FIFA, ou comment voyager sans œillères dans le monde de l’art

Au programme du Festival International du Film sur l’Art (FIFA) cette année, vingt-cinq films canadiens, un documentaire sur Sophie Calle, un autre sur James Ellroy, Carmen dansé par des interprètes quadragénaires sous la direction du chorégraphe tchèque Jirí Kylián. Le programme était alléchant et il y en avait pour tous les goûts.

Making the balkans erotic (Rendre les Balkans Érotique)
Richard C. Haber, Making the balkans erotic
(Rendre les Balkans Érotique)
, 2006
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Faire connaître et apprécier l’art par le grand public, telle est la mission du FIFA, un habitué des printemps montréalais. Du 8 au 18 mars 2007, le FIFA a fêté son quart de siècle, en réunissant pour l’occasion 275 œuvres cinématographiques en provenance de 25 pays. Surprenant par son éclectisme, sa qualité et son ton non consensuel, ce festival vise à démocratiser le film d’art, notamment en encourageant la production cinématographique à vocation artistique, qu’elle soit nationale ou internationale.

Parmi tous les films programmés, deux œuvres m’ont particulièrement frappée, Making the Balkans erotic et Coffee with Pina. Venu tout droit de Serbie, le premier, un documentaire tourné par Richard Haber, raconte le travail d’une vidéaste serbe, Marina Abramovic. Lassée de l’aspect mécanique et galvaudé des films pornographiques, cette dernière a voulu, par une installation de sept vidéos dénommée Balkan Erotic Epic, montrer le côté spirituel et cosmique de la sexualité. Exposé à New York fin 2005, ce travail dévoile les rites ancestraux des villages de Serbie, à travers lesquels les humains cherchaient à se rendre égaux aux dieux et à s’en faire des alliés par le biais de l’érotisme. Pour apaiser les démons, rendre la terre fertile, guérir un enfant malade, les villageois simulaient l’acte sexuel avec la terre et les villageoises se livraient aux pluies diluviennes. Malheureusement, le film en lui-même montre peu l’œuvre de Marina Abramovic, qu’il aurait été intéressant de découvrir davantage. En fait, Making the Balkans erotic se limite à dépeindre le making of de l’installation, notamment les entrevues d’embauche des acteurs et des actrices. Le résultat est très cocasse et les rires fusaient dans la salle. Cependant, le contraste entre cette perspective comique et la démarche de l’artiste m’a laissée un peu perplexe. En effet, l’exposition de Marina Abramovic, Balkan Erotic Epic, est une œuvre artistique sérieuse alors que le film tourne ce travail en ridicule, ce qui enlève toute crédibilité au film lui-même. De plus, il dépeint les acteurs à travers des prises d’images très peu flatteuses. Or, ces derniers sont des gens pauvres qui ne peuvent se permettre de refuser un travail et, quoique inconfortables à l’idée d’exhiber leur corps devant la caméra, sont prêts à le faire pour survivre. Est particulièrement choquante la scène du documentaire où Marina Abramovic répète sans cesse que les images sont meilleures quand les acteurs sont exténués. Cela dénote un manque de considération flagrant pour ses acteurs et pour la dignité humaine. Enfin, le film prétend parler des Balkans alors qu’il traite seulement des Serbes, une communauté parmi une douzaine d’autres, toutes très différentes. Il est donc difficile de parler d’une culture balkanique.

