Presque personne sur la planète ne peut se vanter de soulever les passions autant qu’Hugo Chavez. Le président vénézuélien a continué de faire parler de lui, alors qu’il a proposé au peuple vénézuélien pas moins de 69 amendements constitutionnels lors d’un référendum, le 2 décembre dernier. Le rejet serré du projet, par 51% des voix contre 49%, constitue la première véritable défaite électorale pour Chavez en près de neuf ans au pouvoir.

Iban Arantzabal, dessin de Nath Paresh
National Herald in India «La chaîne du pouvoir
vénézuélien» , 2007
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Pour l’observateur étranger, ce référendum aura eu pour effet de souligner à quel point il est ardu de trouver de la documentation objective sur la politique vénézuélienne. En effet, la couverture médiatique de cette scène politique, particulièrement en Occident, ne donne généralement pas dans la nuance. Chavez est plus souvent qu’autrement dépeint comme un populiste autocrate, sinon un dictateur. Ses liens avec Fidel Castro sont soulignés en caractères gras et son allergie aux médias privés, qui a à quelques reprises carrément mené à la censure, sont les principaux clous que les médias enfoncent à répétition. Du coté des cercles gauchistes et gauchisants, Chavez est l’emblème de la résistance à l’impérialisme américain, l’ultime espoir d’un socialisme renouvelé, et le fossoyeur du capitalisme sauvage. Bien que nous ayons droit, en quelques rares occasions, à un peu de gris entre le noir et le blanc, le fait demeure que Chavez polarise les opinions, autant au sein de la société vénézuélienne que dans les médias étrangers. Entre des points de vue idéologisés autant à gauche qu’à droite, est-il possible d’en arriver à une vision plus nuancée du projet politique socialiste de Chavez?
Les accusations contre Chavez se situent souvent au plan de la concentration du pouvoir. Les critiques de droite, par exemple, profitent de chaque occasion possible pour répéter le dogme néolibéral «socialisme =dictature». Ces critiques ont été exacerbées par certains amendements constitutionnels proposés par Chavez, notamment celui qui aurait mis fin à la limitation du nombre de mandats possibles pour le président. À en croire certains médias, les vénézuéliens et les vénézuéliennes courraient tout droit vers la dictature à vie de Chavez. Les résultats du référendum d’une part, et leur acceptation par le pouvoir d’autre part, semblent faire mentir les bien-pensants pour qui l’autocratie avait déjà triomphé au Venezuela et la démocratie était morte. À titre comparatif, ce n’est pas au Venezuela que le chef du gouvernement dirige à la fois les pouvoirs exécutifs et législatifs, nomme les juges de la Cour suprême et les membres du Sénat, exerce une discipline de fer dans son parti et peut être réélu à vie sans aucune limite constitutionnelle. C’est au Canada.
D’autre part, la corruption des cercles proches du président ne doit pas être passée sous silence par les observateurs de gauche. Même si quelqu’un démontre de la sympathie pour certaines mesures sociales qui ont grandement bénéficié aux classes populaires du pays, il ne peut ignorer que certains des bénéfices qui ont découlé de la nationalisation de secteurs importants de l’économie ont été partagés au sein de réseaux clientélistes proches du président. La justice sociale, terme cher à la révolution bolivarienne, nécessite que ces pratiques soient dénoncées par la gauche. De plus, il ne suffit pas de blâmer le faible taux de participation pour expliquer la défaite référendaire (54%); il faut que les sympathisants de Chavez se demandent pourquoi les électeurs ont été aussi peu nombreux à voter. Pour un leader décrit comme populiste, cette fois Chavez n’aura pas réussi à faire passer son message aux masses.
Bien qu’il apparaisse contre-intuitif de tirer une telle conclusion, cette défaite référendaire pourrait bien avoir des effets bénéfiques pour Chavez. En effet, malgré un support moins évident à l’interne, le président vénézuélien pourra gagner des points sur un autre front puisqu’il deviendra difficile pour ses critiques de le taxer d’autocrate et de dictateur alors qu’il fût le premier à accepter sa défaite référendaire, même si les résultats étaient des plus serrés. Aussi, Chavez n’aura d’autre choix que de rester à l’écoute de sa population, de laisser de coté les grands projets du socialisme théorique imposé d’en haut, et de se concentrer sur la mise en place d’un socialisme pratique et démocratique. Ce référendum aura affirmé ce qui devra demeurer l’ultime principe de la scène politique vénézuélienne: que ni Chavez ni ses adversaires politiques aient le dernier mot sur le cours et le terme de la Révolution bolivarienne, mais bien les citoyens et citoyennes. De son coté, Chavez fera bien de se rappeler que le socialisme du XXIe siècle, comme il le nomme, sera démocratique ou ne sera pas.