La consommation durable par le design durable

L’amélioration technique des moyens de production ne semble plus suffire à maintenir les modes de vie occidentaux dans les limites écologiques de la Terre(1). La consommation est dorénavant dans la ligne de mire stratégique des organisations internationales et des académiciens. Faut-il encore que le projet devienne politique? En ce mois de la rentrée scolaire, événement commercial notable, cet article propose une réflexion sur la consommation durable de même qu’une introduction à la discipline nécessaire au nouveau paradigme: le design durable.

 Eco
Britta Frahm, Eco, 2007
Certains droits réservés.

En se référant à l’équation d’Ehrlich(2), où l’impact environnemental (I) est directement influencé par la population (P), ce qu’elle consomme (A) et l’impact environnemental associé à cette consommation (T), celui-ci étant dépendant de la technologie utilisée, soit I=PAT, il semble intuitif de considérer l’amélioration technologique des moyens de production (T) comme étant la solution la plus simple relativement à une modification de la démographie ou à la remise en question du consumérisme. La consommation détient en effet une place de choix dans le système économique occidental; il s’agit d’un levier majeur de la croissance économique, elle-même considérée comme un objectif permettant l’atteinte de meilleures conditions de vie(3). Seulement, cette poursuite du bien-être semblerait, en définitive, souffrir des moyens qui lui étaient destinés; les impacts écologiques, causés par la consommation, affectent le bien-être que celle-ci est pourtant sensée engendrer(4).

Deux constats émergent: d’abord, le système économique actuel requiert plus de ressources naturelles et produit plus de déchets que ce que les écosystèmes peuvent régénérer et absorber sans menacer l’existence même de l’espèce humaine et des autres espèces(5), puis le «verdissage» des modes de production ne suffit plus; il faut maintenant questionner la durabilité des modes de consommation(6). En effet, il n’est aucunement garanti que l’amélioration de l’efficacité des processus industriels et l’utilisation de technologies plus propres, même si elles offrent indubitablement des avantages du point de vue écologique, confineront la consommation de matériel (et la production de déchets) à l’intérieur des limites écologiques(7). Ainsi naissait la consommation durable (sustainable consumption).

Qu’est ce que la consommation durable?

Aucune définition universelle ne détermine ce qu’est exactement la consommation durable(8). Hertwich(9), professeur à l’Université norvégienne de sciences et de technologie, la définit comme «des modes de consommation qui satisfont les besoins primaires, qui offrent aux humains la liberté de développer leur potentiel, et qui puissent être appliqués autour du globe sans compromettre la capacité régénératrice de la Terre(10)». Toutes les définitions ne s’engagent pas également dans la proposition explicite d’une diminution de la consommation, mais certains auteurs considèrent cette diminution, au sein des masses nanties évidemment, comme fondamentale(11).

Pourquoi consommons-nous?

Le défi de transformer les modes de consommation requiert la compréhension de ce qui oblige actuellement une telle consommation. En l’absence d’une compréhension des motivations qui se trouvent derrière la consommation, et en demeurant dans le paradigme de l’économie de marché, les stratégies voulant modifier les impacts environnementaux (et sociaux) de la consommation se limiteront à l’obligation d’une information parfaite sur la nature, la provenance, les impacts, etc. des produits, de même que sur l’internalisation des coûts sociaux et environnementaux(12). En effet, «puisque les coûts environnementaux et sociaux ne sont pas reflétés dans les prix, le prix des services intensifs en travail (tel que les services de buanderies ou les services de réparation) augmente, il devient ainsi plus abordable pour les consommateurs d’acheter des produits de fabrication industrielle (tel qu’une machine à laver)(13).» Si l’information parfaite et l’internalisation des coûts environnementaux sont des stratégies qui ont indubitablement un effet bénéfique sur l’environnement, elles ne semblent pas permettre le changement de comportement requis afin de rester dans les limites écologiques(14).

D’un autre côté, une revue exhaustive des théories s’engageant dans la définition de ce qui modélise le consumérisme semble «ingérable(15)». Certains auteurs supposent qu’une augmentation de la consommation est synonyme d’une augmentation du bien-être, tandis que d’autres soutiennent plutôt que le niveau de consommation des sociétés modernes est dommageable tant pour l’environnement que pour l’esprit et qu’une réduction substantielle ne menacerait aucunement le bien-être des sociétés(16). Dans tous les cas, puisque la première prémisse s’avère insoutenable pour l’environnement dans un contexte de justice sociale – c’est-à-dire où aucun ne serait exclu de consommer librement à l’échelle du consumérisme moderne – la seconde idée mérite une attention potentiellement vitale.