Si les motivations derrière Making the Balkans erotic nous sont un peu hermétiques, en raison du paradoxe entre la dimension comique du film et le caractère sérieux et spirituel de l’exposition sur laquelle est basé le documentaire, ce n’est pas le cas de Coffee with Pina, tourné par la réalisatrice israélienne Lee Yanor. Cette dernière a voulu dresser un portrait tout en demi-teintes de Pina Baush, la chorégraphe allemande ayant le plus marqué la danse du vingtième siècle. C’est elle qui a inventé la danse-théâtre (Tanztheater) vers 1975-1976, rompant ainsi avec les formes conventionnelles de cet art. Pina Baush travaille en fonction des anatomies de ses danseurs, des possibilités de chacun et non pas autour de formes à reproduire. Elle mêle la parole et le théâtre à la danse et pose des questions à ses interprètes tout au long du processus chorégraphique, basant la création sur leur histoire, leur passé. Avec sa troupe Tanztheater Wuppertal, composée de personnes venues de tous les coins du monde, Pina part en résidence chaque année depuis quinze ans dans une ville différente pour s’imprégner de l’esprit des lieux et créer une œuvre inspirée de la ville ou du pays: Tokyo, Istanbul, Brésil, Madrid, Hong Kong…

Lee Yanor, dans son film, engage un dialogue intime avec Pina Baush, au café Mistral qui fait face au Théâtre de la Ville à Paris en 2002 et trois ans plus tard, à Wuppertal en Allemagne, le théâtre où travaille la chorégraphe. La conversation à bâtons rompus, les silences de Pina, ses sourires, ses rires, sont très touchants. Le film est entrecoupé d’extraits de spectacles, permettant de découvrir le travail de la chorégraphe et sa relation avec ses danseurs. Un bémol cependant: la réalisatrice a rajouté de nombreux effets spéciaux, rendant flous les mouvements des danseurs. Or, la danse se suffisait à elle-même et le résultat n’est pas très convaincant.

On pensera à l’excellent documentaire de Chantal Akerman, Un jour Pina a demandé, qui date de 1983. On pensera aussi au long-métrage de fiction d’Almodóvar, Parle avec elle, où Pina danse elle-même, en ouverture, un extrait de Café Müller (création sombre et tragique qui fait pleurer Marco, l’un des personnages d’Almodóvar), et dont la fin consiste en un extrait de Masurca Fogo, qu’on doit aussi à la chorégraphe. Ce spectacle beaucoup plus joyeux reflète ainsi la note d’espérance et de légèreté imprégnant la clôture de Parle avec elle, lorsque Marco et Alicia se rencontrent. La danse constitue ainsi une sorte de fil conducteur du film, marquant l’évolution de l’histoire et extériorisant les émotions vécues par les protagonistes. Pina était apparue à l’écran auparavant, dans Die général Probe de Werner Schroeter en 1980 et dans Et vogue le navire de Federico Fellini en 1983. Elle était même passée de l’autre côté de la caméra lors de la conception et de la réalisation de La Complainte de l’Impératrice en 1989.

Mais, quelque part, Coffee with Pina a le mérite d’«humaniser», de faire un lien entre nous et une chorégraphe dont l’oeuvre est considérablement importante pour les arts vivants. Car les personnes ne faisant pas partie du monde artistique sont nombreuses à trouver le monde de l’art sibyllin hors de portée. En bref, un domaine réservé à des happy few qui ont la chance d’en détenir les codes et de savoir le déchiffrer, mieux, d’y prendre plaisir. Combien de fois avons-nous entendu une voix dubitative mentionner: «c’est intéressant», devant un tableau ou un spectacle de danse, ou bien affirmer: «un film sur l’art Oh non! C’est sûrement ennuyeux et incompréhensible.»

Le Festival International du Film sur l’Art permet, non seulement de réunir des cinéastes, des comédiens, des producteurs, des distributeurs venus du monde entier, mais surtout de proposer des films sur l’art qui piquent notre curiosité et retiennent notre intérêt. Ces œuvres sortent de l’ordinaire, sont drôles, différentes, plutôt limpides, et empreintes d’une légèreté qui manque cruellement aux temps particulièrement troublés que nous vivons.

Sans doute, est-ce cela, finalement, le trait marquant du FIFA, nous parler d’art, à nous qui ne sommes pas artistes, ouvrir nos horizons, mais aussi nous rendre l’art plus accessible, moins hermétique et intimidant.

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