La répression hypocrite

Pendant que toute l’attention médiatique est tournée vers la Chine en raison des Jeux de Pékin, un autre gouvernement utilise la répression et la violence pour être «prêt» et «présentable» lorsque les yeux du monde se tourneront vers lui: l’Afrique du Sud. En 2010, la Coupe du monde de soccer sera présentée dans ce pays où le gouvernement sort de plus en plus l’artillerie lourde pour enrayer les problèmes de criminalité élevée. S’agit-il d’une coïncidence?

 Walk
Frédérique Ulman-Gagné, Walk , 2008
(avec la permission de l’artiste),
Tous droits réservés ©

En tenant compte des indicateurs habituels, l’Afrique du Sud est le deuxième pays le plus violent de la planète, derrière la Colombie. Quelques chiffres suffisent à illustrer la situation. Pour une population de 48 millions, 19 000 meurtres sont commis chaque année (41 victimes par 100 000 habitants, alors que le taux aux États-Unis est de 5 pour 100 000), près de 500 000 cas d’assauts et de tentatives de meurtres, et 55 000 viols rapportés, alors que les estimations laissent voir que seulement 1 viol sur 10 est rapporté.

Alors que les riches vivent dans des maisons fortifiées, équipées de systèmes de sécurité sophistiqués, les pauvres, environ 90% de la population, sont aux prises avec la violence, le SIDA et un taux de chômage frisant les 30%. Les travailleurs et travailleuses, dans les zones urbaines, gagnent entre 1 et 2$ par jour, et les flots de travailleurs et travailleuses étrangers, croissant chaque jour notamment en provenance du Zimbabwe de Mugabe, sont exploités de façon éhontée par leurs employeurs1.

Devant la violence et le crime, plutôt que de s’attaquer aux racines du problème, c’est-à-dire la pauvreté, l’exclusion sociale, le racisme, le sexisme, le désespoir et le SIDA, le gouvernement sud-africain emploie la ligne dure et ineffective de la répression. Les déclarations de la ministre de la Sécurité, Susan Shabangu, en disent long sur la stratégie du gouvernement. Dans ses dernières allocutions, dont plusieurs furent prononcées devant des policiers, la ministre a déclaré, entre autres:

«Vous devez tuer les salauds s’ils menacent la communauté. Ne vous préoccupez pas des règlements, ceux-ci sont de mon ressort. Votre rôle est de servir et protéger […] Je veux assurer les policiers qu’ils ont la permission de tuer ces criminels. Je ne tolérerai aucune excuse pathétique pour votre incapacité de régler ces problèmes […] Vous avez des armes, utiliser-les. Je ne veux pas de tirs d’avertissements. Lorsque vous tirez vous devez tuer […] La Constitution dit que les criminels doivent bénéficier d’un minimum de sécurité. Mais moi je dis non2».

Au-delà des discours politiques, la stratégie répressive est effectivement en place. Les effectifs des forces de police atteignent maintenant les 160 000 officiers et plus de 10 000 nouveaux agents sont ajoutés à chaque année. De nouvelles lois et régulations sont mises en œuvre, réduisant les libertés civiques et donnant plus de pouvoir aux forces de l’ordre. La stratégie répressive est simpliste dans sa logique: si les criminels sont morts ou emprisonnés plus longtemps, et que l’effet dissuasif fonctionne, il devrait y avoir moins de crimes.

On reconnaît cette stratégie dans plusieurs pays. Par exemple, le gouvernement conservateur canadien s’est fait élire sur la promesse de s’attaquer aux problèmes de criminalité et de violence (alors qu’en fait la criminalité était déjà en baisse au Canada); les peines de prison plus sévères, des investissements massifs dans les forces de police et des lois plus strictes font partie de cette stratégie. Si l’Afrique du Sud représente la situation extrême, plusieurs autres pays adoptent cette stratégie répressive et contre-effective.

Pendant ce temps, les pauvres restent pauvres, les sans-emploi restent sans-emploi, les moyens de survie violents prolifèrent et l’exclusion sociale fait son œuvre, alors que les élites dominantes vivent dans des maisons, voire des quartiers fortifiés, et que les autres formes de criminalité, dont l’évasion fiscale qui représente de loin la forme de criminalité la plus coûteuse pour une société, restent en dehors des préoccupations étatiques. Pourtant, ces ressources qui fuient la sphère publique pour enrichir ceux qui sont déjà privilégiés contribueraient grandement à améliorer les conditions de vie de la population exclue. La répression ne fait que tenter de masquer un problème, plutôt que d’exprimer le courage de s’attaquer à ses causes.

Notes (cliquez sur le numéro de la note pour revenir au texte)

1. Les statistiques proviennent de Jonny STEINBERG, Notes from a Fractured Country, Johannesburg, Jonathan Ball Publishers, 2007, et Antony ALTBEKER, A Country at War with Itself, Johannesburg, Jonathan Ball Publishers, 2007.
2. Citée dans Harroon SIDDIQUI, ‘South Africa’s line on crime : ‘You must kill the bastards’, in Toronto Star, Jeudi 24 avril 2008, p.AA6. (ma traduction).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *