Scepticisme, cynisme et résignation

Manif
Karine van Ameringen, Manif, 2006
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Le cynisme envers la politique comme catalyseur des aspirations des communautés a le vent dans les voiles. La politique est perçue davantage comme un lieu de reproduction du pouvoir des privilégiés, plutôt que comme un outil de changement. Les scandales de corruption, la persistance de dictatures, le rôle excessif joué par l’argent dans l’organisation des partis politiques et dans les campagnes électorales laissent un goût amer en bouche, celui d’une sphère rongée par des luttes de pouvoir situées à des années-lumière d’une prise en charge bien fondée des problèmes réels. Le cynisme a bonne cote. Les faibles taux de participation électorale et le sentiment que le citoyen s’efface derrière le consommateur sont l’apanage d’un nombre grandissant de personnes.

Devant tant de problèmes, de promesses non tenues, de violence et d’exclusion, comment ne pas désespérer de la capacité des lieux de pouvoir à représenter les aspirations populaires? D’où ce détachement résigné des hommes et des femmes envers la sphère politique. Le cynisme est là et il accentue le desserrement du lien démocratique entre chacun et le pouvoir politique, puis entre le pouvoir politique et les problèmes du monde. Pouvons-nous encore supporter un idéal démocratique alors que les élus semblent simplement s’accrocher au pouvoir, comme si celui-ci constituait une fin en soi, plutôt qu’un moyen d’améliorer les conditions d’existence des êtres humains?

Le problème avec le scepticisme et la résignation ambiants est qu’ils ne constituent pas une position intellectuelle et pratique à la hauteur des défis auxquels nous sommes tous, au delà des différences culturelles et politiques, confrontés. Car il faudra, d’une manière ou d’une autre, trancher certaines questions urgentes. Allons-nous organiser une réponse globale au problème environnemental? Allons-nous mettre en place des politiques qui s’attaquent aux problèmes fondamentaux derrière le « terrorisme », c’est-à-dire l’inégalité économique, l’exclusion et l’instrumentalisation politique du désespoir? Permettrons-nous encore longtemps que des PDG d’entreprise gagnent jusqu’à 500 fois le salaire de leurs employés (1), lorsque ce sont ceux-ci qui, par leur travail, permettent à l’entreprise de réaliser des profits? Pouvons-nous laisser nos gouvernements encourager des actions de guerre en notre nom? Considérer la sphère politique en spectateur en se déculpabilisant parce que de toutes façons, il s’agit d’un milieu incapable, ne règlera rien. La politique est comme n’importe quel outil; moins il est entretenu, moins il est efficace.

Le désengagement du citoyen au profit de l’omniprésence du consommateur\client n’aide en rien à nous donner un lieu de pouvoir politique qui puisse répondre à nos aspirations, puisque ce faisant nous participons à la subordination de la sphère politique aux soi-disant « impératifs économiques ». Lorsque des gens de gauche postulent qu’acheter c’est voter, il faudrait y voir un constat d’échec plutôt qu’une nouvelle éthique.

Il apparaît plus urgent que jamais de promouvoir un réinvestissement de la sphère politique par les citoyens. Ne plus baisser les bras devant le « système », mais agir concrètement pour une refonte de celui-ci qui laisse davantage de place aux aspirations populaires plutôt qu’aux régulations anonymes du statu quo. Si la politique peut encore jouer un rôle positif dans une société et dans l’existence de ses membres, c’est lorsque ceux-ci s’approprient les leviers décisionnels. Le premier pas vers une politique probante est celui qui mène du scepticisme au désir d’agir.

Il est certainement décourageant de constater comment les projets sociaux alternatifs et l’humanisme « naïf » ont historiquement été l’objet de distorsions qui ont miné leur portée. Mais contrairement à l’attitude fataliste qui voit dans ces échecs la preuve de l’utopisme d’un monde meilleur, il faut puiser dans cette riche expérience historique pour identifier ces erreurs, apprendre des tentatives passées, et continuer la lutte pour la dignité humaine, car cette lutte devient maintenant également celle de la survie humaine et nous n’avons plus le droit au cynisme.

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