Je cherchais tout à l’heure des paroles de chanson dans mes boîtes de cahiers, de lettres, de dessins. Je tente un retour sur scène -ceux qui me connaissent savent de quoi il en retourne exactement-. Ces boîtes, je ne les ai pas ouvertes depuis quelques années; elles renferment toute ma vie et c’est le bordel dedans. J’ai pas trouvé la chanson, mais tout le reste y était, y compris un petit cahier marqué Réflexions sur le dessus. C’est daté de 1991, j’avais 14 ans. J’y déballe l’ensemble de mes connaissances, qui tiennent sur 4 ou 5 pages. L’une d’elles s’intitule Réflexion sur le monde (Somalie), et oh mon Dieu, ce qu’elle contient est parfaitement ignoble. J’étais vraiment un sale petit con, tout imbu de rien du tout. Dans le texte, je m’insurge de voir à quel point les Africains sont peu évolués, en dépit du fait qu’ils existent depuis « plusieurs centaines de milliers d’années ». Je souffre de dire ça. Je poursuis: « Nous, au Québec, on est là que depuis 400 ans et regarde comme on est avancé. Eux ils ont même pas eu l’idée de quitter leur continent pourri. » Grincements. J’ai vite laissé le cahier et j’ai lu des vieux poèmes d’amour dans lesquels mon ignorance n’est pas moins criante, mais où elle a le mérite de ne faire de mal qu’à moi-même. Quand même trop tard, mes inepties racistes bourdonnent et je judéo-christianise en rond. Puis ça me vient, pas comme une consolation, mais comme un triste constat: ce discours, depuis mes 14 ans, je l’ai entendu partout. À shope (comment ça s’écrit ça?), au dépanneur, à l’université, ces 17 dernières années, de la bouche d’adultes apparemment en santé. Pas plus tard que cette semaine j’ai entendu dire « y retourneront même pas dans leur pays, sont accros à notre BS. » Combien de coups de pelle ça prend pour extirper tout ça de nos têtes de veaux avachis?
Je dis pas tout ça pour montrer comment j’ai changé, de toute façon vous en savez rien. Un jour à l’université mon prof d’histoire des USA a fait preuve d’une grande honnêteté et m’a ouvert un peu les yeux. Il a dit qu’un jour il a prit conscience qu’il était rasciste quand il s’est surpris à serrer contre lui sa valise au passage d’un Noir dans la rue. Pour lui ça été un choc, parce qu’en dépit du discours officiel qu’il tenait depuis toujours, il avait gardé ses réflexes racistes. Je dis gardé parce qu’aux USA (il était Américain), on apprend le racisme dès le plus jeune âge. Bref je n’ai pu que constater qu’il en allait de même pour moi, et depuis ce temps-là je cherche comment me débarasser de mes réflexes de sale petit con. J’attends vos suggestions. Où est-ce qu’on a pigé tout ça de toute façon? Que je saches, et je le dis sous toute réserve, on apprend pas le racisme à l’école, et mes parents étaient corrects.
En tout cas, cher journal, ça fait du bien d’en parler.
Touché. J’ajouterais que nous sommes tous de sales petits cons, peut importe la couleur de notre peau. le racisme va dans tous les sens, et c’est le processus de rapport à la différence, dans toute culture, qu’il faut revoir au-delà des réactions immédiates.
Nous sommes tous racistes, et par ailleurs objets du racisme de quelqu’un. appel aux blancs-becs, chintoks, nègres, peaux rouges et autres sauvages de la planète: faudrait bien qu’on finisse par se parler, un de ces quatres…