L’actualité du mois d’octobre dernier annonçait que l’humanité avait déjà «épuisé ses ressources naturelles pour 2006(1)» et que «deux planètes seraient nécessaires pour satisfaire l’humanité en 2050(2)», celle-ci ayant commencé à dépasser sa biocapacité globale dans les années 1980. Quel est donc le Nostradamus qui a su avancer de telles prédictions? Ces révélations sont véhiculées par ce que l’on appelle l’empreinte écologique, un indicateur mesurant l’impact environnemental des populations humaines sur la planète. Malgré le fait que cet indicateur connaisse une multitude de critiques sur sa fiabilité et sa méthodologie, il n’en demeure pas moins qu’il est un excellent outil de communication et de conscientisation. Il n’est cependant probablement pas assez complet pour dicter des politiques plus vertes.
La prévision voulant que l’humanité ait besoin de deux planètes pour satisfaire ses besoins est soulevée dans le Rapport planète vivante 2006(3) de la Wolrd Wildlife fund (WWF). Pour sa part, l’affirmation stipulant que l’humanité est en dette écologique, c’est-à-dire que la consommation des ressources dépasse leur capacité de renouvellement, provient de l’organisme New Economics Foundation, qui calcule annuellement la date à laquelle l’humanité a épuisé les ressources durablement exploitables pour l’année, soit le 9 octobre pour l’année 2006. Ces deux constats découlent du même indicateur, l’empreinte écologique. Cet indicateur d’impacts environnementaux est extrêmement populaire et permet de situer la pression écologique d’un État, d’une ville ou d’un individu. Par contre, cet outil est également fortement critiqué. Avec ses forces et ses faiblesses, l’empreinte écologique est-elle un bon indicateur et une référence fiable pour orienter la prise de décisions sociopolitiques?
Qu’est ce que l’empreinte écologique?
Le concept d’empreinte écologique «rend compte de l’énergie et de la matière requises par une économie et les convertit en superficie terre/eau exigée de la nature pour soutenir ces mouvements(4).» Il transforme donc en unité de surface l’utilisation des ressources pour le logement, l’alimentation, le transport, les biens de consommation, les services, ainsi que la production de déchets pour un individu, une entreprise, une ville ou une nation. Ce concept, élaboré par William Rees et Mathis Wackernagel dans le années 1990, est devenu extrêmement populaire principalement pour ses qualités de conscientisation(5).
Le principe est relativement simple. Avec les données sur le commerce national, il est relativement facile de connaître la consommation d’une ressource donnée pour un pays ou une région. Cette consommation peut ensuite être estimée pour un individu en divisant la consommation totale par le nombre d’individus dans la population. La superficie de sol nécessaire pour soutenir cette consommation est calculée en divisant la consommation par le rendement (poids/surface/année). La productivité utilisée est le rendement moyen global pour un sol donné; par exemple la productivité moyenne des sols cultivés mondialement(6). Ces rendements peuvent également être calculés pour une région spécifique – avec la productivité spécifique des sols de la région – mais l’empreinte écologique ainsi calculée tient compte des inégalités des écosystèmes et il ne serait pas juste de l’utiliser pour comparer l’empreinte de différents pays. En utilisant les rendements moyens globaux, ou hectares globaux, ce sont les différences de consommation qui sont révélées par l’indicateur et non les inégalités de rendement des sols.
Enfin, le concept de biocapacité, qui renvoie à la capacité des ressources de se régénérer, traduit en sol pour le concept d’empreinte écologique, est calculé conjointement avec l’indicateur pour évaluer si la population d’une région ou d’un pays, ou encore de la Terre, possède une réserve écologique ou un déficit. Le rapport de la WWF stipule que l’humanité est en déficit, excédant d’environ 25% depuis 2003 la capacité du monde à se régénérer(7).
Critiques de l’empreinte écologique
Un des principaux problèmes de l’empreinte écologique est qu’il est possible de la réduire sans nécessairement faire de même avec les impacts environnementaux. Une ville peut ainsi diminuer son empreinte en élargissant ses frontières pour y inclure des terres agricoles, réduisant ainsi l’importation de ressources ou augmentant la biocapacité du système(8). Cette faille dans l’indicateur ne peut survenir qu’en considérant le rendement spécifique d’une ville ou d’une région, et non avec l’utilisation des hectares globaux comme c’est le cas pour le rapport du WWF. Cependant, même dans le cas où les calculs utilisent les hectares globaux, le simple fait de diminuer l’empreinte écologique ne sera pas nécessairement porteur d’une diminution des impacts environnementaux. Illustrons ce fait avec l’exemple d’un pays de latitude tempérée qui bloquerait l’importation de légumes pour favoriser la culture en serre sous l’hypothèse que l’empreinte en serait diminuée. Il est loin d’être sûr que le pays qui perdra ce marché saura se convertir vers une économie plus propre. Il devient donc impératif pour un pays qui envisage des mesures dans certains domaines pour diminuer son empreinte écologique de s’assurer que cette diminution ne sera pas annulée, globalement, par une augmentation dans un autre secteur. Aussi, McManus et Haughton (2006) proposent l’exemple d’une route qui serait construite sur plus de kilomètres afin de permettre le contournement d’un écosystème rare. Enfin, l’idée selon laquelle se soit la quantité de biens consommés qui soit problématique, sans égard à la nature du bien comme tel, qui pourtant influence considérablement les impacts environnementaux, est une autre critique visant la fiabilité de l’indicateur à représenter les impacts environnementaux(9).
