La campagne présidentielle américaine est bien en marche. John McCain et Barack Obama ont entrepris d’étaler leurs rhétoriques, promesses et plans d’action. Alors qu’Obama jouit déjà d’une avance significative dans les sondages, la lutte risque d’être d’autant plus inégale puisque le candidat démocrate est revenu sur sa promesse d’utiliser les fonds publics pour sa campagne. Devant la possibilité de plus en plus grande de voir Obama l’emporter, il est impératif de questionner son agenda politique. Derrière une rhétorique de profond changement, est-ce que le plan d’Obama, notamment en termes de politique étrangère, peut réellement changer le rôle des États-Unis dans le monde ?
Frédérique Ulman-Gagné, Hiding Place, 2006
(avec la permission de l’artiste)
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Le système électoral américain fonctionne à l’argent, le consensus sur cette question est palpable à gauche comme à droite. Il existe deux manières de financer une campagne présidentielle. D’une part, le système public alloue un montant aux candidats des partis démocrate et républicain. Pour 2008, le montant sera de 84,1 millions de dollars. Obama avait promis d’utiliser ces fonds, déclarant qu’il était moralement préférable d’engager la lutte à égalité de moyens et de tenir l’influence des lobbys privés hors de la campagne. Toutefois, un candidat peut décider de refuser les fonds publics et de s’appuyer sur les montants recueillis à titre de dons et de contributions. Disposant déjà, selon les dernières estimations, de plus de 287 millions de dollars, Obama a refusé les fonds publics1. Le meilleur leveur de fonds de l’histoire de la politique américaine n’a donc pu tenir l’une des toutes premières promesses qu’il avait faite. La marée haute d’argent aura fait céder la digue des principes moraux. John McCain, pour sa part, utilisera vraisemblablement les fonds publics. Le résultat net est qu’Obama pourra surcharger les États clés de publicité et même investir massivement dans des États traditionnellement républicains dans le but de les faire changer de camp. McCain n’aura pas ce loisir.
L’un des domaines où la potentielle élection d’Obama suscite le plus d’espoir est celui de la politique étrangère. Obama est surtout connu pour sa position sur la guerre en Irak. Dès 2002, il la qualifiait de «guerre stupide» (dumb war). Le fait qu’il soit contre la guerre en Irak a semblé faire coller une image de pacificateur au candidat démocrate. Toutefois, son agenda en Irak, tout comme ses politiques militaires, soulève de sérieuses questions. Jusqu’à maintenant, le candidat démocrate se limite à des déclarations d’intentions, par exemple : rapatrier les troupes, au rythme d’un ou deux bataillons par mois. Deux éléments viennent toutefois mettre un bémol sur ces bonnes intentions. D’une part, il n’est jamais spécifié combien resteront, mais seulement qu’il devra y avoir une force «limitée» en place pour encore plusieurs années. De plus, Obama souhaite investir massivement dans les forces armées spéciales d’action antiterroriste, forces qui seront maintenues et même augmentées en Irak. Donc, loin de tirer à sa fin, la présence américaine en Irak changera plutôt de forme 2. D’autre part, les soldats retirés d’Irak ne rentreront pas nécessairement à la maison. Obama et ses conseillers envisagent plutôt de les redéployer ailleurs, principalement en Afghanistan.
Si la politique irakienne d’Obama reste loin de remplir les attentes que sa rhétorique de changement suppose, il en va de même pour son agenda en matière militaire. Premièrement, Obama prévoit hausser le budget du Pentagone. En second lieu, le candidat démocrate a appelé, lors d’un discours à Chicago en 2007, à un 21ème siècle ou les forces militaires américaines «resteront sur l’offensive, du Djibouti à Kandahar». Entourés de conseillers et conseillères souvent vétérans de l’administration Clinton (quel changement ?), Obama souhaite ajouter des avions drones aux forces de l’air, augmenter les capacités de guerre électronique, construire de nouveaux avions Cargo C-17, recapitaliser les forces navales, le tout dans le but «d’étendre le pouvoir global de l’Amérique». Bien Qu’Obama semble prêt à renouer avec les alliés traditionnels des États-Unis et à encourager une approche multilatéraliste, il ne se cache toutefois pas de favoriser des interventions unilatérales dans certains cas, notamment pour déloger Al-Qaeda du Pakistan ou pour soutenir des dissidents démocrates dans des États autoritaires. Si la politique étrangère de l’administration Bush pouvait être qualifiée d’«unilatéraliste», celle d’Obama pourrait bien l’être d’«interventionniste»3.
Si l’élection d’Obama semble plus souhaitable que celle de McCain, il faut toutefois se garder de voir le candidat démocrate comme un sauveur. S’il a déjà brisé une première promesse avant même son élection, il serait naïf de s’attendre à ce qu’il ne récidive pas une fois au pouvoir, invoquant des «circonstances» hors de son contrôle. Qui plus est, les conditions structurelles du pouvoir global des États-Unis étant fondées sur l’exploitation et les armes, l’État américain, peu importe son président, ne pourra révolutionner l’ordre global sans miner son propre pouvoir. Il appartient au peuple américain et aux mouvements sociaux activistes, qu’Obama semble vouloir encourager, de maintenir une pression sans relâche pour remodeler les bases du pouvoir américain à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières territoriales.
Notes (cliquez sur le numéro de la note pour revenir au texte)
1. Les chiffres sont tirés de «Humbug all round», The Economist, 28 juin 2008, p.37.
2. Sur ce sujet voir Tom Hayden, «Barack at Risk», The Nation, 5 juillet 2008.
3. Sur l’agenda d’Obama voir Robert Dreyfuss, «Obama’s evolving foreign policy», The Nation, 1 juillet 2008.