines et de nourriture causée par la non-germination des grains stériles résultant de la contamination et, enfin, sont une forme de propriété intellectuelle biologique permanente et irréversible annulant la possibilité de croisement des variétés GURTs, passée la limite temporelle du brevet, et par conséquent l’accroissement de la biodiversité agricole.
Les groupes opposés aux GURTs dénoncent leurs effets potentiellement pervers pour les populations autochtones des pays du Sud. Le fait que les petits agriculteurs ne peuvent se payer ces technologies – mais hériteront uniquement des aspects négatifs des GURTs, d’une contamination et conséquemment d’une perte de rendement, par exemple – propose le danger d’un plus grand écart technologique et financier entre les petits cultivateurs et la riche industrie agroalimentaire. Certains groupes estiment également que le seul but des compagnies de biotechnologie est de contrôler le marché des semences et de prendre le contrôle de l’alimentation mondiale. Le fait que 1,4 milliards de gens dépendent de la réutilisation de leurs propres semences propose en effet un danger pour la sécurité alimentaire.
Depuis le moratoire instauré à la 5e Conférence des Parties (COP5) en 2000, le lobbying de l’industrie et des États favorables à ces technologies continue de faire pression. En février 2005, lors de la réunion du groupe d’experts scientifiques de la CDB à Bangkok, les acteurs favorables ont presque fait lever le moratoire. Aujourd’hui, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, qui ne font pas partie de la CDB, continuent de défendre ces technologies. À la COP8, en mars 2006, l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande, appuyés par les États-Unis, ont tenté de permettre l’expérimentation au champ des semences Terminator, proposition qui a été rejetée. Certains pays, comme le Brésil et l’Inde, ont tout simplement interdit l’utilisation des GURTs sur leur territoire.
Enfin, les GURTs présentent peu d’avantages, mais comme les OGMs sont de plus en plus utilisés (90 millions d’hectares en 2005), il est essentiel de penser des moyens pour prévenir la contamination génétique, à défaut du fait que l’interdiction totale de l’utilisation des OGMs est peu probable. Seulement, d’autres techniques pourraient s’avérer plus éthiques, notamment la technologie par laquelle le gène modifié est intégré seulement à la graine et non au pollen (maternal inheritance technology). En attendant, la prudence est de mise tout comme le moratoire.
Bibliographie
Choi, Charles. The Terminator’s back. Scientific American, sept. 2002, vol. 287, no. 3, p.30.
Wright, Karen. Terminator genes, here’s another fine mess biotechnology has gotten us into. Discover, august 2003, vol. 24, no.8, p.48-51.
ONU-FAO. Impacts potentiels des technologies de restriction de l’utilisation des ressources génétiques (GURT) sur la biodiversité agricole et les systèmes de protection agricoles. Juillet 2001.
ONU-UNEP. Report of de Ad Hoc technical expert group meeting on the potential impacts of genetic restriction technologies on smallholder farmers, indigenous and local communities and farmers’ rights. September 2003.
Les articles du FAO et de l’UNEP dont disponibles sur http://www.biodiv.org/programmes/areas/agro/gurts.asp
Notes
( 1)La convention sur la biodiversité biologique (CDB) est née du Sommet de la Terre, à Rio de Janeiro en 1992. Ce traité engage ses 187 états signataires à maintenir l’équilibre écologique planétaire tout en allant vers le développement économique. Les Conférences des parties (COP) ont lieu tous les deux ans et tous les états membres sont tenus d’envoyer un délégué pour participer aux négociations. La CDB fixe trois objectifs : la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable de l’exploitation de ses ressources génétiques.