La méthodologie des calculs d’empreintes écologiques soulève également quelques controverses. Elle est notamment contestée à cause de la faible quantité d’informations actuellement recueillies sur les flux de déchets dans les écosystèmes et sur la transformation des flux de ressources et de déchets en unités de surface de sol, sujets pour lesquels les informations sont plus rares encore(10). Le fait que l’empreinte écologique attribue généralement un seul service écologique par sol est pareillement critiqué puisqu’il en découle une exagération de l’empreinte(11). Seulement, quand la méthode reste identique pour chaque acteur à l’étude – individu, ville ou nation – elle permet du moins la comparaison entre eux, comme c’est le cas pour le rapport de la WWF. La méthodologie est aussi jugée du fait qu’elle ne considère pas les flux d’eau douce dans ses calculs ni la capacité de l’humain à transformer la biocapacité par le développement technologique(12).
Un autre aspect discutable de la méthodologie se situe au niveau de l’évaluation de l’impact de la consommation d’énergie. L’unité de surface engagée pour la consommation des énergies fossiles est généralement la surface de sol nécessaire pour absorber le CO2 résultant de cette consommation, ce qui peut être matière à questionnement. Mais ce qui l’est encore plus, c’est le fait que l’estimation de l’unité de surface engagée pour la consommation d’énergie nucléaire est la même que pour les énergies fossiles, faute de données fiables en matière de nucléaire. Comme la consommation d’énergie est le facteur le plus déterminant de l’empreinte écologique de l’humanité selon le rapport WWF, cette faiblesse de l’indicateur est grandement à considérer.
Sur une note plus positive, l’empreinte écologique est un outil de sensibilisation extrêmement efficace. Il permet de visualiser les flux de matière à l’intérieur et à l’extérieur de frontières, de sensibiliser les consommateurs face à leurs habitudes non-durables, est une excellente plate-forme pour le débat politique et un commode outil d’éducation. Seulement, une attention particulière doit être portée au pouvoir communicatif de l’indicateur du fait qu’empreinte écologique et impacts environnementaux sont parfois interprétés comme des synonymes, ce qu’ils ne sont pas(13). L’utilisation biaisée de l’indicateur est aussi un risque; rappelons l’exemple d’une ville qui proclamerait qu’elle a diminué son empreinte mais qui n’a en fait qu’élargi ses frontières en y intégrant des terres agricoles.
L’empreinte écologique comme leader politique?
Le potentiel de l’empreinte écologique comme référence pour le développement d’orientations politiques est un débat des plus controversé dans la littérature environnementale. S’il peut sensibiliser le public et les décideurs quant aux impacts de leurs choix sur l’écosphère, il est moins sûr que l’indicateur puisse proposer des formulations spécifiques quant à des politiques favorables à la diminution des impacts environnementaux, le développement de politiques publiques demandant plus qu’une connaissance des impacts humains sur la nature (Kooten et Bulte, 2000).
Les notions d’empreinte écologique et de biocapacité présentent une «réalité» biophysique des impacts environnementaux, mais ils ne pourront jamais répondre à une question telle que : est-ce que l’Europe, qui possède des sols plus fertiles que la moyenne mondiale, devrait limiter son empreinte à l’intérieur de ses frontières et, conséquemment, ne plus importer de denrées agricoles? L’empreinte écologique manque également de sensibilité pour les questions d’équité sociale et de justice environnementale(14). Elle peut cependant influencer les politiques en sensibilisant les décideurs de même que le public.
Bilan
Malgré plusieurs critiques à son égard, l’empreinte écologique est un indicateur que nous devons continuer à utiliser. Son pouvoir de choquer est un fort incitateur que l’on rencontre rarement quand il est question de reconsidérer son mode de vie. Kooten et Bulte (2000) proposent que l’empreinte écologique est moins un instrument de mesure des impacts sur la nature qu’un outil éducatif pour aiguiser la conscience du public et influencer les politiques et que dans ce sens, l’empreinte écologique est un succès. Il faut cependant faire attention à l’utilisation abusive du terme, comme ce fut le cas avec le développement durable qui verdit l’image de certaines décisions politiques. Enfin, l’empreinte écologique n’a peut-être pas tord quand elle nous prévient que nous aurons épuisé nos ressources naturelles dans un avenir proche.Vous pouvez calculer votre empreinte écologique personnelle sur le site suivant: http://www.agir21.org/flash/empreinteecoweb/loadcheckplugin.html.
Notes
(1) Le monde (2006) L’humanité aurait épuisé ses ressources naturelles pour 2006. [En ligne]. <http://www.lemonde.fr/>consulté le 9 octobre 2006.
(2) Actu-environnement (2006) Deux planètes seraient nécessaires pour satisfaire l’humanité en 2050. [En ligne]. <http://www.actu-environnement.com/ae/news/2024.php4> consulté le 24 octobre 2004.
(3) WWF (2006) Rapport Planète vivante 2006. [En ligne]. <www.wwf.fr/content/download/1194/5927/version/1/file/LPR_2006_FR.pdf >consulté (ou téléchargé -PDF) le 12 octobre 2006.
(4) Wackernagel, M. et Rees, W. (1999) Notre empreinte écologique. Les éditions Société, Montréal, 207 pages.
(5) McManus P, Halighton G (2006) Planning with Ecological Footprints: a sympathetic critique of theory and practice, Environnement and Urbanization, vol.18, no.1, pp. 113-127.
(6) Wackernagel, M. et Rees, W. (1999)
(7) WWF (2006)
(8) McManus P, Halighton G (2006)
(9) id.
(10) Kooten, G.C.V. et Bulte, E.H. (2000). The ecological footprint :useful science or polotics? Ecological Economics, vol. 32, pp. 385-389.
(11) McManus P, Halighton G (2006)
(12) id.
(13) id.
(14) id.