La légitimité de la réduction

La réduction de la consommation, si elle semble nécessaire pour maintenir l’empreinte humaine à l’intérieur de la capacité régénératrice et absorbante de la Terre, peut se heurter au désir potentiellement insatiable de vouloir plus, au Plenoxia d’Aristote, et à la croyance voulant que la consommation apporte le bien-être. Si l’évaluation empirique de la corrélation entre bien-être et consommation ne semble pas très convaincante(17), les motivations soutenant la consommation ne sont pas nécessairement illégitimes. Que ce soit par instinct d’acquisition, pour des motivations sexuelles ou dans le but d’afficher la classe sociale à laquelle il appartient (pour plus de détails sur ces différentes théories, se référer à l’article de Jackson(18)), l’humain est peut-être pris, malgré lui, avec des caractéristiques naturelles insoutenables; «la durabilité ne vient pas naturellement(19)».

Légitime ou non, naturel ou non, le caractère consumériste de l’humain est vraisemblablement insoutenable à l’échelle planétaire. Ajoutons que la réduction de la consommation matérielle, conçue comme un projet de société, n’est pas une injure à la liberté de choix dans la mesure où le consommateur n’est pas réellement libre, les modes de consommation insoutenables favorisés par le marché(20), et le consommateur victime de la pathologie consommation(21).

Le changement : le rôle du designer

S’il apparaît paradoxal de parler de design des produits dans l’optique d’une réduction de la consommation, les designers sont pourtant porteurs de changement comme le propose un concept essentiel à la consommation durable: le design durable. La transformation des modes de consommation devra être un projet social et non le simple cumul d’actions individuelles(22). Les choix individuels demeureront cependant une variable majeure dans la transformation des modes de consommation et le design des produits jouera ainsi un rôle indispensable dans le changement de paradigme.

Qu’est-ce que le design durable et que peut-il réaliser à l’échelle des produits? Trois stratégies, différentes et non exclusives, sont proposées: redessiner le produit, ce qui signifie de le rendre plus éco-efficace, c’est-à-dire d’améliorer principalement les moyens de production (incluant le recyclage ou la mise au rebut); la réorganisation, qui réfère à la création de la même fonction mais de manière à ce la demande en ressources diminue (par exemple, le fait de minimiser l’utilisation de la voiture individuelle en implantant des services de partage de voitures); la redécouverte, qui questionne les besoins comblés par l’objet, le service ou le système, et la manière dont ces besoins sont comblés(23). Plus la stratégie questionne les besoins, plus elle s’éloigne d’une approche simplement axée sur le produit, soit l’optimisation du système du produit, qui est l’approche propre à l’éco-design. En améliorant l’aspect technique des produits, l’éco-design apporte indubitablement des bénéfices environnementaux. Cependant, cette seule approche peut également augmenter l’utilisation des ressources en proposant toujours plus de nouveaux produits éco-efficaces sur le marché. La pression sur les ressources naturelles résultant d’une amélioration technique qui ne balance pas l’augmentation de la consommation affectera également l’économie à long terme et les conditions sociales qu’elle soutient(24).

L’approche du design durable cherche à satisfaire les besoins humains fondamentaux en redécouvrant les modes de vie au quotidien. Cette approche questionne les raisons d’être de la consommation (question qui n’est pas simple, comme il a été précédemment mentionné) et cherche ainsi à intervenir dans l’équation de la consommation durable, en manipulant la demande et non seulement l’offre, soit selon l’approche de l’éco-design.

La modification de la demande, c’est-à-dire la transformation de la façon dont les gens consomment, ne peut être imposée par le haut. Certes, il faudra des cadres législatifs encourageant une «demande durable» – l’écosystème urbain devra également être repensé – mais ces changements plus globaux, de même que les changements à l’échelle de l’action individuelle, devront être acceptés et adoptés par les citoyens. Les «designers durables» doivent ainsi agir localement afin d’influer un changement des modes de consommation; l’adage «penser globalement, agir localement(25)» est ainsi une idée clé du design durable.

