Manifestez-vous qu’ils disaient…

Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.

Charte des droits et libertés de la personne du Québec, 1975, c. 6, a. 3.

 Arrestation: 28 Mars 2006 - 17:14 (March 28, 2006 - 17:14: Arrest)
Hughes Leglise-Bataille, Arrestation: 28 Mars 2006
– 17:14 (March 28, 2006 – 17:14: Arrest), 2006
Certains droits réservés.

Il y a deux ans, le 19 novembre 2004, s’ouvrait à Montréal le 29e Congrès du Parti Libéral du Québec. Lors de cet événement, quelques groupes militants se sont réunis pour exprimer, dans le cadre d’une manifestation, leur désaccord vis-à-vis des orientations de ce parti. Bien présentes sur l’itinéraire emprunté par les manifestants, c’est sans avertissement que les forces policières ont arrêté près de 200 personnes, les ont menottées, fouillées, fichées et déportées aux quatre coins de la ville après leur avoir imposé une contravention salée.

Reconnu par les chartes québécoise et canadienne, le droit à la manifestation pacifique s’est, de toute évidence, fait gravement rudoyer lors de cette arrestation massive orchestrée par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). À la base du système démocratique, la liberté d’expression est une valeur fondamentale, un acquis social qui doit être respecté par l’autorité et protégé par la vigilance des citoyens.

Il est troublant de constater que l’action policière répressive de 2004 ne soit qu’un exemple parmi d’autres. En effet, depuis 1999 plus de 2000 personnes se sont fait arrêter à Montréal, selon des procédures semblables, lors de rassemblements à teneur politique. Le milieu militant est bien au fait des pratiques parfois violentes déployées par les autorités policières pour mettre fin aux manifestations citoyennes. Par contre, le nombre d’arrestations massives et la teneur des gestes posés par les policiers dans ces occasions demeurent généralement méconnus du public. Il me semble qu’il s’agit pourtant de faits inquiétants qui méritent une attention particulière.

Il est plutôt rare que la couverture médiatique consacrée à ce type d’arrestations questionne le message qu’envoient les autorités aux manifestants et à la communauté. Lorsque les journalistes insistent sur la présence de drapeaux rouges ou noirs, s’attardent au style vestimentaire ou capillaire de certains manifestants et mettent l’accent sur quelques débordements, ils contribuent à discréditer les individus arrêtés et l’action de manifester. Se limitant à véhiculer des préjugés, ce traitement de l’information ne permet pas de prendre connaissance des points de vue formulés par les citoyens qui se sont réunis pour exprimer des opinions. Au contraire, il marginalise le milieu militant et concourt à justifier les actions policières qui imposent le bâillon à la liberté d’expression, geste dont tout citoyen préoccupé par la santé de la démocratie devrait s’inquiéter.

[…] tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la Loi […] le respect de la dignité de l’être humain et la reconnaissance des droits et libertés dont il est titulaire constituent le fondement de la justice et de la paix […] Préambule, Charte des droits et libertés de la personne du Québec

La manifestation de novembre 2004 s’est déroulée à l’heure où étaient annoncées d’importantes coupures gouvernementales touchant plusieurs secteurs publics et parapublics de la société québécoise. Inutile de rappeler que ces mesures ont rencontré une vive opposition amenant des milliers d’individus à manifester leur désaccord dans les rues. Avec le recul, la manifestation du 19 novembre 2004 peut être perçue comme la pointe de l’iceberg d’un vaste mouvement de protestations qui s’est étendu à plusieurs sphères de la société québécoise.

C’est dans ce contexte que quelques centaines de manifestants souhaitaient faire entendre leur désaccord vis-à-vis des politiques et des orientations prévues par le Congrès qui se voulait, selon ses organisateurs, «l’occasion pour le PLQ de montrer sa compétence et sa clairvoyance en s’interrogeant sur le Québec que nous laisserons aux générations futures et sur les gestes que nous devons poser maintenant pour laisser un bel héritage(1)». Ce sont justement des individus appartenant pour la plupart à la «jeune génération» qui se sont exprimés de manière pacifique ce jour-là et se sont vus matés sans motif raisonnable par les forces policières. Je ne suis pas d’avis que les actions posées par le SPVM étaient «clairvoyantes» et à même de laisser «un bel héritage». Ce sont plutôt les coups de matraque assenés à l’aveuglette en leur direction, les heures d’attente passées menottés, assis sur le bitume gelé, l’enregistrement de leurs photos dans les fichiers de sécurité, de même que le regard et les propos humiliants des policiers qui resteront dans la mémoire des personnes arrêtées.

Les manifestations à caractère politique, en particulier, sont souvent la cible d’arrestations massives menées par les forces policières de la Ville de Montréal. L’ampleur du phénomène est telle, que plusieurs observateurs ont dénoncé ces pratiques récurrentes. C’est le cas de l’Organisation des Nations Unies, qui l’a fait dans ses Observations finales du Comité des droits de l’Homme(2). Il semble que la liberté d’expression pose problème dans le «meilleur pays du monde(3)», puisque Montréal n’est pas la seule ville canadienne concernée par l’avis onusien.

Depuis novembre 2004, plusieurs manifestations se sont déroulées sans arrestations massives. Doit-on attribuer ce changement de cap aux recommandations de l’ONU? Peut-être. Mais les coûts encourus par le système judiciaire sont plus vraisemblablement à l’origine de ce changement d’attitude. En effet, les contraventions octroyées aux manifestants sont généralement contestées en cour. Les procès s’éternisent et contribuent à l’engorgement du système judiciaire. Plusieurs démarches entamées par des manifestants se sont d’ailleurs soldées en leur faveur, faisant notamment reculer l’emploi de l’accusation d’«attroupement illégal», d’ordre criminel, longtemps utilisée pour condamner en groupe les manifestants.

Le droit à la manifestation pacifique et à la liberté d’expression constituant des éléments essentiels à la vitalité d’un système démocratique, il importe de les protéger et de dénoncer les entraves qui les menacent. Plutôt que de tenter d’imposer la démocratie à coup d’obus en Afghanistan, en prétendant incarner un modèle de protection des droits et libertés, le «meilleur pays du monde» et ses provinces devraient faire un examen critique des orientations prises par les forces de l’ordre à l’intérieur même de leurs territoires. Avec sa propension libérale à distribuer aux manifestants contraventions et coups de matraque, le SPVM va à l’encontre des valeurs constitutionnelles.

Notes

(1) Mot de Lise Thériault et d’Éric Forest, coprésidents du 29e Congrès des membres du Parti Libéral du Québec. [En ligne]. < http://congres.plq.org/ >, consulté le 23 octobre 2006.
(2) Communiqué de presse de la Ligue des droits et libertés, intitulé L’ONU interpelle le Canada, responsable de plusieurs violations des droits et libertés : La Ligue des droits et libertés presse les gouvernements de respecter leurs obligations. [Enligne].
CDH2005/LDL_CDH2005_comm_3nov05.pdf
>, consulté le 23 octobre 2006.
(3) Selon les mots employés maintes fois par Jean Chrétien lorsqu’il était premier ministre du Canada.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *