À quand une réelle autodétermination pour les peuples autochtones?

La condition des peuples autochtones au Canada est innommable et pourtant, dans les grands médias, c’est le calme plat. On dénonce certes des cas de mauvaise hygiène publique dans les réserves ou des problèmes de dépendance à l’alcool et aux drogues qui affligent ces populations, mais le tout se fait sur un ton paternaliste et moralisant. Le décès de deux petites filles autochtones en Saskatchewan, mortes de froid parce qu’oubliées à l’extérieur par leur père intoxiqué, a propulsé le chef d’antenne de Radio-Canada, Bernard Derome, vers des sommets de simplicité intellectuelle. La manchette de son équipe de nouvelles: «Doit-on bannir l’alcool des réserves?». Peut-on imaginer une seconde que la même réflexion ait été exprimée à la télévision publique si ces décès tragiques avaient eu lieu au sein de la communauté blanche de Westmount? Le paternalisme blanc envers les peuples autochtones est le fier descendant du colonialisme génocidaire européen. Et dans certains cas, la culpabilité historique ne vient même pas teinter l’ignorance d’une dose d’humilité.

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sookie, 416style, 2005
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La question des peuples autochtones au Canada est une question politique. Historiquement, le gouvernement du Canada a tenté d’assimiler ces populations. Des assimilationnistes contemporain, comme Thomas Flanagan, prônent encore une solution semblable; les «Indiens» devraient quitter leurs réserves, participer aux merveilleuses opportunités que leur offre le capitalisme canadien et devenir des Canadiens «comme les autres». Ainsi, ils devraient faire comme les immigrants: commencer en bas de l’échelle puis, après efforts et sacrifices, récolter les fruits de leur labeur et vivre des existences «décentes», c’est-à-dire basées sur la consommation abusive, le travail sans relâche et les relations interpersonnelles instrumentalisées par le marché. Suivant cette idée, comme les immigrants les autochtones devraient s’acclimater et s’assimiler à la société canadienne. Le White Paper Trudeau-Chrétien de 1969 ne proposait pas mieux: éliminer le statut, l’identité et même le mot «indien» des lois canadiennes. Il ne s’agissait pas ici de remplacer le malheureux terme «indien» par une autre dénomination plus respectueuse, mais bien plutôt de gommer cette identité culturelle… Nous sommes tous des Canadiens!

Le seul problème, ici, c’est que les autochtones ne sont pas des immigrants. En ce qui concerne les Amériques, ce sont plutôt les populations européennes qui sont immigrantes. En suivant la logique des assimilationnistes, nous devrions conclure que ce sont les colons qui auraient dû s’acclimater et s’assimiler à leurs sociétés d’accueil. Derrière cet argument se cache donc le vieux préjugé que les sociétés européennes auraient quelque chose de supérieur et d’universel, justifiant ainsi l’exportation de leurs principes au-delà des frontières culturelles. Non que ces frontières soient et doivent être étanches. Il s’agit plutôt de reconnaître que ces arguments assimilationnistes n’ont rien à voir avec un dialogue et un respect entre deux cultures, mais mènent plutôt à la disparition de l’une au profit de l’autre.

Déjà, l’Indian Act de 1876 refusait de reconnaître le statut de nation ainsi que le droit à la souveraineté aux peuples autochtones. Le gouvernement du Canada voulait alors affirmer et épurer sa toute jeune souveraineté et consolider l’emprise de la couronne sur le territoire «canadien». Il brisait ainsi, au plan légal, plus de 250 ans de reconnaissance du statut de nation aux peuples autochtones dans le droit international, surtout chez des auteurs comme Vittoria. Bien que cette reconnaissance légale n’ait pas empêché, au plan historique, des épisodes d’exploitation violente des autochtones par les colons, voire des épisodes génocidaires dans certains cas, elle obéissait tout de même au principe de fédéralisme des traités, dans lequel le droit des autochtones de négocier en tant qu’entité souveraine avec les représentants de sa majesté était reconnu. En créant les fameux conseils de bande, l’Indian Act a complètement détruit les institutions politiques traditionnelles autochtones. Ces conseils de bande ont transformé le leadership politique consensuel typique des peuples autochtones en structure libéralo-représentative. Du coup, le gouvernement canadien refusa de négocier avec toute autre entité politique que ces conseils. Aujourd’hui, les conseils de bande sont vus par la plupart des Canadiens et Canadiennes comme une institution politique traditionnelle autochtone. Il est bon de rappeler leur origine. Ceci dit, les communautés autochtones ont fait ce qu’elles ont pu à l’intérieur de ces structures imposées qui ne respectent pas leurs traditions culturelles et politiques. Mais les pouvoirs accordés par le gouvernement canadien aux conseils de bande demeurent bien en deçà de n’importe quel standard d’autodétermination.

Le gouvernement du Canada, malgré la signature de nombreux traités depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, n’a que rarement respecté sa parole, ces traités n’ayant pas force de loi dans la législation canadienne. Alors que les médias dépeignent plus souvent qu’autrement les revendications territoriales des peuples autochtones comme des tentatives de morceler le pays, la situation réelle est que ces revendications concernent le non-respect de traités déjà signés par le gouvernement du Canada: des terres appartenant aux peuples autochtones sont utilisées comme site d’enfouissement de déchets pendant que l’industrie forestière ravage l’habitat naturel et les écosystèmes dont ces gens dépendent pour la survie de leur mode d’existence traditionnel. Les peuples autochtones expriment que très rarement de nouvelles revendications. Ils demandent plutôt le respect des traités et la reconnaissance de leur souveraineté sur leurs ressources. Que le conseil de bande soit habilité, par le gouvernement du Canada, a choisir l’emplacement de la fosse septique sur la réserve n’équivaut pas à de l’autodétermination.

Depuis 1995, une brèche a été créée dans l’armature colonialiste du Canada. En effet, le gouvernement canadien a reconnu aux peuples autochtones, après de longues luttes, un «droit inhérent» à l’autodétermination. «Inhérent» puisque ces peuples ont joui de cette souveraineté politique des dizaines de milliers d’années durant avant que le colonialisme lui confère un statut juridique fantoche. En stipulant que la Constitution de 1982 reconnait ce droit, les autochtones se retrouvent dans une position où ils peuvent théoriquement enchâsser tout traité négocié dans la loi fondamentale du pays, c’est-à-dire que ces traités pourraient acquérir force constitutionnelle. Pour l’instant, même si cette possibilité théorique existe, les avancées pratiques sont timides.

Il est temps de décoloniser le Canada. Les citoyen-ne-s canadien-ne-s doivent combattre les préjugés racistes qui forment l’ethos médiatique au pays et qui représentent les autochtones comme des sous-humains, incapables de s’occuper d’eux-mêmes et ayant besoin de l’aide du gouvernement du Canada qui, historiquement, a plutôt détruit leurs sociétés. N’importe quelle société privée d’une relation politique libre avec elle-même et d’une relation d’existence libre avec ses ressources se trouvera dans une position de dépendance envers ses exploiteurs. La longue histoire mondiale du colonialisme et de l’impérialisme l’a amplement démontré. Les peuples autochtones doivent continuer la lutte pour obtenir le contrôle des ressources se trouvant sur leurs territoires. De plus, ils doivent être en mesure de déterminer eux-mêmes leurs structures politiques et la façon dont le leadership y est exercé. Finalement, la relation entre la société canadienne et les sociétés autochtones doit évoluer vers un rapport décolonisé.

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