Conclusion

La modification des modes de consommation, nécessaire à l’atteinte d’une durabilité, implique une multitude de variables et demande un effort multidisciplinaire dans la recherche de solutions. Le design durable pose les questions nécessaires à cette transformation en s’intéressant, entre autres, à des disciplines des sciences sociales, notamment la psychologie. Les obstacles pour l’implantation d’un nouveau paradigme de consommation restent significatifs, mais le design durable a l’avantage de considérer l’offre, l’amélioration technique des produits (T), la demande, les modes de consommation (A), et le fait que cette demande doit se positionner dans un esprit de justice sociale, que tous ont droit d’atteindre un niveau de vie satisfaisant leurs besoins (P). Le design durable intègre ainsi les trois variables de l’équation d’Ehrlich: I=PAT.

Notes

(1) MONT, O., «Institutionalisation of sustainable consumption patterns based on shared use», Ecological Economics, 50 (2004), pp. 135-153.
(2) GRETCHEN, C. D. et Ehrlich, P.R., «Population, Sustainability, and Earth’s Carrying Capacity», BioScience, Vol. 42, No. 10 (Nov., 1992), pp. 761-771.
(3) JACKSON, T. et Marks, N., «Consumption, sustainable welfare and human needs – with reference to U.K. expenditure patterns between 1954 and 1994.» Ecological Economics, 23 (3, 1999), pp. 421-441, cité dans MONT, O. op. cit. (2004).
(4) MONT, O., op. cit. (2004).
(5) PRINCEN, T., «Principles for Sustainability: From Cooperation and Efficiency to Sufficiency», Global Environmental Policies, 3 (1, 2003), pp. 33-50.
(6) COOPER, T., «Product Development Implications of Sustainable Consumption», Design Journal, 3 (2, 2000), pp.46-57; JACKSON, T., «Live better by consuming less? Is there a double dividend in Sustainable Consumption?», Journal of Industrial Ecology, 9 (1-2, 2005), pp.19-36; MONT, O., op. cit. (2004).
(7) JACKSON, T., op. cit. (2005)
(8) Ibid.
(9) HERTWICH, E.G., «Life Cycle Approaches to Sustainable Consumption: A Critical Review», Environmental Science and Technology, 39 (13, 2005), pp. 4673-4684.
(10) Traduction libre de «Sustainable consumption patterns can be defined as patterns of consumption that satisfy basic needs, offer humans the freedom to develop their potential, and are replicable across the whole globe without compromising the Earth’s carrying capacity.» Ibid.
(11) JACKSON, T., op.cit. (2005).
(12) Ibid.
(13) Traduction libre de «As environmental and social costs are not reflected in prices, the prices of labour-intensive services (i.e. laundry services and repair services) are increasing, and it becomes cheaper for consumers to buy industrially produced products (e.g. washing machines).» MONT, O., op. cit. (2004).
(14) JACKSON, T., op.cit. (2005).
(15) Ibid.
(16) Ibid.
(17) MONT, O., op. cit. (2004) et JACKSON, T., op.cit. (2005).
(18) JACKSON, T., op.cit. (2005).
(19) DAWKINS, R. «Sustainable doesn’t come naturally: An evolutionary perspective on values», Values Platform for Sustainability, Inaugural lecture presented at The Environment Foundation, Mercredi, 14 novembre 2001, The Royal Institution, London, cité dans JACKSON, T., op.cit. (2005).
(20) SANNE, C., «Willing consumers – Or locked in? Policies for a sustainable consumption», Ecological Economics, 42 (1-2, 2002), pp. 273-287 cité dans JACKSON, T., op.cit. (2005).
(21) BAUDRILLARD, J., La société de consommation, ses mythes, ses structures, Paris, Folio/Essais, 1970.
(22) JACKSON, T., op.cit. (2005).
(23) FLETCHER, K., Drewberry, E., & Goggin, P., Eds., «Sustainable Consumption by Design», Exploring Sustainable Consumption: Environmental Policy and the Social Sciences. Oxford (UK), 2001, Pergamon: Elsevier Science.
(24) CUCUZZELLA, C. et De Coninck, P., «The Limits of Current Evaluation Methods in a Context of Sustainable Design: Prudence as a New Framework», International Journal of Design Engineering, special issue: From green design to eco-innovation and sustainable product design (forthcoming-2008).
(25) SCHUMACHER, E.F., Small Is Beautiful: Economics as If People Mattered, New York, Harper and Row Publishers Inc., 1989 (first publication 1973).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *