Pour la première fois de l’histoire récente, les enjeux environnementaux tiennent la dragée haute aux autres faits saillants de l’actualité internationale. Les acteurs politiques saisissent au bond cette opportunité afin d’accroître leur légitimité. De Québec à Nairobi, en passant par Sacramento et Paris, le nouveau fond d’écran politique tourne au vert forêt. Bienvenue à l’ère écologique.
Au cours des derniers mois, la vague environnementale a littéralement déferlé sur l’espace médiatique. Février 2007, le rapport du Groupe international d’experts sur le climat (GIEC), regroupant 2500 experts de plus de 130 pays, est sans appel: il y a urgence d’agir. Autrement, une série de catastrophes environnementales est à prévoir: pluies diluviennes, sécheresses, fonte des glaciers, canicules et hausse du niveau des mers(1). En entrevue à Radio-Canada, le nouveau ministre fédéral de l’Environnement, John Baird, a été forcé d’avouer son étonnement: «que la cause [du réchauffement] soit l’activité humaine, ça, c’est une surprise pour moi(2)». Il a tout de même montré une certaine ouverture, affirmant en conférence de presse que «les scientifiques ont fait leur travail. C’est maintenant aux gouvernements de prendre leurs responsabilités et aux Canadiens de consentir les efforts nécessaires.»Réunis à Nairobi au début de février pour le dépôt du désormais célèbre Annuaire 2007 sur l’environnement mondial(3), le rapport annuel du Programme des Nations Unies pour l’environnement, les ministres de l’Environnement ont constaté qu’ils ont du pain sur la planche pour les années à venir. Ledit rapport prévoit l’épuisement des principales réserves halieutiques utilisées pour la consommation humaine vers 2050, faute d’une véritable protection du patrimoine marin. À ce sujet, le GIEC a stipulé que les changements climatiques allaient eux aussi contribuer au tarissement des ressources halieutiques en augmentant l’acidité des mers et des océans. Le constat est semblable pour la forêt(4).
Cependant, c’est l’économiste Nicolas Stern qui a sonné le glas des derniers «environnementalo-sceptiques» avec la remise, en octobre 2006, du rapport que lui avait commandé le gouvernement britannique. «Il a redéfini complètement la question des changements climatiques. Désormais, ce n’est plus seulement environnemental, mais aussi économique(5)», d’affirmer le professeur de science politique de l’Université Laval, Philippe LePrestre. Ayant œuvré à titre de directeur de la Banque mondiale, Nicholas Stern a déposé un rapport très étoffé de plus de 500 pages dont les conclusions sont sans équivoque: «il en coûterait 1% du PIB pour diminuer la pollution de façon significative, mais ne rien faire provoquerait l’effondrement de l’économie mondiale. Nous n’avons qu’un seul choix!(6)» a-t-il écrit. Ce qui fait dire au professeur Le Prestre «[qu’]il faut désormais penser le développement en fonction des changements climatiques».
Verts à gauche, verts à droite
L’écologie semble s’être finalement hissée jusqu’au club sélect des idées politiques qui nagent en surface de l’habituelle dichotomie gauche-droite. Le gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger, souvent taxé d’être un républicain «pur-sang» et ami personnel du président George W. Bush, semble avoir joint le bal des écolos depuis l’investiture de son second mandat en janvier 2007. L’ancien culturiste a décidé de réduire de 10% les émissions les gaz à effet de serre de la Californie. Pour y arriver, il a pris le taureau par les cornes: investissements massifs pour la construction d’un million de toits verts d’ici à 2018, sanctions financières contre les entreprises qui ne respecteraient pas leurs engagements de réduction, mise en place d’un marché de permis d’émissions contrôlé par l’Air Ressource Board, etc. Le gouverneur a affirmé que son approche pour aborder ces problèmes «transcendait la logique des partis». Avec ce nouveau plan, la Californie sera l’un des rares États américains à atteindre ses objectifs en vertu du Protocole de Kyoto.
Qu’est-ce qui motive les politiciens à donner priorité aux questions environnementales? Le professeur Philippe LePrestre souligne que «les populations des pays industrialisés sont de plus en plus conscientes de l’ampleur des dérèglements environnementaux.» Les politiciens soucieux de se faire réélire, ou du moins de ne pas passer à la postérité avec une image de dinosaure, doivent montrer qu’ils se penchent très sérieusement sur les questions environnementales. Le Nouvel Observateur a titré son premier numéro de février 2007 «Le testament écologique de Chirac», sous-entendant que l’énergie déployée par le président français lors de la Conférence de Paris sur la création d’une Organisation des Nations Unies pour l’environnement n’était probablement pas uniquement motivée par son amour pour la nature, mais également par le désir d’être associé à la protection de l’environnement.
Le célèbre environnementaliste français et animateur de l’émission Ushuaïa nature, Nicolas Hulot, a bien saisi cette dynamique. Ce dernier a pris de court les candidats à la présidence française. En automne 2006, soit quelques mois avant le scrutin de la présidentielle, Hulot a fait monter les enchères de la taxe carbone. Interviewé sur les ondes de la chaîne de télévision TF1, il a affirmé qu’il apporterait son soutien tacite au candidat qui appuierait la fameuse surtaxe qui vise les produits engendrant des gaz à effet de serre. Sa déclaration a obtenu l’écho escompté. Le lendemain, les journalistes de l’Hexagone se sont rués sur les ténors de la scène politique française afin de recueillir leurs réactions. Ségolène Royal, du Parti socialiste s’est dit «en phase avec l’idée(7)». Le socialiste Laurent Fabius l’a même invité à devenir son ministre du Développement durable advenant une victoire de la gauche. Même le candidat de la droite nationaliste, Philippe de Villiers, loin d’être connu pour ses ferveurs écologistes, s’est découvert «une espèce de parenté» avec Hulot(8). Nicolas Sarkozy président du parti de droite, Union pour un mouvement populaire, était avare de commentaires l’automne dernier à ce propos. Toutefois, il a depuis repris l’idée de la taxe carbone plus souvent qu’à son tour et lui a même trouvé une place dans la plate-forme électorale de son parti.
Limites à l’emballement médiatique
Le Canada fait piètre figure au chapitre de ses émissions de gaz à effet de serre. Selon Johanne Gélinas, commissaire fédérale sortante à l’Environnement, les émissions canadiennes ont crû de 34% alors que le Protocole de Kyoto prévoyait une baisse de 6%. De plus, l’ex-ministre conservatrice de l’Environnement, Rona Ambrose, a secoué la communauté internationale lors de la 24e session de l’organe subsidiaire de la Convention-cadre sur les changements climatiques à Bonn en mai 2006, en déclarant que le Canada, même s’il continuait à prendre part au Protocole de Kyoto, ne visait plus les objectifs fixés par ce dernier. Toutefois, selon Philippe LePrestre, «ce ne sera pas la défection du Canada qui assènera le coût fatal à Kyoto, puisque de toutes façons, ni l’Union européenne, ni le Japon ne rencontreront leurs cibles». Au chapitre de la gouvernance internationale des changements climatiques, M. LePrestre entrevoit que l’année 2007 sera charnière: «le sort de Kyoto se jouera. On décidera si on reste dans Kyoto ou si d’autres modèles seront prisés.» Sans être pessimiste, il note toutefois que «les discussions interministérielles parallèles à Kyoto se multiplient».
Sur une note plus réjouissante, Matthew Bramley, directeur du programme des changements climatiques à l’Institut Pembina, un lobby environnemental canadien, affirme que «paradoxalement, en minimisant l’importance du changement climatique et en dédaignant le protocole de Kyoto, Stephen Harper, le premier ministre canadien, a probablement grandement contribué au réveil de l’opinion publique canadienne.(9)». M. Bramley est optimiste quant au prochain scrutin fédéral, parce que «pour la première fois lors d’une élection canadienne, les changements climatiques seront au cœur du débat(10)».
Au-delà d’une tocade passagère, les changements climatiques, et l’environnement dans une perspective plus large, semblent s’être positionnés au devant de la scène politique. Observons maintenant la migration du discours sur les politiques vertes vers leur mise en oeuvre.
Notes
(1) Groupe intergouvernemental d’expert sur le climat, [En ligne] <www.ipcc.ch/>. Page consultée le 7 février 2007.
(2) Entrevue accordée à la télévision de Radio-Canada le 3 février 2007 dans le cadre de l’émission Le Point.
(3) Programme des Nations unies pour l’environnement, «GEO Year Book 2007», Nairobi, 2007.
(4) Groupe intergouvernemental d’expert sur le climat, Op. cit.
(5) Entrevue avec le professeur Philippe LePrestre, accordée au Panoptique le 17 janvier 2007, à Québec.
(6) Stern, Nicolas, «Stern Review on the economics of Climate change», HM Treasury [En ligne] <www.hm-treasury.gov.uk/independent_reviews/stern_review_economics_climate_change/stern_review_report.cfm>. Page consultée le 30 octobre 2007.
(7) Rioux, Christian, «Consensus environnemental à Paris», Le Devoir, (3 et 4 février 2007), Montréal.
(8) Ibid.
(9) Entrevue avec Matthew Bramley accordée au Panoptique le 3 février 2007, à Montréal. (10) Ibid.